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Le scandale Oxfam, ce géant de l’humanitaire

Muriel Lefevre

C’est l’une des plus importantes ONG au monde qui est plongée dans la tourmente après la révélation du recours de certains de ses employés à des prostituées lors de missions à Haïti. Portrait et coulisses de ces missions humanitaires qui jouissent d’une relative impunité.

Son nom vient d’une contraction de « Oxford Committee for Relief Famine » (Comité d’Oxford pour la lutte contre la famine), un comité constitué en 1942 par des étudiants pour venir en aide à la Grèce qui souffre, à cette époque, d’une terrible famine. Il se spécialisera par la suite dans des missions d’urgences dans les pays qui souffrent de famines ou de catastrophe naturelles. L’ONG sera aussi l’une des premières à impliquer les citoyens et des personnalités pour que ceux-ci fassent pression sur les décideurs publics.

Aujourd’hui, pas moins de 20 ONG sont affiliées sous son nom et Oxfam a 3500 organisations partenaires dans le monde. Elle agit dans 90 pays et emploie pas moins de 10.000 salariées et 50.000 bénévoles. Son siège central se trouve toujours à Oxford, mais possède des postes de lobbying (bureaux de plaidoyer) à New York, Washington, Bruxelles, Genève et Addis-Abeba. L’ONG possède aussi 1200 boutiques de seconde main dans huit pays, dont la Belgique. Celles-ci rapportent près de 187 millions d’euros par an.

Oxfam en Belgique

Il existe 3 Oxfam en Belgique, Oxfam-Magasins du monde, Oxfam Solidarité et Oxfam-Wereldwinkels, qui forment ensemble Oxfam-en-Belgique. Elle fait partie des associations regroupées au niveau international qui luttent dans le monde entier contre la pauvreté et les injustices. Elle défend également le commerce équitable et les projets de coopération au développement. Oxfam-Magasins du monde est le mouvement du commerce équitable en Wallonie et à Bruxelles. Il existe 80 Magasins du monde qui rassemblent 4500 bénévoles. Il y a aussi 40 magasins de seconde main.

L’ONG, dans sa globalité, dispose de 1 milliard d’euros. Malgré les dons privés, bon pour plus de 424 millions d’euros, Oxfam dépend pour 41,4% de financements publics comme des Etats ou des organisations internationales. Elle reçoit, par exemple, près de 68 millions d’euros de l’ensemble des fonds européens et près de 200 millions de divers états.

Haïti n’est pas la mission la plus importante de L’ONG. Elle se situe en onzième place et lui consacre pour l’ensemble de ses programmes près de 14 millions d’euros par an.

Dans la tourmente

Selon l’enquête du Times, des groupes de jeunes prostituées étaient invitées dans des maisons et des hôtels payés par Oxfam au cours d’une mission consécutive au séisme qui a fait plus de 200.000 morts en Haïti en 2010.Une source citée par le quotidien dit avoir vu une vidéo d’une orgie avec des prostituées portant des T-shirts d’Oxfam.

En outre, le quotidien affirme qu’Oxfam n’a pas prévenu d’autres ONG du comportement des employés impliqués dans ce scandale, ce qui a permis à ces employés d’obtenir par la suite des missions auprès de personnes vulnérables dans d’autres zones de catastrophes naturelles. Ainsi, le Belge Roland van Hauwermeiren, 68 ans, contraint de démissionner, comme l’a confirmé Oxfam, de son poste de directeur pour Haïti de l’organisation après avoir admis avoir engagé des prostituées, est devenu chef de mission pour Action contre la faim (ACF) au Bangladesh de 2012 à 2014.

Roland van Hauwermeiren est le seul Belge impliqué dans les accusations d’orgies a assuré vendredi la porte-parole d’Oxfam-Solidarité en Belgique, Esther Favre-Félix. Esther Favre-Félix précise que Roland van Hauwermeiren n’a jamais travaillé dans la branche belge d’Oxfam et qu’il n’occupe aujourd’hui plus aucune fonction au sein de l’organisation. Les employés impliqués dans ce scandale sont issus de la branche britannique d’Oxfam.

ACF avait contacté Oxfam avant de recruter Roland van Hauwermeiren, mais l’ONG ne lui avait pas indiqué les raisons de sa démission, a déclaré à l’AFP Mathieu Fortoul, porte-parole d’ACF. « En outre, nous avons reçu des références positives de la part d’anciens employés d’Oxfam – à titre individuel – qui ont travaillé avec lui, dont une personne chargée des relations humaines », a ajouté le porte-parole.

