Mahomet, selon une illustration persane du XVIe siècle. © Domaine public/Bibliothèque nationale de France

Le vrai visage de Mahomet

Le Vif

Le Coran l’évoque peu, les autres écrits sur lui restent confus : quelle fut la vie du fondateur de l’islam ? Du nomade au guerrier, du religieux au politique, voyage aux sources du Prophète.

« Philosophe, apôtre, orateur, législateur, guerrier, conquérant d’idées, restaurateur de dogmes rationnels, fondateur de vingt empires terrestres et d’un empire spirituel, voilà Mahomet. » Ainsi le décrivait un de ses nombreux admirateurs, Alphonse de Lamartine, qui ajouta qu’il fut aussi créateur d' »un culte sans image ». Au point de rendre son portrait difficile. Mais la représentation du Prophète n’a pas toujours été proscrite, surtout au Moyen Age – en particulier dans les régions turques et iraniennes du monde islamique – durant les épisodes marquants de son existence (voir l’illustration ci-contre). Ce qui nous laisse découvrir un individu fidèle à ce qu’on lit dans les textes : de taille moyenne mais à forte carrure, trapu ; une physionomie douce avec un teint blanc rosé, des yeux noirs et une barbe fournie qui encadre son visage.

Parmi les prophètes monothéistes – Jésus et Moïse – Mahomet (ou plutôt Muhammad – le Loué, Celui qui reçoit des louanges) est sans doute celui sur lequel les sources écrites demeurent les plus nombreuses. Et c’est précisément là que le bât blesse : de la profusion à la confusion, il n’y a qu’un pas, et les historiens ont, parfois, du mal à séparer le bon grain de l’ivraie. Le Coran évoque succinctement la personne du Prophète et, pour avoir des détails sur sa vie, il faut se référer à une multitude de sources. Au premier rang se trouve la sira, biographie sous forme de chroniques fondées sur les témoignages de ses compagnons. Il faut aussi se référer aux hadith – récits relatant ses actions, faits et gestes. Problème, ces écrits ne sont pas contemporains de l’épopée mahométane, ils ont été transmis oralement avant d’être rédigés plusieurs décennies, voire plusieurs siècles après.

Un homme simple, employé dans le commerce caravanier

Ainsi, l’historicité de Mahomet ne fait aucun doute, mais pour les épisodes de sa vie, les spécialistes en sont encore réduits à se fonder sur le corpus religieux de l’islam, la sunna (tradition). Avec son lot d’exaltation propre à la foi et d’approximations historiques. Tel est le cas de l’année de naissance du Prophète, communément admise en 570, mais sans certitude. Les hadith stipulent qu’il est arrivé « l’année de l’éléphant », sans autre précision. En ce temps-là, La Mecque demeure une place commerciale et financière importante, prise en étau entre les empires perse et byzantin (voir la carte page 48). Les Mecquois, dominés par la tribu des Koraïchites, contrôlent une bonne partie des échanges entre le Yémen, au sud, et la Syrie, au nord. Ils tirent aussi leur puissance de leur sanctuaire, déjà lieu d’un pèlerinage polythéiste, où la Kaaba (maison de Dieu) voit défiler les croyants.

Le jeune Mahomet serait issu d’un milieu relativement modeste ; la tradition précise qu’il n’a pas connu son père et que sa mère est morte alors qu’il avait 7 ans. Hébergé par son grand-père, puis par son oncle, l’enfant se trouve avant tout élevé par une nourrice bédouine. D’ailleurs, comme la plupart des gens de son clan, il passe le plus clair de son temps dans le désert à effectuer des allers-retours sur le chemin de la Syrie. Tout comme Jésus dans le Nouveau Testament, le corpus religieux musulman présente le Prophète comme un être simple, honnête et droit. Des qualités morales exemplaires qui le font rapidement remarquer. Agé de 25 ans, Mahomet est employé dans le commerce caravanier par une femme riche, veuve, prénommée Khadidja. Rapidement, elle en fait son commis, puis l’épouse. De cette union naîtront sept enfants, dont trois garçons morts en bas âge.

