Luigi Di Maio (au centre) conduit la liste du Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo (à dr.) promis au rang de premier parti d'Italie. © ANTONIO MASIELLO/GETTY IMAGES

Le mouvement 5 étoiles en Italie, un succès sans lendemain ?

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Le mouvement de Beppe Grillo est annoncé vainqueur des élections législatives de dimanche. Mais il a peu de chance de pouvoir nouer une alliance de gouvernement. Silvio Berlusconi et sa coalition de droite s’affichent comme le plus sérieux recours.

Trois blocs se profilent comme les principaux acteurs des élections législatives italiennes du dimanche 4 mars : le Mouvement 5 étoiles emmené par Luigi Di Maio, la coalition de droite de Silvio Berlusconi et ses alliés, ainsi que le Parti démocrate de Matteo Renzi affaibli depuis le départ de son aile gauchiste. L’échec du référendum constitutionnel qu’il avait organisé à la hussarde en 2016 a conduit à ce scrutin à l’issue incertaine. La campagne a été marquée par l’attaque raciste de migrants par un ancien candidat de la Ligue du Nord dans la petite ville de Macerata. Elle a pourtant été plus alimentée par des propositions populistes que par des réponses de fond aux questions cruciales du chômage, de la faible croissance économique et de l’immigration. Revue des enjeux d’un scrutin capital pour l’Europe avec l’écrivain et spécialiste de l’Italie Giuseppe Santoliquido.

Silvio Berlusconi a eu beau jeu de critiquer le bilan du gouvernement de Paolo Gentiloni (Parti démocrate) en oubliant l'héritage que lui-même a laissé à ses successeurs.
Silvio Berlusconi a eu beau jeu de critiquer le bilan du gouvernement de Paolo Gentiloni (Parti démocrate) en oubliant l’héritage que lui-même a laissé à ses successeurs.© ELISABETTA A. VILLA/GETTY IMAGES

Comment situer le Mouvement 5 étoiles sur l’échiquier politique italien et européen ?

On le classe souvent dans les mouvements populistes. Mais tout dépend de la manière dont on définit ceux-ci. Son identité principale, caractéristique de la tendance populiste, est de contester le système en place. Selon lui, la classe politique est truffée d’individus corrompus et opportunistes qui ne respectent pas leurs promesses. C’est une force et une faiblesse. Une force parce que cela lui assure une rente d’électeurs mécontents estimée entre 25 et 30 %. Une faiblesse parce qu’au même titre que le Front national en France, ça le maintient sous un  » plafond de verre  » et l’empêche de conclure des alliances. D’un autre côté, si on définit les mouvements populistes par la démagogie (conduire l’électeur sur un chemin qui flatte ses instincts), on peut dire que l’Italie est confrontée à trois populismes, celui de Silvio Berlusconi, le premier d’un point de vue chronologique car né en 1993, celui de Matteo Renzi, qui s’est inscrit dans la lignée du Cavaliere, et celui de Beppe Grillo. Le Mouvement 5 étoiles se caractérise aussi par l’anti- européanisme, opposé qu’il est à toute forme d’approfondissement d’une visée fédéraliste européenne. La Ligue, qui est associée à Berlusconi, et la gauche de la gauche, qui pourrait entrer en alliance avec Renzi, professent également cet anti-européanisme. On assiste à un bal des démagogues. Cette élection s’annonce donc compliquée.

Le Mouvement 5 étoiles a été amené à diriger les villes de Rome, Turin et Parme avec des fortunes diverses. Pourquoi cela ne semble-t-il pas affecter son audience nationale ?

Deux éléments de réponse. Primo, la gestion locale se passe très bien à Parme, où le maire Federico Pizzarotti est donné comme principal favori à sa succession, de manière mitigée à Turin avec Chiara Appendino, et de façon problématique à Rome. Vu de l’extérieur, on pourrait imputer les problèmes de la capitale à la maire Virginia Raggi. Mais, avec un regard historique et plus politique, on se doit de rappeler qu’elle a pris les rênes d’une municipalité dont le conseil communal avait tout de même été dissous pour collusion avec le crime organisé. Elle a manifestement commis des erreurs et s’est montrée incompétente à certains égards. Mais la gravité de la situation est moindre que ce que Rome a connu auparavant. Secundo, si l’on s’en tient aux chiffres de tous les sondages qui font de lui, de très loin, le premier parti d’Italie, ces gestions ne pénalisent en rien le Mouvement 5 étoiles. C’est dire à quel point le rejet de la classe politique traditionnel est important.

Vu sa nature, le Mouvement 5 étoiles acceptera-t-il de nouer une alliance de gouvernement ?

Giuseppe Santoliquido :
Giuseppe Santoliquido : « Le bal des démagogues. »© DR

C’est le problème fondamental et une question d’identité. A partir du moment où vous construisez votre offre électorale sur la contestation de l’ensemble du système et sur la dénonciation de l’échec des partis de gauche, de droite et du centre à sortir l’Italie du marasme, vous vous compliquez la tâche quand il s’agit de s’allier avec l’un d’entre eux. Le Mouvement 5 étoiles est à un moment charnière. En Italie, il faut un seuil de 40 % pour pouvoir bénéficier d’un bonus en sièges qui vous assure la majorité. Admettons même qu’il récolte 28 ou 29 %, son plafond dans les sondages, il lui manque encore une dizaine de pourcents. Or, s’il s’allie avec une autre formation politique, il risque de se couper d’une partie de sa base électorale, tentée de lui reprocher que  » tout compte fait, il est comme les autres « . Le Mouvement 5 étoiles est donc pris en tenaille entre le vote utile et l’ouverture à des partenaires. Et il a opté pour une voie médiane. S’il arrive en tête du scrutin, le président de la République n’aura pas d’autre choix que de nommer un formateur en son sein. Le Mouvement 5 étoiles, qui s’est refusé à entrer dans une alliance préélectorale, aura alors la possibilité d’envisager une entente postélectorale après appel public sur la base d’un programme sans donner l’impression de se renier.

