Harare, Zimbabwe © Reuters

Le président Mugabe démissionne, Harare « aux anges »

Le Vif

Robert Mugabe a mis fin mardi à son règne autoritaire de trente-sept ans à la tête du Zimbabwe en présentant sa démission de la présidence du pays, poussé vers la sortie par l’armée, son propre parti et la rue qui a aussitôt manifesté sa joie.

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Au terme d’une semaine de crise, le plus vieux dirigeant en exercice de la planète, âgé de 93 ans, a annoncé sa décision historique dans une lettre envoyée au président de l’Assemblée nationale, qui débattait depuis le début de l’après-midi de sa destitution.

« Moi, Robert Gabriel Mugabe (…) remets formellement ma démission de président de la République du Zimbabwe avec effet immédiat », a lu Jacob Mudenda, provoquant un tonnerre d’applaudissements dans les rangs des élus.

Son ancien vice-président Emmerson Mnangagwa, 75 ans, devrait être nommé dès mercredi président par intérim, selon le parti au pouvoir, la Zanu-PF.

L’armée, qui contrôle de fait le pays, a immédiatement appelé au calme pour éviter tout débordement. Devant la presse, son chef d’état-major, le général Constantino Chiwenga, a invité la population « à faire preuve de la plus grande retenue et à pleinement respecter la loi et l’ordre ».

Harare « aux anges »

Des concerts de klaxons et des hurlements. La capitale zimbabwéenne Harare a célébré dans un bruit assourdissant la chute, tant attendue, du président Robert Mugabe, laissant éclater sa joie et criant ses espoirs de vie meilleure en ce nouveau jour « d’indépendance ».

« Nous sommes si heureux », confie émue Togo Ndhlalambi, une coiffeuse de 32 ans, « on se réveillait chaque matin en attendant ce jour, le pays a connu des moments si difficiles ».

Autour d’elle, un tourbillon de drapeaux et d’euphorie s’est emparé des rues du centre-ville. Des femmes chantent, des enfants, interloqués, pleurent.

« Je suis aux anges. Trente-sept ans de dictature, ce n’est pas une plaisanterie », exulte Tinashe Chakanetsa, 18 ans.

« J’espère maintenant un nouveau Zimbabwe, dirigé par le peuple et non pas une seule personne », s’enthousiasme la jeune femme, « nous avons besoin de dirigeants choisis par le peuple, nous n’avons pas besoin d’autocrates ».

Depuis leur intervention, les généraux tentaient d’obtenir la reddition en douceur du plus vieux président en exercice de la planète. Il a résisté jusqu’au bout, malgré la pression cumulée des militaires, de la rue et de son propre parti.

« C’est choquant, ce type était vraiment très, très puissant », lâche, encore sous le coup de la surprise, Barber Wright Chirombe.

Tout en grillant du maïs au coin d’une rue, Karuma Muyembe, 40 ans, se réjouit d’être « libéré » du joug Mugabe. « Vive l’indépendance! » lance-t-il dans un clin d’oeil à l’Histoire.

‘Tout changer’

« Son départ était attendu depuis si longtemps. Après sa démission, il faut couper toutes ces branches mortes qui l’entouraient », proclame Munyaradzi Chihota, un commerçant de 40 ans.

Sur un mur du centre de conférences Rainbow Towers, où le Parlement s’était transporté pour entamer une procédure de destitution du chef de l’Etat, un portrait du « Camarade Bob » a été arraché, déchiré et mis en pièces sous les acclamations d’une foule ondulant de plaisir.

Plusieurs personnes brandissent à bout de bras un portrait du chef d’état-major de l’armée, le général Constantino Chiwenga.

Un peu à l’écart, Yeukai Magwari, un vendeur de 33 ans, se souvient. « Nous étions réduits à rien sous Mugabe », dit-il, « à partir de maintenant, on ne veut plus voir les personnes âgées dormir ou faire la queue devant les banques, ou que des gens soient réduits à l’indigence en sortant de l’université ».

La situation du pays sous le règne de cet homme était vraiment très dure », souligne Tendai Chaitezvi, un employé de banque de 29 ans. « Beaucoup de nos amis sont partis à l’étranger en attendant que les choses s’arrangent au pays ».

Un verre à la main, il fête au milieu de ses amis la chute du président dans un bar du centre-ville. « L’optimisme est de retour maintenant. Aujourd’hui, c’est l’espoir d’un retour à la normalité ».

A 37 ans, Leah Macharaga est née l’année de l’arrivée au pouvoir de Robert Mugabe. Elle n’a connu qu’un seul président. « Je haïssais cet homme », avoue-t-elle.

A ses côtés, Modesta Macharaga, 35 ans, se pince encore pour y croire. « Les mots ne suffisent pas pour dire combien je suis heureuse », dit-elle. « Maintenant j’espère un avenir meilleur pour notre pays et la fin de nos souffrances sous le règne de Mugabe ».

Accueilli en libérateur à l’indépendance de la colonie britannique en 1980, le « camarade Bob » a dirigé son pays d’une main de fer, muselant tous ses opposants et ruinant son économie. Mais il semblait indéboulonnable, dernier chef d’Etat africain issu des luttes pour l’indépendance encore au pouvoir.

La Première ministre britannique Theresa May a salué son départ, estimant qu’elle « offre au Zimbabwe l’opportunité de se forger une nouvelle voie, libre de l’oppression qui a caractérisé son pouvoir ».

C’est la deuxième épouse de Robert Mugabe, Grace, 52 ans, qui a précipité la chute de son régime.

Le 6 novembre, elle a obtenu l’éviction du vice-président Emmerson Mnangagwa, qui lui barrait la route dans la course à la succession de son mari, à la santé de plus en plus fragile.

