179 euros l'aller Roissy-New York ou 199 euros Roissy-Los Angeles, avec Norwegian Air Shuttle, la plus offensive des compagnies low cost long-courriers. © J. SYVERSEN/NORWEGIAN

Les compagnies low cost long-courriers, ces nouveaux corsaires du ciel

Le Vif

Vingt ans après l’arrivée de Ryanair et d’EasyJet, c’est au tour des compagnies low cost long-courriers de débarquer dans le monde. Au grand dam des transporteurs classiques, qui ne comptent pas se laisser faire.

C’est la promesse de nouvelles turbulences dans le monde agité du transport aérien. Et celle d’un bouleversement aussi profond que celui qui a accompagné l’arrivée de Ryanair et d’EasyJet, dans les années 1990. Après le succès du low cost court et moyen-courrier, c’est au tour des compagnies low cost long-courriers de faire une entrée fracassante dans le ciel mondial. Depuis quelques mois, décidées et puissantes, elles viennent bousculer le marché en proposant des tarifs agressifs au départ de Paris : 179 euros l’aller simple pour un Roissy-New York et 199 euros pour un Roissy-Los Angeles, offerts par Norwegian Air Shuttle, basée à Oslo. French Blue, la filiale d’Air Caraïbes, facture, elle, ses vols Orly-Punta Cana à partir de 149 euros l’aller simple et lance un Orly-La Réunion à 249 euros, à partir du mois de juin 2017.

Si, jusqu’ici, les tentatives pour développer un tel modèle se sont soldées par des échecs, l’offensive en cours a toutes les chances de recontrer le succès et de se révéler durable. Au grand dam des grandes compagnies traditionnelles, les  » majors  » – British Airways, Lufthansa et Air France – qui, cette fois-ci, ne comptent pas se laisser faire et affûtent leurs armes afin de contrer des transporteurs venus disputer leur dernier bastion, constitué par les vols long-courriers.

L’engouement est exceptionnel et le déploiement rapide. Depuis l’été 2016, les compagnies low cost long-courriers envahissent l’espace aérien mondial – et particulièrement la France, pays de cocagne pour les transporteurs du ciel. Opportunistes, elles proposent sans vergogne des prix d’appel inférieurs de 15 à 50 % par rapport à ceux des  » majors « . Leur objectif ? Profiter de  » l’explosion du nombre de passagers loisirs pour se lancer « , estime Yan Derocles, analyste chez Oddo Securities. Une vraie tendance de fond dont ces nouveaux acteurs veulent tirer profit.  » Nous comptons stimuler la demande grâce à la baisse des prix « , affirme Marc Rochet, président d’Air Caraïbes, à l’origine, avec Jean-Paul Dubreuil, fondateur du groupe, de la création de French Blue.

Si tout le monde s’y met en même temps, c’est d’abord parce que le prix du pétrole, grand pourvoyeur de coûts, a dégringolé et devrait rester durablement bas :  » Les planètes sont alignées : c’est le bon moment pour proposer une offre qui décoiffe « , souligne Jean-Paul Dubreuil. Et puis, dans un marché en construction, mieux vaut se dépêcher :  » Les premiers arrivés possèdent un avantage certain. Rattraper le retard se révèle toujours plus coûteux « , observe Yan Derocles.

Pourtant, à bien y regarder,  » le phénomène n’est pas nouveau « , comme le rappelle Laurent Magnin, PDG de XL Airways, premier transporteur à avoir proposé des vols réguliers entre Paris et New York à 399 euros l’aller-retour, dès 2009. Dans les années 1970, Freddie Laker avait créé à Londres la première low cost long-courrier, reliant, avec Skytrain, la capitale britannique aux Etats-Unis, pour la modique somme de 32,50 livres (40 euros) l’aller simple. Malgré un indéniable succès, l’aventure s’est terminée par une faillite retentissante, en 1982. Précédemment encore, le low cost long-courrier avait aussi été incarné, durant les années 1970-1980, par un mode de transport prisé des vieux routards : le charter.  » En ce temps-là, Corsair remplissait ses avions pour pas cher avec des milliers de vacanciers « , se souvient Laurent Magnin.

Dans les années 2000,  » l’émergence du modèle s’est faite en plusieurs vagues successives « , analyse Didier Bréchemier, consultant chez Roland Berger. La compagnie malaisienne AirAsia-X a été parmi les premières, en 2007, à tenter l’aventure, d’abord en Asie, puis en Europe, à partir de 2009. Débarquée à Londres et à Paris pour relier le Vieux Continent à Kuala Lumpur, l’asiatique a dû renoncer en 2012. Peu de temps après, d’autres, pourtant pas considérées comme des compagnies à bas coûts, ont commencé à casser les prix sur le long- courrier, telles que Turkish Airlines et, dans une certaine mesure, les compagnies du Golfe.