« Mahomet est présenté par la tradition comme un individu ordinaire, bon père de famille, explique Vanessa Van Renterghem, chercheuse à l’Institut français du Proche-Orient (Ifpo), à Damas. Ce qui rend l’épisode de la révélation, où l’homme devient prophète, encore plus violent. » Mahomet avait l’habitude, une fois par an, de partir se recueillir au mont Hira. Il pouvait y rester plusieurs nuits pour se consacrer à des exercices de dévotion. En 610, à l’âge de 40 ans, il est tiré de son sommeil par l’archange Gabriel, qui – sans se présenter – l’enjoint de réciter les premiers versets du Coran. Dans un premier temps, l’homme, saisi d’effroi, rejette ce qu’il vit. Au point de songer à se tuer. Mais, chaque fois qu’il grimpe sur une montagne pour s’en précipiter, Gabriel apparaît pour lui rappeler : « Tu es le prophète de Dieu. » Lorsqu’il rejoint sa demeure pour s’y réfugier, il trouve en Khadidja un indéfectible soutien. Peu à peu, il s’ouvre aux siens pour raconter les épisodes des révélations, lesquelles vont durer vingt années.

L’oumma, un groupe fondé sur l’appartenance religieuse

Au début, quelques proches lui font confiance et se convertissent, puis le cercle s’agrandit. « Se soumettre à un Dieu unique n’était pourtant pas aisé dans le contexte de polythéisme arabe », poursuit Vanessa Van Renterghem. Trois années passent, jusqu’à ce que l’archange demande à Mahomet de ne plus garder sa religion secrète, mais de la divulguer à son peuple. Ce prosélytisme devient pour lui un devoir mais lui attire rapidement de sérieuses inimitiés. A La Mecque, où une partie de la richesse provient du culte rendu aux idoles, le discours passe mal. Les tensions deviennent vite insupportables et les décès de Khadidja et de son propre oncle, Abou Talib, en 619, poussent Mahomet à quitter la ville sainte.

Nouvelle vie, nouveau calendrier, nouvelle organisation. Le Prophète et une soixantaine de compagnons partent pour Yathrib, l’actuelle Médine, à 350 kilomètres au nord de La Mecque, le 16 juillet 622. Une date emblématique, puisqu’elle marquera le début d’une nouvelle ère pour l’ensemble des musulmans, l’Hégire (rupture). En attendant, Mahomet s’installe au centre de l’oasis, fait construire sa maison, premier sanctuaire islamique, et jette les bases d’une théocratie mêlant pouvoirs religieux et politique : « Avant l’arrivée de l’islam, la structure dominante de la péninsule Arabique reste celle de la tribu, à savoir une organisation sociale fondée sur un ancêtre commun qui se divise en clans, raconte Vanessa Van Renterghem. Au nom de cette filiation, ses membres se doivent une solidarité économique et juridique. » A Médine, Mahomet propose un système révolutionnaire : « On sort du cadre de la parenté pour former un groupe fondé sur l’appartenance religieuse, l’oumma (communauté des croyants) », note la chercheuse.

Cette communauté se veut égalitaire et accueille des gens de tous horizons. Peu à peu, les rangs de la communauté grossissent et les besoins augmentent. Le Prophète, devenu entre-temps législateur, doit se muer en guerrier du désert pour la survie du groupe. Sa troupe s’attaque aux plus riches caravanes – des razzias, somme toute assez courantes pour l’époque, permettant un accès aisé à certaines ressources. Puis il devient chef de guerre lorsque, après une nouvelle révélation, il reçoit des versets lui demandant de combattre les Mecquois. Dans les récits, le Prophète est présenté moins comme un guerrier impitoyable que comme un génial stratège. Ainsi, en ce matin du mois de janvier 630, lorsqu’il décide, accompagné de 10 000 soldats, de marcher sur La Mecque. Une démonstration de force suffisante : il entre dans la ville sainte sans vraiment combattre, soumet, puis convertit ses habitants en détruisant les statuettes autour de la Kaaba. Un geste symbolique qui met fin au culte des idoles et interdit le polythéisme au profit d’Allah, dieu unique.

Il reste à Mahomet deux ans à vivre. Il les passe à Médine, s’autorise quelques expéditions militaires qui l’amènent à dominer l’essentiel de la partie ouest de l’Arabie actuelle (Hedjaz). Apparaît la dernière dimension du personnage : le diplomate. Les tribus conquises doivent se convertir à l’islam, payer un tribut, mais l’allégeance est plus politique que religieuse. Finalement, le 8 juin 632, il meurt d’une fièvre, après plusieurs semaines de maladie, dans les bras d’Aïcha, son épouse favorite .

Par Bruno D. Cot

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