Erdogan © Reuters

Les ambitions présidentielles d’Erdogan sonnent-elles le glas de la démocratie turque?

Joris Leverink
Joris Leverink Analyste politique et écrivain

L’arrestation des deux présidents et d’une dizaine de parlementaires du Parti démocratique des peuples (HDP) n’a guère surpris. Depuis longtemps, le gouvernement dirigé par le président Erdogan fait tout pour entraver le parti pro-kurde.

L’immunité des parlementaires a été levée en mai, et ces dernières semaines, des dizaines de bourgmestres liés à l’HDP ont été démis de leur fonction et arrêtés. Le gouvernement accuse le parti d’entretenir des liens étroits avec le PKK kurde, considéré par Ankara comme une organisation terroriste. Les membres du parti soupçonnent toutefois qu’il y a d’autres motifs en jeu.

Après l’arrestation des coprésidents d’HDP Selahattin Demirtas et Figen Yüksedag et dix autres parlementaires, le vice-coprésident Hisyar Ozsoy écrit que le parti est la cible de la « politique autoritaire » d’Erdogan depuis la victoire électorale de juin 2015.

« La raison, c’est notre opposition de principe contre son objectif d’instaurer un système présidentiel en Turquie », estime Ozsoy. « Nos sièges au parlement constituent le plus grand obstacle aux modifications constitutionnelles nécessaires. »

Une victoire historique

Depuis qu’on a décrété l’état d’urgence après le coup d’État avorté du 15 juillet, des dizaines de milliers de fonctionnaires, enseignants et membres de la police et de l’armée ont été arrêtés et incarcérés. Cent septante organisations de médias sont fermées et plus de cent trente journalistes sont derrière les barreaux.

Le gouvernement turc tient le prédicateur islamique Fetüllah Gülen et ses disciples pour responsables de la tentative de coup, mais les purges à grande échelle touchent tous ceux qui ont critiqué le Parti de la justice et du développement (AKP) d’Erdogan. Le HDP s’est immédiatement prononcé contre le coup d’État, mais le gouvernement se sert néanmoins de l’état d’urgence pour poursuivre le parti et ses dérivés politiques.

« Toute personne qui suit la politique turque s’y attendait depuis longtemps », explique Umut Ozkirimli, professeur en politologie au Center for Middle Eastern Studies de l’Université de Lund en Suède.

« Premièrement, l’AKP voulait éliminer la menace principale de son pouvoir. La popularité de Demirtas l’inquiétait. C’est quelque chose qu’il projetait depuis longtemps, et c’est une façon d’invalider les résultats des élections de juin 2015 », ajoute Ozkirimli.

Depuis le printemps 2015, la popularité croissante du HDP entrave les ambitions d’Erdogan de lancer un système présidentiel. Les négociations de paix entre l’AKP et le leader emprisonné du PKK, Abdullah Öcalan, menées entre 2013 et 2015 avec les parlementaires d’HDP comme intermédiaires n’ont pas fourni le résultat espéré. Au lieu de l’AKP, ce sont le HDP pro kurde et les partis nationalistes qui ont cueilli les fruits électoraux.

Du coup, Erdogan a décidé de changer de cap. Au lieu de chercher à se rapprocher de l’électorat kurde, il s’est concentré sur ses sympathisants nationalistes et a lancé une attaque violente contre le HDP en espérant que le parti reste en dessous du seuil électoral extrêmement élevé de 10% aux élections parlementaires de juin.

C’était inutile, le HDP a remporté une victoire historique et est entré au parlement avec 13% des voix. L’AKP a perdu sa majorité absolue et a dû postposer ses projets d’instauration du système présidentiel.

Or, Erdogan n’en est pas resté là. Il a convoqué de nouvelles élections, a détricoté le processus de paix avec le PKK et a déchaîné une répression extrêmement violente de toutes les formes d’opposition kurde dans l’est du pays. Des centaines de milliers de personnes ont été chassées de leurs maisons, et l’armée turque a bombardé des quartiers entiers, ce qui a enraciné Erdogan plus fermement que jamais.

La fin de la démocratie

Qu’adviendra-t-il à présent? La prochaine étape est-elle une dissolution du HDP ? Ozkirimli en doute. « Je ne pense pas qu’Erdogan en ait besoin. S’il veut, il peut le faire immédiatement, mais entre-temps il a pratiquement mis le parti hors jeu. »

Il reste encore quelques foyers de résistance: les médias libéraux et de gauche qui seront probablement fermés sous peu à cause de leurs critiques à l’égard d’Erdogan et de l’AKP. Et ensuite, Erdogan ira vers la grande finale : un référendum où le peuple décidera de la nécessité d’un système présidentiel. Les plans sont déjà sur la table, et l’AKP s’est assuré au parlement du soutien du MHP nationaliste. Ensemble, les partis ont suffisamment de sièges pour proposer la modification à la constitution au peuple via un référendum.

Ce qui étonne le plus le professeur Ozkirimli, ce n’est pas que Erdogan veuille s’attirer un maximum de pouvoir, mais la facilité relative avec laquelle il le fait. Les nationalistes et les conservateurs l’acclament, les Kurdes sont paralysés et muselés et la classe moyenne laïque qui descendait massivement dans la rue à l’époque sont « divisés, angoissés, désespérés et ne croient plus au changement. »

Pour le vice-coprésident Hisyar Özsoy, il y a peu de doutes sur ce que tout cela signifie, et l’arrestation des leaders de l’opposition « sonne le glas de la démocratie en Turquie. »

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