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Le Venezuela accablé par la violence

Le Vif

Phénomène ancien mais en forte expansion, l’insécurité a été l’un des thèmes majeurs de la campagne pour l’élection du successeur de Hugo Chavez, ce dimanche. Le Venezuela connaît le taux d’homicide le plus élevé d’Amérique du sud. Quelles en sont les raisons?

« Le 15 avril », en tant que Président, « je prendrai la responsabilité de ce sujet, de la vie, du combat contre la criminalité » pour le convertir en « thème central de tout ce que nous faisons », assurait il y a quelques jours Nicolas Maduro, candidat à la succession d’Hugo Chavez au Venezuela. Quelques jours plus tard, le président par intérim expliquait, devant une assemblée de pasteurs évangéliques, que « seule la voie du socialisme nous permettra de sauver ce pays et de parvenir à l’union et à la paix de la nation ».

Le Venezuela est en effet le pays le plus violent d’Amérique du sud. Le ministère de l’Intérieur avance le chiffre de 55 morts pour 100 000 habitants. Mais l’Observatoire vénézuélien de la violence (OVV) estime dans son dernier rapport que le Venezuela a atteint en 2012 le chiffre record de 73 morts pour 100 000 habitants. Depuis quelques années déjà, le pays dépasse les scores de la Colombie voisine (34/100 000), un pays pourtant confronté à des décennies de violence politique.

A l’échelle de l’Amérique latine, le Venezuela n’est dépassé que par le Honduras (91/100 000 en 2011), selon l’Organisation des Etats eméricains. Et surtout, l’insécurité a connu une très forte croissance ces dernières années. Selon l’OVV, une organisation non gouvernementale, le nombre d’homicides a été multiplié par quatre entre 1999 et 2010. Comment expliquer cette exception vénézuélienne?

La malédiction du pétrole La violence est un phénomène ancien dans le pays. Caracas était déjà considérée comme l’une des villes les plus violentes du continent dans les années 1990. Pour Olivier Compagnon, chercheur à Paris III, spécialiste du Venezuela, la manne pétrolière, très inégalement redistribuée dans le pays est l’une des causes de cette violence endémique: « Son exploitation, qui remonte aux années 1910, a permis le développement de fortunes colossales. Pendant les années 1970, on parlait même de ‘Venezuela saoudite’ en raison de l’afflux de pétrodollars qui inondait le pays. »

Mais cette richesse a été accaparée par une petite minorité. « Aujourd’hui encore, les beaux quartiers côtoient les ranchos (bidonvilles), étalés sur de vastes étendues à Caracas et dans sa banlieue -comme au Brésil, voire davantage. Cette manne d’argent facile a d’autant plus tendu les relations sociales au Venezuela que la politique de redistribution n’était que limitée », souligne le chercheur.

« La forte explosion démographique de ces quinze dernières années, mal maîtrisée, s’est accompagnée d’un exode rural sans précédent. Aujourd’hui, les 4/5e de la population du Venezuela vit autour de Caracas », expliquait à L’Express la chercheuses Jessica Brandler-Weinreb, à l’automne. Une grande partie de ces nouveaux venus sont la proie des gangs installés dans les bidonvilles qui entourent la capitale.

« Le Venezuela était, à l’instar des autres pays d’Amérique latine, parmi les pays les plus inégalitaires au monde jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Hugo Chavez, il y a quatorze ans », rappelle Olivier Compagnon. Depuis, les écarts se sont nettement réduits: l’indice de Gini qui mesure l’inégalité dans la répartition des richesses est passé de 49,8 en 1999, à 39,4 en 2010 (contre 52 au Chili), mais cela n’a pas suffi à éradiquer la violence.

Une corruption débridée

La richesse générée par le pétrole est sans doute aussi, pour Olivier Compagnon, l’une des raisons qui expliquent le niveau très élevé de corruption qui règne dans le pays, et tout particulièrement au sein des forces de l’ordre. « Au Venezuela où l’Etat est très faible, la corruption est généralisée et touche tous les échelons de la société; elle est omniprésente, beaucoup plus forte que dans les pays voisins », souligne le chercheur.

A cette prévarication s’ajoute une très faible formation de la police, elle-même responsable d’une partie des morts violentes dans le pays, comme le relève un rapport de l’International Crisis Group. Cette étude accuse par ailleurs les autorités vénézuéliennes de « tolérer la complicité d’éléments des forces de sécurité et de hauts responsables du parti au pouvoir avec des organisations criminelles, en échange de leur loyauté ».

La hausse de la violence est sans doute aussi un effet secondaire du Plan Colombie de lutte contre le narcotrafic, mis en oeuvre avec l’appui des Etats-Unis. Ce dernier « a désorganisé les cartels colombiens et entraîné un redéploiement des routes de la drogue, renforçant la place de Caracas comme plaque tournante du trafic entre l’Amérique du sud, les Etats-Unis et l’Afrique », complète Olivier Compagnon, qui précise que le Brésil est lui aussi confronté à un regain de ce trafic, « exporté » de Colombie.
Les pauvres, premières victimes

La forte circulation des armes à feu au Venezuela contribue également à cette accélération. Comme souvent dans les zones confrontées à l’insécurité, les beaux quartiers sont ceux qui donnent le plus de retentissement médiatique à la délinquance, mais la violence frappe en premier et surtout les pauvres.
« Il y a 15 ans, on volait à un riche son blouson de marque; aujourd’hui, on enlève une vendeuse d’empanadas pour lui subtiliser sa recette du jour de 150 bolivars (quelques euros, ndlr) », raconte Jessica Brandler. L’autre sport national est le ‘secuestro express ‘, l’enlèvement minute. On vous extorque, sous la menace, l’argent que portez sur vous ou on vous oblige à vider votre compte à l’aide de votre carte bleue. »

Par ailleurs, l’impunité qui, selon l’OVV, concerne 90% des crimes commis dans le pays, contribue elle aussi à la violence: certains habitants décident de « se faire justice eux-mêmes », explique le sociologue et directeur de l’ONG, Roberto Briceño. Pour compléter le tout, l’International Crisis Group s’inquiétait, en août 2011, de la distribution d’armes par les autorités à des dizaines de milliers de civils afin de « défendre la révolution chaviste ». Dans un contexte de forte polarisation politique, cette pratique amenait l’ONG à s’interroger sur la volonté réelle du gouvernement de s’attaquer à l’insécurité.

L’équipe de Hugo Chavez a tardé à prendre la mesure de ce problème. Une campagne, « A toda vida Venezuela », a bien été lancée avant l’élection présidentielle de l’automne. Il s’agit de renforcer les politiques préventives et les instruments de répression, tout en améliorant l’attention portée aux victimes. Mais le combat contre l’insécurité est une lutte de longue haleine. « Elle passe par un renforcement de l’homogénéisation sociale, ce qui ne peut être réalisé que sur le long terme, ainsi qu’une réforme profonde de la police », explique Olivier Compagnon.

Le bilan désastreux d’Hugo Chavez en termes de violence n’avait pas suffi à empêcher sa réélection en octobre dernier, mais son héritier Nicolas Maduro, à qui le charisme de son prédécesseur fait défaut, sera certainement contraint d’affronter ce fléau, s’il veut se maintenir au pouvoir.

Catherine Gouëset

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