© Nathalie Guyon

Leïla Kaddour (France 2) : « au journal télévisé, on ne fait pas de la vente »

La journaliste, présentatrice occasionnelle des journaux de France 2 le week-end, se fait une idée stricte de son métier, qu’elle entend pratiquer avec une rigueur et une clarté maximales. L’ancienne prof de lettres, faisant fi des stéréotypes, aime aussi varier les plaisirs culturels.

Vous avez été enseignante, vous êtes aujourd’hui journaliste. Quels sont les points communs entre ces deux métiers ?

L’enseignant est détenteur d’un savoir, qu’il doit passer à un auditoire, constitué de ses élèves. Le journaliste, lui aussi, est un passeur, entre l’information et le public, que celui-ci soit constitué de lecteurs, d’auditeurs ou de téléspectateurs. Dans les deux cas, il s’agit de transmettre en cherchant à capter l’attention et, pour ce faire, chacun a sa patte personnelle.

Un enseignant se trouve face à ses élèves tandis qu’un journaliste n’a pas son public devant lui. Comment, dès lors, sait-il qu’il a intéressé les gens ?

En télé, on mesure l’audience. Cette mesure est quantitative, pas qualitative, on ne sait pas vraiment si on a intéressé les gens. A dire vrai, l’audience, je ne peux pas y faire grand-chose, je ne suis pas démiurge. Cependant, je considère qu’à partir du moment où je fais mon travail honnêtement, où je respecte toutes les règles déontologiques, où je vérifie mes informations – si on ment au téléspectateur, on ne le respecte pas – et où je traduis cette matière en mots, le plus clairement possible et de la manière la plus captivante possible – par exemple, en variant le ton, comme un prof le fait aussi – eh bien, il me semble que je vais dans le bon sens. Je n’ai pas de recette mais j’essaie de me mettre à la place du téléspectateur, étant donné que j’en suis un aussi. Quand je suis le journal de Laurent Delahousse (NDLR : Leïla Kaddour le remplace régulièrement dans les JT du week-end de France 2), qu’est-ce qui fait que je reste et que je regarde attentivement les reportages qu’il lance ? Bon, bien sûr, il faut un minimum de curiosité mais je lui fais confiance, je sais qu’il va m’emmener quelque part et que ça va m’intéresser.

Pour susciter l’intérêt des téléspectateurs, est-on tenté, parfois, de simplifier une information, d’utiliser un raccourci ?

Au journal télévisé, on ne fait pas de la vente. Faire de la vente pourrait conduire à faire miroiter des choses qui ne sont pas. Si, lorsque je présente le JT, je vous dis quelque chose et que je vous fais la promesse qu’on va vous l’expliquer juste après, c’est parce que c’est vrai, ce n’est pas pour vous faire rester. Si, successivement, je vous promets quelque chose qui n’a pas lieu, combien de fois allez-vous me suivre ? Pas longtemps.

Votre famille est d’origine algérienne. Vos deux grands-pères, harkis, ont été enrôlés dans l’armée française. Dans votre famille, parle-t-on de l’histoire de l’Algérie ?

L’audience, je ne peux pas y faire grand-chose »

De temps à autre mais à la manière dont on parle, me semble-t-il, dans la plupart des familles lorsqu’on évoque les grands-parents d’origine étrangère… On revient parfois sur certains événements de leur vie. Par exemple, mon grand-père maternel a été prisonnier de guerre à Baden-Baden ; alors, quand un documentaire sur la Seconde Guerre mondiale est diffusé, si ma mère le regarde, il arrive qu’ensuite elle me raconte une anecdote sur cette époque, qu’elle a tirée de son père mais qui, avec le temps qui passe, s’est un peu diluée…

Vous arrive-t-il de comparer, voire confronter, l’histoire officielle de l’Algérie avec les histoires personnelles racontées par vos grands-pères ?

Indigènes, de Rachid Bouchareb (2006), l'histoire de quatre Algériens engagés volontaires pour sauver la France.
Indigènes, de Rachid Bouchareb (2006), l’histoire de quatre Algériens engagés volontaires pour sauver la France.  » Un travail de mémoire a commencé à se faire, doucement. « © MOVIESTORE COLLECTION/ISOPIX

Oui, mais pas davantage que si mes grands-pères s’étaient appelés Jean et François plutôt qu’Abdelkader et Jelloul ou que si je voyais un documentaire sur la Résistance ou le rationnement. Je me suis beaucoup documentée sur la Seconde Guerre mondiale, mais cette guerre a un rapport beaucoup plus direct avec la France qu’avec ma famille. Par ailleurs, l’histoire officielle est ce qu’elle est et l’histoire familiale n’en est pas forcément représentative. En plus, mes grands-pères n’ont pas occupé de postes de décision, c’étaient des soldats, et que voulez-vous qu’un soldat vous dise de la guerre ? On a été emmené d’un point A à un point B, et on a combattu… Cela étant, en France, on a des films, notamment Indigènes, et un travail de mémoire a commencé à se faire, doucement… Des éléments d’histoires familiales ont mis en lumière le statut de ces soldats qui se sont engagés pour la France – soit lors de la guerre d’Algérie, soit déjà bien avant, comme cela a été le cas de mes grands-pères militaires de carrière. Il faut se rendre compte aussi que les anecdotes familiales ne sont pas forcément très riches, étant donné que les aînés n’étaient pas forcément très bavards… Les soldats parlent difficilement de ce qui leur est arrivé.

