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Le « Russiagate » sonne-t-il le début de la fin pour Donald Trump ?

Le Vif

Englué dans l’enquête sur les liens troubles entre la Russie et des membres de son équipe de campagne, le président américain semble attendre son heure pour riposter.

Début de la fin ou fin du début ? Alors que les institutions et le fonctionnement de la démocratie américaine sont mis à l’épreuve par les foucades et la politique imprévisible de ce curieux chef de l’exécutif, le mal sera-t-il durable ? Ou cette présidence sera-t-elle décrite, dans les années à venir, comme une parenthèse aberrante dans l’histoire du pays ? La réaction invraisemblable de Trump après l’attentat de New York, le 31 octobre – une sous-estimation de l’attaque, suivie d’une avalanche de tweets vengeurs -, a désemparé tous les commentateurs. La tournée asiatique qui a été ensuite entamée (une douzaine de jours de voyage officiel) a fini de convaincre que le destin de cet homme restera décidément imprévisible.

Les événements de ces dernières semaines, en tout cas, marquent un changement de paradigme. Car l’enquête sur le rôle de la Russie dans la campagne présidentielle de 2016 se précise. Certes, ni le nom de Trump, ni les termes de  » collusion avec la Russie  » ne figurent dans l’acte d’accusation, long de 31 pages, remis le 30 octobre dernier à l’ex-directeur de campagne du candidat à la présidentielle, Paul Manafort, et à son associé, Richard Gates. Proches de Trump, l’un et l’autre sont désormais inculpés de conspiration et de blanchiment d’argent, ainsi que de fraude bancaire et de faux témoignage, parmi 12 chefs d’accusation. Entre 2006 et 2015, ils auraient blanchi plusieurs dizaines de millions de dollars versés par des proches du Kremlin, tel l’ancien président de l’Ukraine, Viktor Ianoukovytch. Les faits, antérieurs à 2016, ne semblent pas impliquer Donald Trump ou les membres de son clan. Mais cet épisode judiciaire marque un tournant. Car il clôt une longue période de rumeurs et de sous-entendus.

Manifestation de soutien à Robert Mueller, le 31 octobre dernier, en Californie. Le procureur spécial enquête sur le rôle de la Russie dans la campagne électorale de 2016.
Manifestation de soutien à Robert Mueller, le 31 octobre dernier, en Californie. Le procureur spécial enquête sur le rôle de la Russie dans la campagne électorale de 2016.© M. BLAKE/REUTERS

Depuis que le procureur spécial Robert Mueller a été chargé, il y a cinq mois, de l’enquête sur le rôle de la Russie dans la campagne électorale de 2016, journalistes et politiques ne disposaient d’aucune information solide : seules des sources anonymes livraient des informations parcellaires. Ce n’est plus le cas. Dé- sormais, des allégations précises, sourcées et datées, alimentent les soupçons d’actes criminels. Et ce président qui ne cesse de dénoncer les  » fausses informations  » de  » médias menteurs  » court le risque d’être rattrapé par la réalité judiciaire : le nom de Michael Flynn, ancien conseiller à la sécurité nationale, pourrait rejoindre la liste des inculpés, comme ceux de Donald Trump Junior, le fils héritier, et de Jared Kushner, gendre du président.

La menace est d’autant plus réelle que Mueller commence tout juste ses recherches et jouit d’une réputation impeccable : républicain de la vieille école, il avait été nommé par George W. Bush à la tête du FBI, puis maintenu par Obama. Un jour ou l’autre, le président pourrait bien le limoger – il s’est débarrassé de son prédécesseur, James Comey, pour les mêmes raisons, en mai dernier. Conscient, peut-être, de l’image désastreuse qu’une telle manoeuvre donnerait de sa présidence, il semble résister à la tentation. Pour l’instant.

De son point de vue, pourtant, il y a beaucoup plus grave que l’inculpation de Manafort et de Gates. Car un autre de ses anciens conseillers, George Papadopoulos, a reconnu sous serment, le 5 octobre, avoir menti aux enquêteurs et coopère aujourd’hui avec eux en échange de mesures de clémence. En d’autres termes, l’équipe de Robert Mueller dispose désormais d’une  » balance « , dont l’utilité demeure, pour le moment, impossible à évaluer. La Maison-Blanche s’évertue à expliquer que Papadopoulos, âgé de 30 ans à peine, était un bénévole parmi d’autres et jouait un rôle marginal au sein de la campagne. Pourtant, une photo prise le 31 mars 2016 le montre attablé en compagnie de Trump et de Jeff Sessions. Ce dernier est devenu entre-temps ministre de la Justice. Celui-là même qui a adoubé Robert Mueller pour mener l’enquête sur les rapports troubles entre Moscou et le clan Trump !