Dans ce contexte, Silvio Berlusconi pourrait-il s’imposer comme faiseur de roi ?

Silvio Berlusconi est le seul homme politique italien capable aujourd’hui de fédérer et de sceller une alliance. Le Mouvement 5 étoiles est isolé. Le Parti démocrate de Matteo Renzi est isolé. Par son talent politique, l’ancien président du conseil a réussi à faire asseoir autour de la table des responsables qu’opposent des contradictions programmatiques mais qui, pour arriver au gouvernement, ont accepté de se rallier à lui. En outre, Berlusconi a deux cartes à jouer. Gagner seul avec sa coalition ; ce qui n’est pas impossible avec Forza Italia à 16 -1 8 %, La Ligue à 14 – 16 %, Fratelli d’Italia, l’extrême droite, à 5 – 6 % et potentiellement une coalition centriste d’anciens Berlusconiens qui entreraient dans le giron, le tout approchant les 40 % fatidiques. Ou, deuxième solution, une grande coalition à l’allemande avec le Parti démocrate de Matteo Renzi.

La coalition de droite autour de Forza Italia résisterait-elle à l’exercice du pouvoir ?

Ses membres ont souscrit à un programme commun et ont établi le minimum syndical auquel ils se tiendraient en cas d’exercice de gouvernement. L’appel du pouvoir est donc extrêmement fort.

Matteo Renzi démissionnaire en décembre 2016 après l'échec du référendum sur la réforme constitutionnelle. Depuis, il n'a pas réussi à stopper l'hémorragie des électeurs du Parti démocrate.
Matteo Renzi démissionnaire en décembre 2016 après l’échec du référendum sur la réforme constitutionnelle. Depuis, il n’a pas réussi à stopper l’hémorragie des électeurs du Parti démocrate.© JACOPO LANDI/BELGAIMAGE

L’échec du référendum constitutionnel de 2016 à l’initiative de Matteo Renzi a provoqué la division du Parti démocrate. A quoi peut-il aspirer lors de ces élections ?

Le schisme a été de même nature que celui qui a déchiré le Parti socialiste français, entre François Hollande et les frondeurs. Un pan du Parti démocrate l’a quitté pour créer Article 1er – Mouvement démocrate et progressiste, la gauche soi-disant orthodoxe. Et Matteo Renzi incarne la gauche sociale-démocrate. Il a recentré le Parti démocrate avec la conviction qu’un parti à 20 % avec ses hommes était préférable à une formation à 27 % où il devrait négocier le moindre de ses mouvements. Il a donc construit un parti à son image, comme jadis Silvio Berlusconi avec Forza Italia. Mais d’un point de vue purement arithmétique, c’est un échec. Lors des élections européennes de 2014 qui avaient suivi l’accession de Matteo Renzi à sa présidence, le Parti démocrate avait récolté 40 % des voix. Aujourd’hui, il est crédité de 20 à 22 %. Mais Renzi espère progresser à nouveau en recyclant des personnalités du centre et de la gauche, en changeant le nom du parti, et en en faisant un mouvement qui dépasse le clivage gauche-droite. Cependant, le vrai échec de Renzi réside dans les chiffres du chômage qui n’ont cessé d’augmenter, dans l’écart entre les riches et les pauvres qui n’a fait que croître et dans l’exode des 100 000 à 150 000 Italiens qui quittent chaque année le pays. S’il y a une légère reprise au niveau du produit intérieur brut, elle ne se traduit aucunement en matière d’emploi et de qualité de vie. Le pari de Matteo Renzi était que le vote jeune et contestataire repartirait vers la gauche avec lui. Non seulement, ce mouvement ne s’est pas concrétisé. Mais le Mouvement 5 étoiles n’a cessé de progresser. D’où ce paradoxe : aujourd’hui, voter utile pour éviter l’avènement de la formation créée par Beppe Grillo signifie voter Berlusconi… Il fait figure de sage qu’Angela Merkel érige en bouclier contre le populisme en Italie… C’est extrêmement paradoxal.

Sur les questions au coeur de la campagne, le chômage, la faiblesse de la croissance économique, l’immigration, le Mouvement 5 étoiles a-t-il vraiment des propositions ?

Non. D’ailleurs, les trois camps surfent sur cette vague de peur autour de l’arrivée des migrants. Les problèmes sont pourtant indéniables. L’Italie ne doit pas être caricaturée comme emportée par un vaste mouvement xénophobe. La réalité est que l’immigration n’est pas gérée correctement en Italie, notamment parce que l’Europe l’a abandonnée à son propre sort.

Le Mouvement 5 étoiles profite-t-il de la « trumpisation » des esprits en Europe ?

La  » trumpisation  » existe en Italie depuis 1993. On parle aujourd’hui de fake news. Mais à cette époque, c’est Silvio Berlusconi qui assénait avec aplomb des chiffres invérifiables.

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