"Il faut continuer à faire ce pour quoi on nous a choisis", estime le député de Paris Benjamin Griveaux (au centre), actuel porte-parole d'En marche ! © E. FEFERBERG

Le mouvement d’Emmanuel Macron, déjà « En marche » vers 2022

Le Vif

Le mouvement du président Macron veut devenir un parti… pas comme les autres. Qui privilégie les idées nouvelles et prépare la réélection de son héros.

Le sous-sol d’un restaurant du xxe arrondissement parisien accueille une trentaine d’adhérents d’En marche ! Un atelier, par groupes de quatre ou cinq, est consacré à l’avenir du mouvement.  » A la question n° 3, votre groupe a coché quelle case ? Oui ou non ?  » Perchée sur un tabouret, Gabrielle Pollet note minutieusement la réponse.  » OK. Groupe suivant, qui est votre rapporteur ?  » poursuit l’animatrice du comité La République en marche (LREM) du quartier Gambetta.  » On est là pour inventer un nouveau modèle de parti « , insiste la jeune femme. Missions collectives, rôle du militant ou conditions d’adhésion : les réponses au questionnaire sont consignées puis vite renvoyées au siège.

Au lendemain de législatives triomphales, les marcheurs ne marquent pas de pause. Par ce nouveau chantier, Emmanuel Macron veut transformer la start-up qui l’a porté à l’Elysée en véritable parti politique. Une armée désormais forte de 308 députés et de 365 000 membres, dotée d’un budget annuel dépassant les 20 millions d’euros. Pour encadrer cette croissance extraordinaire, rien n’est laissé au hasard. Parallèlement à la consultation des 3 177 comités locaux, chaque référent départemental est invité à rapporter son expérience personnelle des derniers mois. Une escouade d’avocats prépare une modification des statuts. Les instances créées et les principes de gouvernance seront soumis au vote électronique des adhérents avant une grande convention convoquée d’ici à la mi-juillet. Là, devant les parlementaires et plusieurs milliers d’animateurs, pourrait être installée la nouvelle équipe dirigeante.  » Le mouvement est le pilier de la réussite du quinquennat et la base pour la suite « , soutient son actuel porte-parole, Benjamin Griveaux. La suite ? Une réélection d’Emmanuel Macron en 2022 pour un second mandat à l’Elysée.  » Sinon, c’est du one shot « , prévient le nouveau député de Paris.

Rares, pourtant, sont les partis au pouvoir en France ayant trouvé leur utilité à côté de l’exécutif et du Parlement. Benjamin Griveaux ne se démonte pas :  » Il faut continuer à faire ce pour quoi on nous a choisis, c’est-à-dire à ne pas imiter les autres.  » Le Parti socialiste sert ainsi d’antimodèle absolu.  » Pas question de recréer des sections et des courants « , s’étrangle le sénateur (ex-PS) François Patriat, partisan d’un mouvement ouvert sur l’extérieur.

Retour dans le xxe arrondissement.  » Faire accepter la réforme du Code du travail ou le texte sur l’état d’urgence ne sera pas simple « , s’inquiète Caroline, jeune avocate à la fibre centriste. Il va falloir déployer des trésors de pédagogie, y compris en interne. Assis à son côté, Patrick, un retraité venu de la gauche, acquiesce.  » On n’a pas tous voté Macron pour les mêmes raisons « , dit-il. Pour ne pas perdre le contact avec le terrain, les nouveaux députés devront se rapprocher des comités locaux. Une façon d’éviter le syndrome  » parti de supporters « .

En marche ! revendique 365 000 membres et 3 177 comités locaux.
En marche ! revendique 365 000 membres et 3 177 comités locaux. © P. BARLET/LE PICTORIUM

A une nation lassée des chocs d’ambitieux, les figures du mouvement, inquiètes de la forte abstention aux législatives, veulent redonner le goût de la politique. Renouer avec une forme d’éducation populaire. Vaste programme… Trois groupes de travail mêlant intellectuels, entrepreneurs et acteurs du monde associatif planchent sur l’engagement citoyen.  » En marche ! doit lancer des débats, regagner des batailles culturelles, sur la laïcité ou l’environnement « , explique Stanislas Guerini, référent pour Paris et pionnier de l’organisation. L’ancien élève d’HEC rêve aussi d’en faire un  » do-tank « , un collecteur des initiatives de la société civile. D’autres imaginent un parti rendant des services à la population, dans les domaines juridique ou social.  » On pourrait lancer des opérations pour informer les gens de leur droit au Revenu de solidarité active « , suggère une élue venue du PS.

Derrière un enthousiasme dopé par les succès électoraux sourdent pourtant quelques déceptions. Certains ont pris pour argent comptant la liberté d’action laissée à chacun. Ils supportent mal la mainmise de la direction nationale sur la désignation des référents départementaux.  » Puisqu’ils nous représentent, ne pourrait-on pas les élire au niveau local ?  » s’interrogent plusieurs membres du comité Gambetta.  » C’est une demande de démocratie, pas du dégagisme « , précise Marc, un médecin retraité. Pour l’heure, le siège renâcle. Au nom de l’efficacité managériale, par refus aussi de laisser s’installer des potentats locaux et des querelles intestines, fatales aux autres partis.  » Il faut assumer cette verticalité, mais être transparent dans la méthodologie de recrutement « , plaide Stanislas Guerini. Le nouveau député prône une détection des talents calquée sur celle du monde de l’entreprise.  » Après, s’il faut une forme de validation locale, pourquoi pas ?  »

La même question va se poser pour les investitures aux prochaines élections, où LREM entend être partout représentée. Après les sénatoriales de septembre – les macroniens espèrent enlever quelques sièges – viendront les européennes de 2019. Puis, les municipales l’année suivante. La procédure de sélection mise en place pour les législatives a plutôt bien fonctionné, tout en montrant ses limites.  » L’inscription via Internet a un caractère égalitaire, car elle permet d’échapper au filtre des instances locales. Le choix final du candidat était-il démocratique ? A l’évidence, non, reconnaît l’ancien ministre chiraquien Jean-Paul Delevoye, ex- président de la commission nationale d’investiture. A l’avenir, peut-être faudra-t-il soumettre les candidatures retenues à l’avis des comités locaux ?  »

Aux législatives, les adhérents de Gambetta n’ont pas eu à se plaindre du candidat En marche ! Et pour cause : le parti n’avait investi personne dans la 15e circonscription de Paris. Une faveur d’Emmanuel Macron à l’ex-ministre socialiste George Pau-Langevin.  » Une faute  » que les militants gardent en travers de la gorge. La refondation des pratiques s’arrête là où commence la politique.

Par Thierry Dupont.

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