Christian Makarian

« Le Royaume-Uni ringardise l’Europe »

On ne renforcera sûrement pas l’unité de l’Europe en désignant le bouc émissaire du désenchantement général. On ne combattra pas les populismes en faisant mine de châtier la nation où les électeurs ont cédé aux sirènes des europhobes au détriment des élites. On ne resserrera pas les liens entre les 27 pays membres restants par le durcissement contre un pays qui s’est invariablement dressé contre Bruxelles. Bref, le Royaume-Uni ne peut pas porter à lui seul la charge des vices et des dysfonctionnements de l’Union.

Quelques mois après le Brexit, peut-on être certain que l’on assistera à une catastrophe ?

A Bratislava, réuni (ou enfermé) dans le très imposant château de la ville, symbole de la résistance aux Mongols, aux Magyars, aux Turcs et aux invasions napoléoniennes, le dernier Conseil européen en date – soit le premier à s’être tenu sans les Britanniques – n’a fait que confirmer l’impression d’une Europe molle qui continue à se payer de mots. On le sait, on le répète à l’envi, aucun élan nouveau n’est à attendre avant l’automne 2017 en raison de l’élection présidentielle française, suivie des élections générales en Allemagne. Autrement dit, le calendrier interne des Etats prétendument moteurs prime sur toute considération continentale – ce qui est précisément reproché au Royaume-Uni par ailleurs. Situation que le chef du gouvernement italien a résumée par cet aveu plein d’amertume :  » Bratislava aurait dû marquer un virage. Cela a été la énième réunion où l’on a discuté de virgules sur un document qui dit tout et ne dit rien. Après le Brexit, l’Europe devait réagir, pas tergiverser.  » Désormais, ce que l’Europe fait de mieux, ce sont les constats d’impuissance. Mais, pour s’en tenir au Brexit, avec quelques mois de recul, peut-on être certain que l’on assistera à une catastrophe ? Il faut rappeler quelques vérités vite oubliées.

1. N’avait-on pas déjà largement pris acte, dans les principales capitales européennes, du caractère ouvertement  » sécessionniste  » de Londres ? Pour mémoire, le Royaume-Uni n’est pas dans la zone euro, pas davantage dans Schengen, il a obtenu une dérogation sur l’application de la charte des droits fondamentaux et il a refusé de signer le pacte budgétaire européen (TSCG).

2. Paradoxalement, une partie de ces concessions a été obtenue par les Britanniques en agitant la menace de quitter l’UE : voilà au moins un argument qu’ils ne pourront plus utiliser.

3. Dans le  » chacun pour soi « , la prime de l’efficacité maximale revient à l’Allemagne : le souverainisme britannique s’est exprimé brutalement contre les structures de l’Union, tandis que le souverainisme allemand s’est exercé avec détermination par la prépondérance acquise en Europe, qu’il s’agisse de l’euro (dont les règles de fonctionnement sont dictées par Berlin) ou des institutions de l’UE (où le poids de l’Allemagne est déterminant).

4. A maints égards, les rapports de force entre les nations ont rarement pris une telle ampleur, ce qui demeure indépendant du Brexit.

La nouvelle Première ministre, Theresa May, à qui l’on reproche d’hésiter quant au déclenchement de l’article 50 du traité de Lisbonne (qui prévoit la sortie d’un Etat membre) est pour l’instant plutôt habile. En acceptant de se dédire avec un remarquable pragmatisme, elle vient de choisir de relancer le projet de construction de deux réacteurs nucléaires EPR par le producteur d’électricité français EDF. Par cette décision stratégique, qui vise à l’indépendance énergétique dans un cadre européen, elle agit comme on l’aurait fait avant le Brexit. Et elle renforce encore, à dessein, la complexité du divorce avec l’Union.

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