Gérald Papy

Le héros, antidote au djihadiste

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Les récits des attaques terroristes de la vague islamiste contemporaine ont souvent identifié et développé une image de héros figurant pour beaucoup la victoire, au moins symbolique, du bien contre le mal.

Michel Catalano, le patron de l’imprimerie de Dammartin-en-Goële, acteur plein de sang-froid de la fin de cavale des tueurs de Charlie Hebdo, Lassana Bathily, l’employé franco-malien sauveur des clients de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes à Paris, Franck le conducteur de scooter, rempart impuissant de la tuerie au camion de la Promenade des Anglais à Nice… ont contribué à adoucir un imaginaire envahi par la noirceur. Face aux mêmes drames, les forces de sécurité et les services de secours, acteurs tout aussi courageux, ont toujours inspiré le respect mais n’ont pas engendré pareille personnification du héros. Souci de discrétion pour les uns, conviction de  » faire le job  » pour lequel on a été recruté, chez les autres.

A entendre les témoignages de ses proches, le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame n’a fait que ce qu’il pensait logique d’effectuer le vendredi 23 mars en se substituant à une caissière du Super U de Trèbes menacée par un radicalisé du coin transformé en djihadiste de l’Etat islamique. L’issue fatale de sa démarche l’a propulsé naturellement au rang de grand héros de la nation. C’était bien le moins que la France pouvait assurer, à côté de l’hommage aux autres victimes de Carcassonne et de Trèbes, pour rappeler le rôle, souvent négligé mais pourtant essentiel, de gardiens de la démocratie des forces de sécurité.

Arnaud Beltrame n’a pas seulement sauvé la vie de la caissière du Super U, il a sauvé la vie en soi

 » De quelque façon qu’elle se manifeste, ce qui fait la violence de la haine, c’est qu’elle fait douter de lui-même celui qui la subit « , écrivait le philosophe Marc Crépon dans L’Epreuve de la haine, Essai sur le refus de la violence (Odile Jacob, 2016). Face à la déferlante islamiste qu’elle subit depuis quelques années, la démocratie européenne aurait pu douter d’elle-même. Ce n’a été le cas qu’à la marge et qu’aux extrêmes parce que d’autres héros, malgré la douleur de la perte d’un proche, ont su conserver foi en l’Etat de droit. A cet égard, on ne mesure sans doute pas encore ce que notre démocratie doit aux Latifa Ibn Ziaten, mère d’Imad, soldat abattu à Toulouse, Antoine Leiris, compagnon d’Hélène assassinée au Bataclan, à Paris, et autres Michel Visart, père de Lauriane, tuée dans la station de métro Maelbeek, à Bruxelles.

Arnaud Beltrame appartient pleinement désormais à ce Panthéon des défenseurs de la démocratie. Dans une de ses chroniques sur Europe 1, le philosophe Raphaël Enthoven a expliqué opportunément, aux éventuels esprits perturbés qui s’expriment sur les réseaux sociaux, ce qui distingue son  » martyre  » de celui recherché par les djihadistes kamikazes. Ceux qui meurent volontairement pour tuer des innocents ne font preuve d’aucun courage : ils ne tuent que parce qu’ils sont convaincus d’y trouver un bénéfice ( » une partouze éternelle dans l’au-delà « ). Ceux qui meurent volontairement pour sauver des vies sont le courage en personne : ils consentent à tout perdre pour que la vie soit sauvée, pas seulement celle de l’autre dont Arnaud Beltrame a pris la place, mais la vie en soi. Donc, comme l’écrivait en conclusion de son dernier ouvrage ( Allons-nous renoncer à la liberté ?, Belfond, 2017) l’essayiste Carlo Strenger,  » il dépend de nous de réussir à transmettre aux générations futures la capacité à supporter les souffrances de la liberté et à reconnaître toute la beauté que recèle l’aventure de cette même liberté « .

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