Oxfam a assuré avoir lancé, dès connaissance des accusations, en 2011, une enquête interne. Quatre employés ont été licenciés et trois autres, dont Roland van Hauwermeiren, ont démissionné avant la fin de cette enquête, a indiqué Oxfam. L’ONG dit n’avoir fourni aucune référence positive les concernant. La directrice générale adjointe d’Oxfam Penny Lawrence a, elle, démissionné lundi.

L’organisation s’est défendue d’avoir voulu dissimuler les faits afin de protéger sa réputation. L’ONG a condamné le comportement « totalement inacceptable » des employés visés et indiqué que « les accusations selon lesquelles de jeunes filles mineures étaient impliquées ne sont pas prouvées ».

Le scandale Oxfam, ce géant de l'humanitaire
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Peur de lancer l’alerte

Le scandale interpelle la communauté humanitaire mondiale. En Haïti, les employés étrangers sont partagés entre la crainte d’un amalgame et le désir d’assainir les relations. « Les politiques de protection (des bénéficiaires de l’aide humanitaire) existent depuis longtemps au sein des Nations unies et de la majorité des ONG, mais, en cas d’exploitation et d’abus sexuels, reste le problème de pouvoir lancer l’alerte sans subir ensuite personnellement un retour de flammes », témoigne une responsable d’organisation humanitaire en Haïti. L’idée qu’un responsable de l’organisation, soupçonné de crimes sexuels, ait pu continuer sa carrière est ce qui choque aujourd’hui le plus au sein de la communauté humanitaire. « Mon plus grand problème est de savoir que quelqu’un, accusé et reconnu coupable d’exploitation sexuelle, a pu trouver d’autres emplois dans d’autres pays », s’insurge la responsable humanitaire. « C’est un échec cuisant des services de ressources humaines. Beaucoup appellent à la création d’une liste noire au sein de la communauté humanitaire », conclut-elle.

La relative impunité des ONG face à un état faible

Le scandale met aussi en lumière la relative impunité de ces organismes face à un Etat faible et l’extrême pauvreté de la population. Santé, éducation, urbanisme, gestion de l’eau… En Haïti, les ONG travaillent depuis des décennies dans de multiples secteurs, au point de se substituer parfois à l’Etat qui a du coup aussi perdu le contrôle d’une partie de l’aide au développement.

« On a parlé à un moment de 600 ONG présentes et il y a eu une augmentation extrêmement importante de leur présence après le séisme de 2010: il est évident que beaucoup d’ONG fonctionnent sans être inscrites auprès du ministère de la Planification », relève Camille Chalmers, économiste haïtien.

« Un flux toujours plus important d’aide bilatérale et multilatérale transite à travers les ONG, ce qui en fait des acteurs incontournables dans le cadre des politiques publiques de développement », souligne-t-il.

‘Mondes parallèles’

Cette prépondérance s’accentue d’autant plus que ces financements sont effectués en dollars américains, créant de facto un fossé entre les employés de ces organisations et le reste de la population. « Ceux qui détiennent des revenus en dollars américains ont des privilèges énormes dans la société haïtienne: les niveaux de vie sont différents », constate M. Chalmers.

Face à un chômage de masse, près de 60% des Haïtiens survivent avec l’équivalent de moins de deux dollars par jour en effectuant de petits travaux informels. Pour l’économiste, des « mondes parallèles » coexistent avec des ONG qui « fonctionnent dans une logique d’extraterritorialité. Elles construisent leur propre territoire, leur fief, avec une logique différente du reste du pays ».

Une distanciation qui est aujourd’hui dénoncée avec encore plus de vigueur, au regard du scandale qui secoue l’organisation britannique Oxfam, car elle a pu contribuer à un sentiment d’impunité chez certains humanitaires. « Oxfam aurait pu mieux réagir. La lacune de leur démarche réside dans le fait de ne pas avoir prévenu la police, car il s’agit d’actes qui violent la loi », déplore l’avocat Mario Joseph. « Cela aurait permis une enquête et aurait amené les personnes impliquées devant la justice, mais ils font toujours des soi-disant enquêtes en interne, des répressions internes », regrette-t-il. Selon l’avocat, le poids économique des ONG et leur assistance vitale biaisent leur relation avec les autorités et les forces de l’ordre.

« Des ONG fonctionnent avec plus d’argent que l’Etat haïtien, donc il y a une peur. La police est impuissante », se désole M. Joseph. « Elles viennent pour soutenir les droits des femmes, des enfants et ce sont elles-mêmes qui, avec le pouvoir économique, profitent des faiblesses du pays pour commettre des abus, des viols, en sachant qu’il y a cette impunité, car l’Etat ne demande pas de comptes ».

Avec AFP

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