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Le parallèle entre le  » Russiagate  » et l’affaire du Watergate, qui causa la perte de Richard Nixon, en 1974, semble irrésistible… Dans les deux cas, un président républicain, de plus en plus isolé, s’entoure de conseillers à la probité douteuse. Aujourd’hui comme hier, le chef de l’exécutif n’hésite pas à intimider ceux qui pourraient nuire à son image. Quelque quarante-cinq ans après la célèbre affaire, des dizaines de journalistes intrépides tentent à nouveau de distinguer le vrai du faux, tandis qu’une enquête criminelle poursuit son chemin… Mais les Etats-Unis ont beaucoup changé depuis la nuit du 17 juin 1972, durant laquelle de mystérieux  » cambrioleurs « , anciens employés de la Maison-Blanche et équipés de matériel d’écoute, avaient été arrêtés au siège d’alors du Parti démocrate. A l’époque, il s’était écoulé environ six mois entre leur interpellation et le début de leur procès. Celui de Manafort comme celui de Gates n’auront pas lieu de sitôt (un juge fédéral propose la date du 7 mai 2018). Richard Gates, moins fortuné que son ancien mentor, pourrait être  » retourné  » et livrer tout ce qu’il sait en échange d’une réduction de peine. La prise est tentante pour les enquêteurs : si les deux hommes ont été associés à la campagne de Trump entre mars et août 2016, Gates est resté dans l’entourage du candidat dans les mois qui ont suivi. Il aurait même assisté à des réunions stratégiques à la Maison-Blanche, après l’investiture, en janvier dernier. Mais il est autrement plus compliqué de démontrer l’ingérence d’une puissance étrangère dans une élection présidentielle que de venir à bout d’un vrai-faux cambriolage, à deux pas de la Maison-Blanche.

Désormais, des allégations précises, sourcées et datées, alimentent les soupçons d’actes criminels

Le contexte est différent, aussi. En 1972, les démocrates étaient majoritaires à la Chambre des représentants et au Sénat. Aujourd’hui, les élus républicains dominent les deux chambres du Congrès. Et la plupart observent un silence prudent au sujet du président, décidés à aborder les élections de mi-mandat, en novembre 2018, dans les meilleures conditions possibles. Car le taux de popularité de Trump, certes bas, demeure néanmoins stable, à 38 %. Ses électeurs sympathisants, en d’autres termes, restent sourds au cirque politico-judiciaire qui occupe toutes les conversations à Washington et les débats télévisés. Les rares sénateurs républicains critiques de Trump, a contrario, dévissent dans les sondages auprès de leur électorat : Susan Collins (Maine), Lisa Murkowski (Alaska), Dean Heller (Nevada), sans oublier le leader de la majorité, Mitch McConnel (Kentucky) risquent de perdre leur siège aux élections de mi-mandat. Dans ces conditions, seul un événement spectaculaire permettrait un éventuel impeachment du président.

La famille Nixon, lors de ses
La famille Nixon, lors de ses  » adieux  » à la Maison-Blanche, le 9 août 1974. Le Russiagate, un nouveau Watergate ? © REUTERS

L’autre grande différence entre le Russiagate et le Watergate tient à l’affaiblissement des médias traditionnels. Dans les années 1970, la colère de Nixon s’exprimait souvent dans les termes les plus crus, mais toujours en privé (certaines de ses éruptions ont été enregistrées à son insu). Aujourd’hui, son successeur à la Maison-Blanche s’enflamme en public, sur Twitter. Et des centaines de commentateurs, dans les médias acquis à sa cause, relaient la parole présidentielle et mettent en cause la crédibilité du procureur spécial. Certains vont jusqu’à évoquer une collusion de la Russie avec Hillary Clinton. Pourquoi se gêner ? En 2017, à la différence de 1972, la réalité des faits revêt une importance relative.

Face à Robert Mueller, en résumé, Donald Trump peut compter sur l’appui du bras législatif – le Congrès – et d’une partie importante du  » quatrième pouvoir « , à savoir les médias acquis à sa cause (telle la chaîne de télévision Fox News). Le président semble prêt à saper les fondements de la démocratie américaine dans le seul but de sauver sa peau. Le Watergate, avec le recul, apparaît presque comme une partie de plaisir.

Par Marc Epstein.

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