Un journaliste qui a envie de comprendre ce qui se passe quelque part dans le monde peut-il se passer de se rendre sur le terrain ?

Il n’y a pas de disciplines plus nobles que d’autres »

Non, et c’est bien pour cela qu’à France 2, comme dans toutes les rédactions, on a des correspondants à l’étranger, qui vivent dans les pays souvent depuis plusieurs années, et qui connaissent le terrain. Ils ne sont pas là-bas pour faire des resucées d’articles, ils ont un réseau, ils enquêtent. Et nous, en studio, on n’est pas là pour orienter leurs réponses, on ne peut pas avoir d’idées préconçues. Un exemple : après l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis, il y avait une différence entre dire  » Ce doit être un jour catastrophique pour le pays  » et poser la question  » Comment les Etats-Unis se sont-ils réveillés ce matin ?  » Ce n’est pas du tout la même chose de demander  » Comment les Etats-Unis se sont-ils réveillés ce matin ?  » et  » Les Etats-Unis ne se sont-ils pas réveillés avec la gueule de bois ce matin ?  » Moi, je ne pose pas une question pour avoir une réponse à laquelle je m’attends, je pose une question pour avoir une vraie réponse. Donc, avant un journal, je m’entretiens avec les correspondants, avec les envoyés spéciaux, je leur demande ce qu’ils ont vu et ce que, d’après eux, cela peut bien vouloir dire. Notre travail, c’est enquêter, récupérer des informations et les agglomérer pour les proposer dans un ensemble compréhensible. C’est strictement ce travail-là qu’on fait. Ce n’est pas du prêt-à-penser. Je peux dire que l’élection de Trump est perçue comme inquiétante par un grand nombre, mais mon rôle n’est pas de dire que l’élection de Trump est inquiétante. Mes opinions, je les laisse au vestiaire – ou alors, je m’engage en politique.

Dans La Bande originale, sur France Inter, vous avez un jour fait remarquer que l’on peut aimer jouer à des jeux vidéo et aimer lire (c’est votre cas)… Faut-il vraiment rappeler ce type d’évidence ?

Remettons les choses dans leur contexte : dans l’émission en question, je voulais rappeler que l’on n’est pas obligé d’opposer les  » anciens  » et les  » modernes « , qu’il n’y a pas de camp à choisir… C’était une sorte de combat contre les stéréotypes. Je pense que l’on a plein de stéréotypes en tête et que l’on considère souvent qu’il y a des matières, des disciplines plus nobles que d’autres. C’est un postulat que je trouve faux et qui mène à des raisonnements viciés. On peut avoir des goûts très éclectiques. Etre un sportif accompli ne fait pas de vous un idiot… Etre un passionné de littérature ne fait pas de vous un être asocial… Ce sont des évidences mais face aux raccourcis, aux avis à l’emporte-pièce, pourquoi ne pas les rappeler ? On peut légitimement être intéressé par tout, apprécier des choses très différentes – et cela fait la richesse des individus. J’ai ce type de rapport à la culture. Je ne dis pas que j’aime tout mais je m’intéresse à tout. Ainsi, en cinéma, j’aime des comédies grand public mais aussi des films d’auteur. Pour passer pour une fille hyprachic, je pourrais vous dresser une liste de mes goûts en ne citant que des biens culturels hyprachics, ou considérés comme tels ; or, je pense qu’être hyprachic, c’est être capable de se balader partout… J’adore Le Goût de la cerise, d’Abbas Kiarostami, un film que je trouve merveilleux et qui m’émeut au possible, mais je raffole aussi de Zoolander, qui est une comédie déjantée. De la même manière, je peux aimer lire Mon oncle Oswald, de Roald Dahl, un roman génial et déluré, et aimer me replonger dans Les Amours, d’Ovide. La question centrale, c’est celle du plaisir. En tout cas, moi, c’est la question que je me pose : qu’est-ce qui va me faire plaisir ? A partir de là, je trouve du bon et du mauvais partout. Il y a de très bons polars et de moins bons polars comme il y a de très bons romans et de moins bons romans. Ce n’est pas le genre qui fait la qualité. Je pense qu’il faut être un peu aventureux.

Pour prendre un autre exemple, il n’y a donc pas, d’un côté,  » les scientifiques  » rigoureux et, de l’autre,  » les littéraires  » qui le seraient moins…

C’est la dichotomie habituelle mais selon moi, peu importe que l’on soit davantage littéraire ou davantage scientifique ou autre chose… Quand on est mû depuis toujours par une exigence de rigueur, on finit par s’approcher le plus près possible de la rigueur. Et puis, il suffit de songer un instant à des penseurs comme Pascal ou Aristote : tous deux excellaient aussi bien en sciences que dans les humanités.

Propos recueillis par Johan Rinchart, à Paris.

Bio Express

1980 : Naissance, le 25 juin, à Aubergenville (Yvelines).

2003-2008 : Prof de lettres.

2009-2011 : Formée au journalisme.

2011 Présentatrice à i-Télé.

2012-2014 : Présentatrice des JT d’Arte.

Depuis 2014 : Chroniqueuse dans La Bande originale (France Inter).

Depuis septembre 2016 : « Joker » de Laurent Delahousse au JT de France 2.

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