Le secrétaire aux Affaires étrangères britannique Ernest Bevin, le 4 avril 1949 © Getty Images

Le plus grand défi de l’OTAN ne vient pas de la Russie ou de la Chine, mais de l’intérieur

Jonathan Holslag
Jonathan Holslag Jonathan Holslag est professeur en relations internationales à la VUB.

L’OTAN fête ses septante ans cette année. « Grand temps de faire une introspection », dit le professeur Jonathan Holslag (VUB). « Il nous faut une OTAN économique, une alliance qui défend un véritable marché libre. »

Cette semaine, l’OTAN célèbre son 70e anniversaire avec un sommet à Washington, la ville où le Traité de l’Atlantique Nord a été signé en 1949. Cet anniversaire devrait encourager les alliés à l’introspection. Après tout, il n’y a pas grand-chose à célébrer. L’alliance s’affaiblit et elle s’affaiblit rapidement. Le plus grand défi ne vient pas de la Russie ou d’un autre rival, mais de l’intérieur. Les États membres ne savent plus ce qu’ils défendent et connaissent à peine les valeurs fondatrices du traité de Washington. L’OTAN devient une coquille vide : elle a encore des navires de guerre, des soldats et des missiles, mais elle manque d’engagement envers les idéaux que les fondateurs avaient en tête. La tâche principale des dirigeants de l’OTAN à Washington est de redécouvrir ces idéaux.

L’OTAN est surtout connue pour ses opérations récentes qui n’ont pas toujours été couronnées de succès : l’Afghanistan, l’Irak, la Libye. Mais peu de gens se souviennent que l’alliance a résisté à l’Union soviétique pendant des décennies. Encore moins se rappellent que la Convention de Washington de 1949 visait principalement à défendre un modèle de société : la liberté, la civilisation, la démocratie, le bien-être et l’État de droit. Cette génération de dirigeants savait ce que cela signifiait de vivre sous une dictature et qu’elle avait fait d’horribles sacrifices pour retrouver la liberté. Elle s’est promis de ne plus jamais permettre que cela se produise en Europe. L’OTAN était autant une question de valeurs que de puissance.

Le président Dwight D. Eisenhower a été l’un des premiers à avertir que la défense de ces valeurs ne serait pas si facile. « Le soutien éclairé du peuple », estimait-il, « est vital pour perpétuer l’unité et l’efficacité de l’organisation ». Aujourd’hui, c’est surtout ce soutien éclairé qui s’effrite. Alors que l’engagement en faveur de la démocratie s’érode lentement en Occident, l’autoritarisme progresse. Deux pays, la Turquie et la Hongrie ont déjà tourné le dos à la démocratie, beaucoup d’autres ont perdu confiance en eux. Les démagogues de divers pays utilisent la poursuite de la liberté comme prétexte pour miner la liberté. L’OTAN n’arrêtera pas les opposants autoritaires si ses propres dirigeants se mettent à les exalter.

Heureusement, une majorité reste fidèle aux principes fondateurs. Cette majorité ne peut plus rester silencieuse. Oui, les États membres doivent investir dans leur défense. Prendre cela à la légère est imprudent. Et nous devons aussi investir dans notre défense mentale. Mais comment arrêter la guerre de l’information russe et chinoise sans inculquer l’horreur de la dictature à nos enfants?

Tout aussi importante que la défense de notre prospérité est la défense d’un autre objectif important du Traité de Washington : notre bien-être. Les fondateurs de l’OTAN étaient conscients qu’une société sans insécurité serait moins sensible à la propagande, au populisme et à l’autoritarisme. Aujourd’hui, des millions de citoyens des États membres souffrent de la baisse du pouvoir d’achat et d’une grande insécurité sociale. Si nous voulons perpétuer à la fois la liberté et le bien-être, il nous faut un marché libre qui apporte des avantages clairs à tous les citoyens de bonne volonté, pas seulement à une petite élite et à une poignée de technomonopolistes qui ont canalisé des milliards de dollars dans des paradis fiscaux. Et qui préfèrent céder aux caprices des nouveaux dictateurs plutôt que d’écouter les appels à la justice sociale chez eux.

Il nous faut une OTAN économique, une alliance qui défende un véritable marché libre, et non une réserve de capitalistes éclair et d’opportunistes multinationaux. Un endroit qui donne une chance à l’entrepreneuriat positif. Nous ne pouvons plus nous permettre de nous plaindre des Saoudiens, des Russes et des Chinois, alors que nous savons très bien qu’ils doivent une partie de leur pouvoir à notre opportunisme économique. C’est cette étroitesse d’esprit, cette ouverture non réciproque qui fait la force de nos concurrents. Une OTAN économique favoriserait la cohésion interne et empêcherait nos rivaux de nous concurrencer avec notre propre technologie et l’argent qu’ils gagnent grâce au commerce déséquilibré avec l’Occident.

L’OTAN, c’est bien plus qu’une puissance militaire dure. Il s’agit aussi de notre mode de vie, de notre civilisation : non pas pour l’imposer aux autres, mais pour permettre à nos propres citoyens de transformer la liberté en prospérité et en bonheur. À cet égard, le pouvoir n’est pas durable sans principes.

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