Pangolins morts saisis par les autorités indonésiennes lors d'une opération visant à déjouer une opération de contrebande en juin 2017. © AFP

Le trafic d’animaux sauvages tisse sa toile

Stagiaire Le Vif

S’il fallait attribuer une médaille aux différents trafics, celui des animaux exotiques décrocherait la breloque en chocolat. Classée juste derrière les marchés clandestins des armes, des stupéfiants et des êtres humains, la vente d’espèces sauvages – vivantes ou non – générerait un chiffre d’affaires annuel de 19 milliards de dollars.

Difficile d’enrayer ce commerce illégal qui se propage sur des sites de vente en ligne. Les annonces malveillantes pullulent. Et en Belgique, aucun contrôle systématique n’est effectué.

Thunderbird pour nom de code et un butin estimé à 5,1 millions de dollars. Dans le lot, pas moins de 4.770 oiseaux, une centaine de fauves et même 2,75 tonnes d’écailles de pangolin, ce petit mammifère qui détient la palme peu enviable d’espèce la plus braconnée au monde. Sa peau aurait des vertus thérapeutiques, voire aphrodisiaques. Jusqu’ici, l’affirmation ne repose sur aucune base scientifique.

L’opération de grande ampleur menée par Interpol – et surnommée Thunderbird (oiseau-tonnerre en français) – a permis l’identification de 900 suspects et la saisie de 1.300 produits illicites. La Belgique participait à la manoeuvre, aux côtés de 42 autres pays. Police, douane et officiels de l’environnement et de la faune étaient aux premières loges de cette enquête qui visait principalement les sites Internet et les réseaux sociaux. Là où grouillent les annonces qui proposent des « produits » issus de la vie sauvage. Durant trois semaines, l’organisation internationale de police criminelle a traqué ces cybercriminels.

Dans la même veine, un rapport présenté par l’IFAW, le Fonds international pour la protection des animaux, détaille le monitoring effectué par l’organisme sur 280 sites en ligne, répartis dans seize pays. Leurs équipes ont identifié plus de 30.000 annonces qui incluaient des animaux vivants ou des parties d’animaux. Un chiffre édifiant, d’autant plus que l’enquête n’a duré que six semaines et qu’elle ne concernait qu’une zone géographique limitée.

LES AUTORITÉS BELGES PRÉOCCUPÉES

Contacté par Le Vif, le SPF Santé publique, sécurité de la chaîne alimentaire et environnement affirme prendre le problème à bras le corps. « Dès cette année, nous avons renforcé notre travail sur l’e-commerce et avons, à cet effet, mis en place un groupe de travail interne« , déclare son service de communication. Cette branche du SPF, appelée cellule CITES, devra élaborer un programme capable d’identifier les annonces qui contreviennent aux normes prévues la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées (CITES).

Cette convention, signée à Washington en 1973 et ratifiée onze ans plus tard par la Belgique, classe les espèces en trois annexes selon le niveau de protection qu’elles requièrent. La cellule CITES belge a pour mission de vérifier les conditions des échanges commerciaux qui incluent ces spécimens. « Pour certaines espèces, le commerce est totalement interdit, renseigne le portail belge. Cette interdiction concerne plus de 900 espèces. D’autres (…) peuvent être commercialisées, mais sous certaines conditions. Des permis ou certificats sont alors nécessaires« .

En plus de délivrer les permis d’importation et d’exportation, l’émanation belge de l’accord intergouvernemental de 1973 travaille en « étroite collaboration » avec les autorités de contrôle que sont notamment les douanes ou les services de police. Les derniers chiffres communiqués remontent à 2015 et montrent un progrès. Dans un communiqué signé par Marie-Christine Marghem, ministre de l’Énergie, de l’Environnement et du Développement durable en charge de la lutte contre le wildlife (la vie sauvage, NDLR) crime, on apprend que « (la cellule belge CITES a) réalisé 237 contrôles dans le cadre de la lutte contre le commerce illégal des plantes et des animaux rares et des produits qui en sont dérivés. C’est trois fois plus qu’en 2014. 20% de ces contrôles ont été menés suite à une plainte« .

DES ALGORITHMES POUR ENRAYER LE MARCHÉ NOIR

Outre-Manche, la lutte contre le commerce 2.0 de spécimens protégés est menée par la National Wildlife Crime Unit. Cette section britannique assiste la police dans leurs enquêtes. Mais leur travail bute contre la pénibilité de la tâche qui leur incombe : traquer les annonces illégales qui prolifèrent sur la toile. Et tout ça manuellement. Des centaines voire des milliers de pages web doivent être scrutées chaque jour. Débusquer tous les articles illégaux relèverait du miracle. Du coup, d’autres pistes se développent. La lutte pour la défense des animaux en voie de disparition intéresse les scientifiques qui tentent de mettre en place des algorithmes capables de démasquer les annonces de trafiquants, comme l’explique un article paru le site Scienceline . Mais de nombreux obstacles barrent encore la route du progrès : le financement, d’abord. La barrière de la langue, ensuite.

Ces algorithmes pourraient par exemple bloquer la vente d’une défense en ivoire ou d’écailles de pangolin supposées stimuler le désir sexuel. Une équipe britannique a développé, en 2016, un algorithme capable d’extraire et d’analyser des annonces commerciales illégales issues du dark web, cette parcelle de la toile où acheteurs et vendeurs peuvent avancer masqués. Seulement, dans un article publié dans la revue Conservation Biology, les scientifiques expliquent avoir pu fouiller plus de 10.000 posts. Un seul était potentiellement lié au trafic illégal d’espèces protégées. Chou blanc, ou presque.

Un effort similaire est fourni aux États-Unis par deux chercheurs de la New York University qui tentent de mettre au point un algorithme destiné à neutraliser le cybercrime. Leur outil a d’ailleurs été récompensé du prix du Wildlife Crime Tech Challenge 2016. Leur prochaine étape ? Développer une version capable de réagir à une annonce publiée en langue chinoise. Et pour cause, selon le rapport de l’IFAW, les sites web chinois hébergent 56% des produits wildlife et des animaux vivants découverts lors des récentes enquêtes.

Internet, malgré d’indéniables avantages, rend quasiment impossible l’éradication définitive de ce trafic qui bouleverse notre écosystème. Si certains sites de vente en ligne – notamment chinois – ont décidé d’appliquer une politique stricte de lutte contre ces annonces monnayant des spécimens interdits au commerce, d’autres en profitent pour se tailler une part du gâteau. « Le braconnage des animaux sauvages atteint des proportions inquiétantes et le commerce en ligne d’espèces sauvages menacées d’extinction n’arrange rien« , déclare Azzedine Downes, un brin fataliste. Le directeur général d’IFAW poursuit : « Prisé des cybercriminels pour son anonymat, Internet met ainsi en péril la survie des éléphants et de plusieurs espèces de reptiles et d’oiseaux. »

En Belgique, comme le confirme Miet Van Looy, chef de la cellule CITES, « aucun contrôle systématique n’est effectué sur des annonces via internet. S’il y a une plainte, nous allons évidemment l’examiner et agir si nécessaire« . En attendant un algorithme performant, les autorités font avec les moyens du bord.

Rodrigue Jamin

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