149 euros l'aller simple Orly-Punta Cana sur French Blue, la filiale d'Air Caraïbes. Et, à partir de juin 2017, un Orly-La Réunion à 249 euros.
149 euros l’aller simple Orly-Punta Cana sur French Blue, la filiale d’Air Caraïbes. Et, à partir de juin 2017, un Orly-La Réunion à 249 euros.© A. DOUMENJOU/FRENCH BLUE

Aujourd’hui, les acteurs de la troisième vague revendiquent volontiers le choix du low cost. French Blue, par exemple, compte bien défier ses concurrentes en République dominicaine et à La Réunion, où, avec des prix moyens de 15 % à 20 % inférieurs aux tarifs pratiqués, elle prévoit de capter une nouvelle clientèle, peu habituée à voyager, et de prendre 20 % de parts de marché. Pour Corsair, la filiale du groupe TUI, cette arrivée est catastrophique, la destination représentant 30 % de ses ventes totales.

 » Une vraie stratégie mondiale  »

Mais la plus offensive des compagnies low cost long-courriers est sans aucun doute Norwegian Air Shuttle. Bjorn Kjos, son PDG, affiche une forte ambition. Alors qu’il enregistre des taux de remplissage de 100 % sur les lignes entre Paris et les Etats-Unis, quelques semaines seulement après leur lancement, le patron enthousiaste devrait annoncer des vols vers les Antilles et bien d’autres destinations au départ de la France. Avec une montée en puissance d’ici à 2019 :  » Nous opérerons alors des liaisons entre les villes secondaires, des deux côtés de l’Atlantique, comme Edimbourg, Boston, Nice et Bordeaux « , a-t-il récemment affirmé au Journal du dimanche.  » Norwegian a une vraie stratégie mondiale « , constate Didier Bréchemier. Et des moyens prodigieux : à la tête de 113 avions couvrant 450 routes, totalisant déjà 25,7 millions de passagers, elle a commandé pas moins de 250 avions pour les prochaines années !

Pourquoi une telle certitude de réussir là où les prédécesseurs ont échoué ? Tout simplement parce que, en cinq ans à peine, les technologies et les comportements ont évolué. D’abord, les appareils nouvelle génération, moins gourmands en carburant, sont apparus.  » Les Airbus 321, les A-350 et les Boeing 787 rendent l’aventure possible « , explique Yan Derocles. Surtout, la mentalité des passagers a considérablement changé.  » Très sensibles au prix « , selon Stéphane Albernhe, patron d’Archery Strategy Consulting, ils ont acquis, grâce à Ryanair et EasyJet, davantage de maturité :  » Plus enclins à voyager à bord de low cost proposant une prestation minimale, ils achètent, selon leurs envies, des services auxiliaires « , observe Didier Bréchemier. Ainsi, sur Norwegian, ils devront payer de 36 à 80 euros pour mettre leur bagage en soute, quelques dizaines d’euros pour choisir leur place et presque autant pour les repas, les boissons… et la couverture, elle aussi payante.

LES NOUVEAUX CORSAIRES EPARGNENT BRUXELLES

Bruxelles-Miami à un prix mini rikiki, ça n’existe pas (encore) aujourd’hui. Ni Norwegian, ni French Blue, ni XL Airways, ni aucun autre acteur du low cost long-courrier n’opère depuis Zaventem. Il y a bien Eurowings, mais la filiale de Lufthansa n’y relie que des villes européennes. Cela devrait changer à partir de juin 2017, date à laquelle l’islandaise Wow Air prévoit des vols vers l’Amérique à partir

de 149 euros… avec escale obligatoire à Reykjavik. Si l’aéroport bruxellois est pour l’instant épargné par ce phénomène du « bas coût lointain », les grandes compagnies présentes s’en prémunissent tout de même à coup de tarifs aguicheurs. Comme le Bruxelles-Mumbai à 399 euros de Brussels Airlines. Mieux vaut prévenir…