L’éviction de ce fidèle du régime a provoqué dans la nuit 14 au 15 novembre une intervention en douceur de l’armée, qui n’a pas fait de victime.

Bras d’honneur

Les militaires, qui se sont défendus de mener un coup d’Etat, essayaient depuis d’obtenir en douceur la reddition du chef de l’Etat afin d’éviter les critiques et les menaces d’une éventuelle intervention des pays voisins, où l’aura du « libérateur » Robert Mugabe est restée très forte.

Mais à plusieurs reprises, M. Mugabe a catégoriquement rejeté les appels à la démission. Dimanche soir, il s’est même permis un ultime bras d’honneur en refusant d’annoncer à la télévision nationale le départ que tout le monde attendait.

La direction de la Zanu-PF, son propre parti, l’avait pourtant spectaculairement démis de ses fonctions de président dimanche, avait exclu de ses rangs son épouse et avait menacé de le révoquer s’il refusait de se démettre.

Faute de signe de sa part, la Zanu-PF a lancé mardi au Parlement une procédure de destitution, du jamais vu dans l’histoire du pays.

« Mugabe a autorisé sa femme à abuser des ressources de l’Etat (…), à insulter et humilier le vice-président de ce pays, l’honorable Emmerson Mnangagwa » et à « menacer de tuer le vice-président Mnangagwa », l’a accusé son parti dans sa motion de destitution.

Le débat avait à peine commencé au Parlement, lorsque le président de l’Assemblée a lu la lettre de démission de M. Mugabe.

« Ma décision de démissionner est volontaire. Elle est motivée par ma préoccupation pour le bien-être du peuple du Zimbabwe et mon souhait de permettre une transition en douceur, pacifique et non-violente qui assure la sécurité nationale, la paix et la stabilité », a écrit le chef de l’Etat démissionnaire.

« Il n’avait plus d’autre choix. C’était écrit », a commenté le chef de la minorité parlementaire Innocent Gonese, du Mouvement pour un changement démocratique (MDC). « Il était dans le déni ».

Des Zimbabwéens euphoriques ont immédiatement arraché le portrait de M. Mugabe qui trônait dans le centre de conférences d’Harare où le Parlement était réuni.

Samedi, à l’appel des anciens combattants de la guerre d’indépendance devenus les fers de lance de la fronde, des dizaines de milliers de manifestants étaient descendus dans les rues de Harare et de Bulawayo, la deuxième ville du pays (sud-ouest), aux cris de « Bye bye Robert » et « Adieu grand-père ».

Selon toute vraisemblance, la période de transition qui s’ouvre devrait être dirigée par l’ancien vice-président Mnangagwa, bombardé dimanche président du parti au pouvoir et candidat à l’élection présidentielle prévue en 2018.

Selon la Constitution, c’est en principe l’autre vice-président du pays, Phelekezela Mphoko, un proche de la Première dame exclu de la Zanu-PF, qui devrait prendre les rênes du pays.

« Je pense qu’Emmerson Mnangagwa va prêter serment très rapidement », a anticipé l’analyste Derek Matyszak, de l’Institut pour les études de sécurité (ISS) de Pretoria. « D’après ce que je sais, Mphoko n’est pas dans le pays. Le gouvernement devrait se réunir (…) et nommer un président ou un vice-président ».

En exil, M. Mnangagwa est sorti mardi du silence pour inviter dans un communiqué M. Mugabe à « tenir compte des appels lancés par le peuple à sa démission de façon à ce que le pays puisse avancer ». C’était chose faite quelques heures plus tard.

Robert Mugabe en 10 dates:

– 21 février 1924: naissance à Kutama (ouest de Salisbury, devenu Harare) dans une famille de paysans.

– 1960: après des années à l’étranger, il rentre en Rhodésie et s’engage au sein du Parti national démocratique (NPD). Après son interdiction, il adhère à l’Union du peuple africain du Zimbabwe (ZAPU) de Joshua Nkomo, avant de fonder avec des dissidents la ZANU (Union nationale africaine du Zimbabwe)

– 1964-74: Mugabe est placé en détention. Libéré, il prend la direction de la ZANU (interdite) et mène, avec la ZAPU de Joshua Nkomo, la lutte armée contre le régime blanc de Ian Smith. La guerre de 1972 à 1979 fait 27.000 morts.

– 18 avril 1980: indépendance de la Rhodésie, rebaptisée Zimbabwe. Mugabe est Premier ministre et son partenaire de lutte, Joshua Nkomo, ministre de l’Intérieur.

– 17 février 1982: limogeage de Nkomo, accusé de complot. Une dissidence armée dans le Matabeleland (ouest), son fief, provoque une sanglante répression (20.000 morts).

– 30 décembre 1987: Mugabe devient chef de l’Etat après une révision de la Constitution.

– février 2000: rejet d’un projet de Constitution qui devait renforcer ses pouvoirs. Il laisse les vétérans de la guerre d’indépendance exproprier plus de 4.000 fermiers blancs.

– mars 2008: l’opposant Morgan Tsvangirai le devance au 1er tour de la présidentielle, mais renonce après des violences contre ses partisans. Mugabe est réélu en juin, ainsi qu’en 2013.

– décembre 2014: reconduit à la tête du parti au pouvoir, il intronise Grace, épousée en secondes noces en août 1996, à la présidence de sa puissante Ligue féminine et effectue une vaste purge.

– novembre 2017: Le 6, Robert Mugabe limoge son vice-président Emmerson Mnangagwa, présenté comme son dauphin, provoquant une crise politique majeure. Le 15, l’armée prend le contrôle de Harare et place le chef de l’Etat en résidence surveillée. Lâché par son propre parti et menacé de destitution, il démissionne le 21.

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