Depuis l'arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche en janvier 2017, si la Bourse a gagné 35 %, les salaires plafonnent. © j. roberts/reuters

Le mécontentement des classes moyennes et des pauvres va-t-il peser sur les Midterms aux USA?

Le Vif

Si la croissance économique a de quoi faire pâlir les Européens, les classes moyennes et les travailleurs pauvres commencent à revendiquer leur part du gâteau.

Il l’a promis à ses gamins. Il tiendra jusqu’au bout. Deux semaines et deux jours que Dave Frasseto est en grève. Ce quadra, père de deux enfants, est barman dans un des hôtels Marriott du centre-ville de Detroit, la Mecque américaine de l’automobile. Près de 7 700 salariés du géant de l’hôtellerie de luxe ont cessé le travail dans tout le pays depuis le début du mois d’octobre. Le plus long conflit social dans l’histoire de l’entreprise. Comme la plupart de ses collègues, Dave a deux jobs pour boucler ses fins de mois : un temps plein à l’hôtel – quarante heures hebdomadaires – et un autre – vingt heures – dans un restaurant. Depuis six ans, il vit cette cadence infernale et compte sur les doigts d’une main ses semaines de vacances. Impossible sinon de payer l’école des enfants, les traites des voitures, le remboursement de la maison en banlieue et l’assurance santé de toute la famille, près de 600 dollars chaque mois.  » Le Marriott fait des profits dingues et, nous, on n’a rien. Pas de bonus, pas d’augmentation de salaire depuis des années. On ne lâchera pas « , nous explique-t-il de sa grosse voix rocailleuse.

Le collectif Fight for $15 se bat pour un salaire horaire minimal de 15 dollars. Et fait un tabac.
Le collectif Fight for $15 se bat pour un salaire horaire minimal de 15 dollars. Et fait un tabac.© s. olson/getty images/afp

« Cumuler deux jobs pour vivre dignement »

Partout dans le pays, le climat social se tend.  » On ne peut plus supporter que des salariés soient obligés de cumuler deux jobs pour vivre dignement dans la nation la plus riche de la planète « , s’emballe Rachel Gumpert, du syndicat Unite Here. Rien qu’au premier semestre 2018, le nombre de conflits sociaux aurait été deux fois plus important qu’en 2017. Le collectif Fight for $15, qui se bat pour une augmentation du salaire horaire minimum à 15 dollars (contre 7,25 dollars au niveau fédéral), fait un tabac. Récemment, les employés des aéroports des Etats de New York et du New Jersey ont décroché une sacrée rallonge : un salaire de base à 19 dollars, le plus élevé de tous les Etats-Unis. L’annonce récente d’Amazon, le géant du e-commerce, toujours prêt à redorer son image, de porter la rémunération horaire des salariés de ses entrepôts à 15 dollars fait figure de boussole.

Bientôt dix ans que le pays est officiellement sorti de la récession. C’est la reprise la plus longue depuis 1854, a calculé l’économiste Jean-Pierre Petit. Alors qu’à Wall Street, les salaires des traders, bonus compris, ont atteint 422 500 dollars l’an passé (+ 13 % en un an), un montant neuf fois supérieur au salaire moyen des Américains, les middle classes laminées par la crise et les bataillons de working poors veulent aussi leur part du gâteau.

Sur le papier, tout va pourtant très bien au royaume du président milliardaire. La croissance devrait approcher les 3 % cette année, un chiffre à faire rougir de désir n’importe quel dirigeant européen. Les profits des grandes boîtes américaines s’envolent. Le niveau de confiance des ménages culmine à son plus haut depuis 1975, le taux de chômage est tombé à 3,7 % en septembre, son plus bas depuis décembre 1969, lorsque des dizaines de milliers de jeunes américains bataillaient au Vietnam. Même si Wall Street s’est enrhumée depuis le début du mois d’octobre, la Bourse américaine a néanmoins gagné près de 35 % depuis l’élection de Donald Trump à la Maison-Blanche, en novembre 2016.

Trump aurait-il réussi son pari ? James K. Galbraith l’avoue avec amertume. Cet économiste hétérodoxe, fils de John Kenneth Galbraith, qui fut un proche conseiller de JFK, et professeur à l’université du Texas à Austin, n’est pas vraiment un disciple du président américain. Lui, c’est plutôt Bernie Sanders, avec lequel il a travaillé sur son programme économique lors de la campagne démocrate pour l’investiture.  » D’un point de vue macroéconomique, les Etats-Unis vont plutôt bien. Trump a hérité d’une croissance solide grâce à Obama et à l’action de la Banque centrale, qui a fait tourner la planche à billets pendant des années. Lui n’a fait qu’alimenter le feu.  » La Trump touch ? Un big bang fiscal d’un montant de près de 160 milliards de dollars avec, à la clé, une baisse massive de l’impôt sur les sociétés (de 35 à 21 %), une réforme de l’impôt sur le revenu avec une diminution du nombre de tranches, un vaste plan de relance des dépenses – notamment militaires – et, enfin, une sorte d’amnistie fiscale permettant le rapatriement aux Etats-Unis de centaines de millions de dollars de profits planqués à l’étranger par les entreprises américaines.  » Jamais les sociétés n’ont bénéficié d’autant de largesses de la part de l’Etat fédéral « , résume William De Vijlder, chef économiste de BNP Paribas.

Le mécontentement des classes moyennes et des pauvres va-t-il peser sur les Midterms aux USA?
© Source : Macrobond

L’endettement de l’Etat explose

Qu’est-ce qui coince, alors ? Ces cadeaux fiscaux n’ont pas permis de relancer massivement l’investissement.  » Les entreprises les ont utilisés pour se désendetter, accroître les dividendes aux actionnaires et racheter leurs propres titres en Bourse – 384 milliards de dollars au premier semestre 2018, un montant record -, histoire de faire grimper les cours des actions « , détaille Denis Ferrand, directeur général de Rexecode. Quant au compteur des salaires, il ne s’est guère affolé. Si le taux de chômage officiel est au plus bas depuis cinquante ans, ce taux  » recalculé  » en intégrant les chômeurs découragés et les salariés à temps partiel subi grimpe à 7,4 %. Damon Silvers, conseiller économique de l’AFL-CIO, le premier groupement syndical des Etats-Unis, le reconnaît :  » Les ressorts du marché du travail américain sont cassés. Les salariés ont perdu leur pouvoir de négociation. Ils sont en train de le reconstruire, mais ça prendra du temps.  »

Si le château de cartes tient encore, c’est toujours  » grâce  » à l’opium que sont la dette et le crédit. Un piège. Aujourd’hui, ce sont non plus les emprunts toxiques dans l’immobilier, mais les crédits auto et, surtout, ceux – astronomiques – aux étudiants qui menacent. Le fardeau des prêts étudiants atteint 1 500 milliards de dollars. Entre 2000 et 2017, la part des salariés disposant d’un diplôme universitaire a progressé de 6 % sans que cela ait un effet quelconque sur les rémunérations, détaille une récente étude du Roosevelt Institute.

Si l’endettement des ménages repart à la hausse, celui de l’Etat explose. Les déficits publics augmentent d’un milliard de dollars par jour et n’ont jamais autant dérapé en période de croissance. Une relance XXL qui pousse la dette publique américaine (78 % du produit intérieur brut) à un sommet inédit depuis le lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Pas de problème tant que le roi dollar ne tombe pas de son piédestal et que la planète est toujours prête à financer l’Amérique les yeux fermés. C’est l’autre pari de Trump.

Un scrutin marqué par les violences

Onze morts dans une synagogue de Pittsburg le 27 octobre dernier sous les tirs d'un suprémaciste blanc : l'attaque antisémite la plus meurtrière de l'histoire des Etats-Unis.
Onze morts dans une synagogue de Pittsburg le 27 octobre dernier sous les tirs d’un suprémaciste blanc : l’attaque antisémite la plus meurtrière de l’histoire des Etats-Unis.© Matthew Hatcher/getty images

Le mardi 6 novembre, les électeurs américains sont appelés à élire l’ensemble des 435 membres de la Chambre des représentants et 35 des 100 sénateurs. Dans la première assemblée, les Républicains disposent d’une majorité assez confortable de 235 élus pour 193 aux Démocrates et 7 sièges vacants. Selon les études d’opinion, le résultat du scrutin est indécis dans 30 circonscriptions. Pour faire basculer la majorité, les Démocrates devraient remporter 24 de ces élections et conserver leurs 193 sièges existants. Au Sénat, la majorité républicaine est plus étriquée. Le parti du président compte 51 sénateurs pour 49 élus démocrates. C’est la raison pour laquelle Donald Trump a consacré la plupart de ses ultimes activités de campagne dans des Etats où des postes de sénateurs républicains étaient menacés. Et pour cause, un Sénat acquis aux Démocrates pourrait, même si leurs dirigeants se sont défendus de vouloir l’entreprendre, enclencher une procédure de destitution.

La campagne pour ces élections de midterm s’est avérée particulièrement violente, dans le discours de certains candidats des deux camps et dans l’actualité qui l’a accompagnée, peu ou prou influencée par le scrutin. Cesar Sayoc, 56 ans, a été arrêté après l’envoi d’engins explosifs à des personnalités démocrates, dont l’ancien président Barack Obama. L’enquête a confirmé sa détestation des Démocrates et son adoration… de Donald Trump. Surtout, une fusillade à l’intérieur d’une synagogue à Pittsburg, le samedi 27 octobre (11 morts parmi les fidèles), a rappelé la réalité d’un antisémitisme d’extrême droite aux Etats-Unis. Son auteur, Robert Bowers, 46 ans, ne faisait pas mystère de sa haine des juifs et accusait Donald Trump d’être  » entouré de youpins « . C’est la plus meurtrière attaque antisémite jamais perpétrée aux Etats-Unis.

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