 » La vraie low cost, c’est quand rien n’est gratuit « , assure un expert. Les transporteurs long-courriers doivent-ils appliquer les recettes des reines irlandaises et britanniques du moyen-courrier en Europe ? Principalement, oui. Pour afficher des coûts unitaires de 15 à 30 % en dessous du marché, ils doivent avoir à la fois la même agilité et des coûts de structure aussi faibles. Surtout,  » le produit doit être le plus simplifié possible « , affirme Laurent Magnin,  » avec, par exemple, un seul type d’avion « . Les frais de personnel doivent également être abaissés : ici, les hôtesses et stewards sont embauchés à des salaires moins élevés qu’ailleurs, tandis que les pilotes sont sommés de naviguer davantage. Chez French Blue, ils voleront 850 heures par an (contre 750 pour Air Caraïbes). Norwegian affiche ainsi, pour 2015, un coût en personnel représentant seulement 16 % du coût total, contre 30 % pour les majors ! Pour toutes ces raisons,  » il vaut mieux redéfinir l’offre à partir d’une page blanche « , estime Stéphane Albernhe. Créer une nouvelle entité permet d’éviter les empilements d’accords d’entreprise, qui, année après année, alourdissent les charges et rendent impossible tout espoir de rentabilité.

C’est ce qui rend si difficile la réponse des compagnies traditionnelles à ces  » pirates du ciel « , dixit un de leurs adversaires. Empêtrées dans leurs problèmes sociaux, ces dernières ne peuvent réduire drastiquement leurs coûts sans affronter une levée de boucliers syndicale. Pourtant, Lufthansa et Air France-KLM semblent plus que jamais déterminées à se lancer dans la bataille du long-courrier. Et c’est tant mieux, parce qu’elles doivent s’adapter le plus vite possible à la nouvelle donne. Lufthansa, par exemple, a opéré un virage stratégique au début de 2016, en divisant le groupe en deux pôles, l’un prémium et l’autre low cost, avec Eurowings, afin d’opérer des vols long-courriers à prix bas à travers la planète.

Combat homérique en vue

Jean-Marc Janaillac, PDG d'Air France-KLM, a crée la surprise avec une nouvelle entité long-courrier qui bénéficiera de la qualité de service de la maison mère.
Jean-Marc Janaillac, PDG d’Air France-KLM, a crée la surprise avec une nouvelle entité long-courrier qui bénéficiera de la qualité de service de la maison mère.© B. TESSIER/REUTERS

Jean-Marc Janaillac, le nouveau PDG d’Air France-KLM, a lui aussi créé la surprise au début de novembre, en annonçant, dans le cadre de son plan  » trust together « , le lancement d’une entité long-courrier destinée à combattre les compagnies du Golfe, à enrayer les foyers de pertes, notamment en Asie, et à dégager de la croissance. Certes, la compagnie, échaudée par ses conflits incessants avec les pilotes, préfère ne pas parler de low cost, arguant que  » Boost « ,  » un projet offensif « , selon elle, bénéficiera de la qualité de service de la maison mère. Mais, si Air France fait son mea culpa –  » nous avons pris trop tard le virage du low cost court et moyen-courrier « , regrette Jérôme Nanty, secrétaire général d’Air France-KLM -, c’est pour mieux prévenir que le groupe ne compte pas rater celui du long-courrier. Même si l’utilisation de pilotes détachés d’Air France pour voler sur la future compagnie (royalement payés), risque de plomber les comptes d’emblée.

Les majors sont-elles vraiment menacées ? On imagine mal les compagnies low cost long-courriers s’emparer du marché, comme l’ont fait Ryanair et EasyJet sur le trafic intra-européen. A priori, les passagers d’affaires, principale source de recettes des grandes compagnies, notamment sur les vols transatlantiques, ne devraient pas opter pour ce moyen de transport.  » Le low cost long-courrier peut fonctionner jusqu’à une certaine limite. Pour la clientèle business, ce qui est considéré comme différenciant, outre la fréquence des vols, c’est le haut de gamme et la multiplication des services pendant les temps longs du transport « , estime Stéphane Albernhe. En clair, l’homme d’affaires qui arrive de Genève à Paris avec EasyJet devrait continuer à voler sur une compagnie classique, en business, pour rejoindre New York ou Los Angeles. Pour Jérôme Nanty, l’affaire est entendue,  » ces low cost ne représenteront qu’une partie du marché long-courrier « , se rassure-t-il. Ces concurrentes d’un nouveau type sont-elles condamnées à ne constituer qu’une simple niche, autour de 20 % du marché ? C’est probable, mais moins certain aujourd’hui.  » Si elles atteignent la masse critique et proposent de la flexibilité, elles pourront s’adresser aux passagers business « , estime Didier Bréchemier. Et puis, les low cost court et moyen-courriers pourraient s’allier aux low cost long-courriers pour acheminer les passagers européens entre les aéroports. Ryanair et Norwegian seraient d’ailleurs déjà en négociation.

Le combat risque donc être homérique dans les prochains mois. A la plus grande satisfaction des passagers qui, toujours plus nombreux et courtisés, bénéficieront de la dernière guerre des nerfs et des tarifs…

Par Corinne Scemama.

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