JEUNE SAUTEUR à Nyanza, vers 1940. © A. GATTI/COLL. MRAC

Le mystère des Tutsi sauteurs

Le saut en hauteur faisait partie des rites d’initiation dans le Rwanda précolonial. Les photos de bonds prodigieux restent fascinantes. Des chercheurs ont tenté d’en décrypter les secrets.

Les photos connues du Rwanda précolonial ont souvent trait aux activités où la culture, le jeu et le sport sont étroitement liés : les danses des femmes ou des guerriers intore, les rythmes des tambours royaux, la procession des vaches royales, et des pratiques physiques dont une va frapper l’imagination : le saut en hauteur ou gusimbuka urukiramende, où l’on voit des Tutsi faire des bonds prodigieux, évalués par certains à 2,50 m, soit au-delà de l’actuel record du monde, détenu depuis 1993 par le Cubain Javier Sotomayor avec 2m45. Petit détail : les athlètes rwandais prenaient appui sur un minuscule tremplin, comme une pierre ou une termitière.

Il n’empêche : ces performances étaient si fascinantes que les délégations de passage adoraient se faire photographier au moment des sauts. Sur les clichés, dont certains sont exposés au musée de Butare au Rwanda, on peut apercevoir le duc de Mecklembourg, l’explorateur anglais Patrick Balfour, mais aussi la future reine Astrid de Belgique, trônant à côté du sautoir tandis que des athlètes survolent la fine tige de roseau.

Fin connaisseur du pays des Mille Collines, le Gantois Lode Van Pee a voulu en savoir plus : s’agissait-il de sport ou de rituels ? Pourquoi les Rwandais n’ont-ils jamais excellé dans cette discipline aux Jeux olympiques ? Il a donc pris l’initiative d’une étude approfondie assortie de photos saisissantes, en concertation avec les autorités rwandaises et l’université de Gand, avec pour objectif final de relancer ce sport au Rwanda, tombé en désuétude sous le mandat belge.

Dans leur recherche, les auteurs ont retrouvé cinq témoins vivants, dont le plus vieux a 90 ans. On apprend ainsi que le saut en hauteur était pratiqué exclusivement par les hommes dès leur jeune âge. Des compétitions étaient organisées dans tout le pays et les meilleurs étaient invités à se produire à la cour du roi. Le sauteur courait à pieds nus droit devant lui vers l’obstacle, en pagne et avec les armes à la main, sauf quand c’était dans un cadre festif où seule importait la beauté du geste.

Outre les aspects historiques, les auteurs ont analysé le mouvement de ces sauteurs. Comment comparer leurs performances avec celles des champions actuels ? A cette fin, des chercheurs gantois ont numérisé et modélisé les photos et films disponibles. Pour évaluer la hauteur, ils ont pris des points de comparaison, par exemple Astrid qu’on voit sur une des photos. Il a donc fallu enquêter sur sa taille, et déduire la hauteur de son couvre-chef. En intégrant un maximum de variables, ils en ont conclu que les performances nettes ne dépassaient guère 1,90 m. « Mais si des athlètes avaient participé aux Jeux olympiques de l’époque, les meilleurs auraient été capables de remporter une médaille », concluent ces scientifiques qui n’esquivent toutefois pas un ultime piège : le trucage des photos.

La discipline sera-t-elle réintroduite au Rwanda ? « Les fruits de cette recherche préliminaire pourraient ouvrir la voie à l’identification de sauteurs talentueux parmi les jeunes Rwandais », s’enthousiasme Lode Van Pee, qui pense que son rêve de voir un médaillé rwandais « se rapproche ». Reste à voir avec quelle technique de saut, celle-ci ayant bien évolué depuis cent ans.

Rwanda, saut en hauteur, Gusimbuka Urukiramende, par Emmanuel Bugingo et Lode Van Pee, MRAC, KULeuven, Umubano, 167 p. Contact : jean-pierre.roobrouck@telenet.be

François Janne d’Othée

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire