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« Le tribunal international pour le Rwanda : un travail indispensable dans la lutte contre l’impunité »

Le Rwanda commémore le génocide des Tutsis, perpétré il y a 25 ans. Le 2 septembre 1998, le premier procès devant le tribunal pénal international d’Arusha aboutissait à la condamnation pour génocide de l’ancien bourgmestre de Taba, Jean-Paul Akayesu. Quel bilan tirer de cette juridiction internationale qui a fermé ses portes en 2015 ? Les réponses d’Ornella Rovetta (1), chercheuse à l’ULB.

Comment le Tribunal pénal international pour le Rwanda (Tpir) a-t-il été mis en place, et quel a été le déclencheur ?

Le remords est souvent avancé comme explication : l’ONU était présente au Rwanda depuis 1993 avec une mission de maintien de la paix (Minuar), mais elle n’a pas été en mesure de prévenir les massacres. Elle va même décider de retirer la grande majorité des casques bleus. Le Conseil de sécurité se rattrape donc en créant ce tribunal le 8 novembre 1994. Cependant, dans mes recherches, j’ai constaté que la question de la justice émerge dès fin avril. Les ONG sont entre-temps montées au créneau pour réclamer la fin de l’impunité. Le Conseil de Sécurité reste toutefois frileux, d’autant plus que le Rwanda continuait d’y siéger en tant que membre non permanent.

Ornella Rovetta, chercheuse à l'ULB, auteure de Un génocide au tribunal (Belin).
Ornella Rovetta, chercheuse à l’ULB, auteure de Un génocide au tribunal (Belin).© IVAN DUPONT

Concrétiser un tel projet, écrivez-vous, était loin d’être une évidence. Pourquoi ?

En 1994, le seul précédent est le tribunal militaire de Nuremberg de 1945. Le tribunal pénal international pour la Yougoslavie de 1993 n’a encore émis aucun jugement, et on ne dispose pas encore de justice internationale permanente, comme la Cour pénale internationale, qui sera créée en 1998 sur base volontaire. Le cheminement est donc lent, et les réticences nombreuses. Quand le Tpir est mis en place, c’est la première fois qu’on va juger sur la base de la qualification juridique de génocide, ce qui n’était pas le cas à Nuremberg. La Convention de 1948 sur le génocide sera intégrée aux statuts du Tpir. C’est aussi la première fois que le viol est décrit comme crime de génocide.

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Le premier procès, que vous avez particulièrement examiné, a-t-il dû  » essuyer les plâtres  » ?

En 1998, le premier procès devant le Tpir a mené à la condamnation de l’ancien bourgmestre de la commune de Taba, Jean-Paul Akayesu, pour génocide, incitation à commettre le génocide et crimes contre l’humanité. A travers ce procès, on peut voir comment se construit une juridiction internationale. Le Tpir va devoir répondre à une série de défis. D’abord, sa localisation à Arusha, en Tanzanie, avec ce que cela suppose comme déplacements de témoins, d’avocats… Le Rwanda le voulait sur son territoire mais le Conseil de sécurité a opté pour un Etat neutre. Ensuite, il faut appréhender l’histoire du pays, sa langue, installer un dispositif de traduction, répondre à des questions qui ne s’étaient jamais posées auparavant comme le rôle des témoins-experts… Sans compter que pour arrêter les inculpés, il faut la coopération des Etats. Les magistrats venaient d’horizons juridiques très différents. Non, ce n’était pas un procès pour le symbole. Quand j’ai relu toutes les archives, j’ai constaté une grande attention à l’établissement des faits.

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La prédominance de témoignages oraux n’a-t-elle pas fragilisé la crédibilité du tribunal ?

Le Tpir ne s’est pas basé exclusivement là-dessus. Certes, il n’y a pas beaucoup d’images des massacres en train de se produire, mais il en existe d’autres qui attestent d’autres aspects du génocide, par exemple tel bourgmestre qui dénonce publiquement des personnes à la radio. Il existe aussi nombre de sources écrites, comme la presse extrémiste du type Kangura. Et puis, les témoignages oraux ne sont pas forcément faux !

L’héritage du Tpir semble moins consensuel que celui de Nuremberg. Pourquoi ?

Alors que Nuremberg n’a duré qu’un an, le Tpir s’est étiré sur près de vingt années pour conduire 52 procès et juger 74 personnes. Certains jugent ce bilan insuffisant. Mais au début les moyens étaient assez modestes et les défis logistiques immenses. Entre les arrestations, les jugements et les appels, le processus était lent et complexe. Les détracteurs vont dire qu’on n’a pas jugé les crimes attribués au FPR. Mais le Tpir a été créé pour juger les crimes de génocide commis au Rwanda. Donc je ne comprends pas ce reproche. Au départ, il s’agissait même de juger les crimes uniquement durant la période du génocide. Finalement, on a choisi une période neutre, à savoir du 1er janvier au 31 décembre 1994. A l’époque s’est aussi posée la question : faut-il juger, en plus de ceux qui commettent le génocide, ceux qui le pensent ? On a finalement répondu par l’affirmative, l’idée étant d’en juger les cerveaux.

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Les détracteurs parlent aussi de justice de vainqueurs, de manque de séparation des pouvoirs…

Le Tpir a certes été créé par l’ONU mais je n’ai pas constaté de directives imposées par le Conseil de sécurité. C’est un tribunal sans doute traversé par les tensions et les atermoiements du moment… Cela dit, toutes les archives ne sont pas encore ouvertes. Une justice de vainqueurs ? Il y a eu 14 acquittements, dont certains ont été critiqués. Et puis, quand un génocide est commis, c’est difficile de déterminer des vainqueurs. Les victimes n’ont rien gagné, elles ne pouvaient même pas se constituer parties civiles. Elles n’avaient de place qu’en tant que témoins.

Un génocide au tribunal, le Rwanda et la justice internationale, Belin, 444 p.
Un génocide au tribunal, le Rwanda et la justice internationale, Belin, 444 p.

Que reste-t-il du Tpir, à part 74 jugements et des tonnes d’archives ?

Il reste les jugements et la reconnaissance juridique du génocide perpétré contre les Tutsis. Il reste aussi une matière inestimable pour quiconque s’intéresse à l’histoire du génocide. Le Tpir doit être inscrit dans un ensemble de procédures judiciaires, que ce soit les gacaca (NDLR : tribunaux populaires au Rwanda, clôturés en 2012) ou les procédures qui se poursuivent en Belgique, en France, en Suède… C’était un travail indispensable et qui a participé à la lutte contre l’impunité.

(1) Auteure de Un génocide au tribunal, le Rwanda et la justice internationale, Belin, 444 p.

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