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Le référendum : bon outil démocratique ou arme dangereuse ?

Stagiaire Le Vif

Faudrait-il donner plus de pouvoir aux citoyens par le biais de référendums ? Quelques mois seulement après le Brexit et le  » non  » à la réforme constitutionnelle en Italie, le sujet est épineux. Voici quelques arguments en faveur et en défaveur de cet outil, recueillis lors de la première conférence EU-Logos à l’ULB.

Alors que la confiance des peuples envers les représentants politiques ne cesse de régresser partout en occident, l’évolution de la démocratie vers un modèle plus direct semble aujourd’hui inévitable. Dans ce sens, certains estiment que le référendum pourrait être l’outil démocratique par excellence. Il permettrait aux citoyens de donner leur avis plus régulièrement et laisserait la possibilité au peuple de devenir maître de son destin. En revanche, pour d’autres, le recours à cet instrument serait une aubaine pour les populistes, une arme dangereuse qui délégitimerait les institutions publiques, et pourrait mener à l’oppression des minorités.

Des spécialistes étaient présents pour donner leur avis sur l’utilisation du référendum lors de la première conférence organisée conjointement par EU-Logos, Génération 1989 et Students for Europe, à l’ULB. Voici les « pour » et les « contre », évoqués durant les discussions.

Une fausse volonté populaire ?

« Non » à l’Europe pour les Anglais, « non » à la réforme constitutionnelle pour les Italiens, « non » à l’accord de paix avec les FARC en Colombie, et on en passe. Les résultats des derniers référendums ont presque chaque fois abouti au statu quo. Une des explications à ces rejets quasi systématiques se trouverait dans le fait qu’une « fausse volonté populaire » émanerait de ces scrutins. Un problème de modalité, mais sûrement « pas une fatalité » pour Laurence Morel, maître de conférences de science politique à l’Université de Lille II, dont les publications principales portent sur les référendums dans les démocraties.

Pour elle, les référendums tels qu’ils sont actuellement organisés « ne traduisent qu’une volonté sous influence ». En effet, face à la difficulté des enjeux, la plupart des citoyens peuvent se sentir indifférents ou incompétents. Cela peut les amener à ne pas donner leur avis ou à répondre de manière non raisonnée. Pourtant, elle est convaincue qu’« il est possible d’agir sur les questions posées pour qu’elles intéressent les citoyens et soient plus compréhensibles ». Elle préconise donc « une bonne campagne d’information, qui peut améliorer l’intérêt et les compétences des citoyens sur un sujet ».

En outre, les référendums ne reflèteraient pas réellement l’opinion publique. La proposition, autrement dit le « oui », ne correspondrait jamais aux attentes populaires. La réponse négative, synonyme de statu quo, serait alors inévitable, selon les spécialistes. De plus, les citoyens n’ont généralement qu’un seul vote pour valider des textes de plusieurs amendements.

Glissement d’enjeu et irréversibilité

Gérard Grunberg, directeur de recherche CNRS au CEE, Centre d’études européennes de Sciences Po, est fermement opposé au référendum. Pour lui, cet outil politique présente de nombreuses propriétés intrinsèques qui en font un « instrument défectueux ».

Selon lui, les votes référendaires reflètent plus souvent la défiance du peuple envers les autorités en place qu’une réponse à la question donnée. Selon lui, il suffit de regarder les deux derniers cas en France pour observer la « présidentialisation de l’enjeu référendaire ». « En 1992, lors du référendum sur le traité de Maastricht, François Mitterrand était au pouvoir. Les socialistes avaient voté ‘oui’ et la droite ‘non’. Et en 2005, pour la constitution européenne, Chirac était au pouvoir. La droite avait alors voté ‘oui’, et les socialistes ‘non' ». C’est la raison pour laquelle Laurence Morel pense qu’il faudrait organiser plusieurs scrutins le même jour, en même temps que les élections.

Une autre vive critique émise par Grunberg est le caractère presque « sacré » de cette démarche rendant la décision du peuple quasi irréversible. En effet, qui pourrait remettre en cause la « volonté du peuple » et dire que les citoyens se sont trompés ? L’impossibilité de faire marche arrière finit alors par créer des frustrations. Surtout si le vote est serré puisque contrairement à ce qui se produit au cours du processus décisionnel des représentants, le référendum ne permet pas de délibération. La décision finalement obtenue ne présente alors aucune nuance et aucun compromis susceptible de satisfaire la minorité. À partir de ce moment, une fracture au sein de la société risque d’apparaître et de mettre la paix civile en danger.

Un pas vers la démocratie directe ?

S’il y a bien une chose sur laquelle tous les conférenciers du jour sont d’accord, c’est que les modalités généralement mises en place lors des référendums ne conviennent pas.

Gérard Grunberg, qui est un fervent défenseur de la démocratie représentative estime qu’il serait « dangereux de dire que le peuple peut faire mieux en termes de législation que ses représentants ». Il faudrait donc laisser les spécialistes de la loi faire les lois.

Un avis que ne partage pas du tout Laurence Morel pour qui « il faut trouver des moyens d’associer plus étroitement le citoyen aux institutions qu’avec une élection tous les quatre ou cinq ans ». Et c’est là que le référendum doit intervenir, selon elle, car « contrairement aux autres outils démocratiques, il permet de mobiliser plus largement en convoquant les citoyens aux urnes ». Mais pour cela, il faudra trouver des modalités qui ne tronquent pas la volonté du peuple. Le « challenge actuel est donc de reprendre le référendum aux populistes » pour en faire un outil « démocratiquement correct ».

Et en Belgique ?

Chez nous, la question de mettre en place des référendums ne se pose pratiquement pas puisque la constitution ne le permet pas. Seuls les pouvoirs communaux, provinciaux et (bientôt) régionaux ont le droit de recourir à une consultation populaire, non contraignante.

Il faut se replonger dans la question royale, en 1950, pour retrouver l’unique consultation populaire organisée au niveau national. À l’époque, le retour du roi Léopold III sur son trône fait controverse suite à son comportement durant la Seconde Guerre mondiale. Le gouvernement décide alors de poser la question aux citoyens en les convoquant aux urnes afin de connaître l’opinion publique à ce sujet.

Résultat, en Flandre, 72 % des votants sont favorables au retour du roi alors qu’en Wallonie et à Bruxelles, respectivement 58 % et 52 % des citoyens s’y opposent. Une fracture nette entre les deux communautés linguistiques naîtra de cette division et débouchera sur de nombreux faits de violences. Quant au gouvernement, il ne prendra aucune décision puisque c’est le roi Léopold III qui finira par abdiquer en faveur de son fils Baudouin Ier.

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