Zibar Omar

« Le gouvernement turc est bien décidé à contrecarrer le Kurdistan syrien »

Zibar Omar Arabiste et spécialiste du Kurdistan

Pour la première fois en cinq ans, les armes se taisent en Syrie. Pour l’instant, du moins. Ce cessez-le-feu a été convenu le mois dernier à Munich par les puissances internationales et régionales. Seuls les groupements jihadistes, tels que l’État islamique (EI) et le Front al-Nosra (l’Al Qaeda syrien) sont exclus de cet accord, ce qui ne plaît pas du tout à la Turquie. Le gouvernement turc estime, en effet, que les Unités de protection du peuple (YPG) et son aile politique, le Parti de l’union démocratique (PYD), ne peuvent être mêlées à ce cessez-le-feu.

Ainsi, les forces turques continuent à tirer sur les positions kurdes au nord d’Alep dans le but d’arrêter la dernière progression de combattants kurdes vers la ville frontière d’Azaz, où ils ont conquis de nouvelles villes. La Turquie veut éviter, coûte que coûte, l’unification de la ville kurde d’Afrin avec le reste de l’autonomie kurde « Rojava ». Pour cette raison, il est primordial pour lui que la ville Azaz ne tombe pas aux mains des Kurdes.

Kurdophobie

Le président turc Tayyip Recep Erdogan et son premier ministre Ahmed Davutoglu descendent l’YPG en flammes. En témoigne la salve de déclarations de ces derniers jours où on a même parlé d’une possible intervention militaire contre Rovaja, qui n’a pas été accueillie avec enthousiasme par l’armée turque. En outre, les Américains se sont opposés clairement aux Turcs. L’OTAN a également fait comprendre qu’elle ne souhaitait pas être traînée dans le marais guerre syrien et qu’elle n’a nulle envie d’une confrontation avec la Russie. Depuis qu’un jet russe a été abattu en novembre 2015, les relations sont tendues. Pour l’instant, l’intervention turque en Syrie semble donc un coup dans l’air.

Il y a longtemps que l’on sait que la Turquie est obsédée par toute forme d’autonomie kurde et qu’elle la considère comme un péril pour sa sécurité nationale et son intégrité territoriale. Cette kurdophobie est poussée à ce point qu’un ministre turc a déclaré il y quelques années : « si les Kurdes fondent une maison sur le Pôle Nord, les Turcs feront tout pour la détruire. »

Rojava

Il en va de même pour Rojava. Depuis le début, le gouvernement turc essaie d’arrêter ou de réduire la nouvelle réalité kurde dans son pays voisin, utilisant tous les moyens. À la déception d’Ankara, toutes ces tentatives sont tombées à l’eau. Elles ont même nui à la Turquie, considérée de plus en plus comme un partenaire non fiable.

Toutes les manoeuvres turques dans la guerre civile syrienne sont devenues prévisibles et le but de la Turquie, c’est d’attaquer Rojava. On l’a vu lors de l’attentat suicide à Ankara l’année dernière qui a surtout coûté la vie aux Kurdes et à leurs sympathisants. Sous le couvert de la lutte contre l’organisation terroriste EI, le gouvernement turc a frappé le mouvement kurde sur tous les fronts. Il a pilonné les sièges kurdes dans les montagnes du Kurdistan, il a assiégé les villes kurdes dans le Kurdistan turc, et son artillerie a bombardé les positions d’YPG au nord du Kurdistan syrien.

Bévue

Il en a été de même pour les pourparlers de paix de Genève 3, commencés cette année. La Turquie a tout fait pour en exclure les Kurdes, pourtant les seules troupes au sol efficaces contre les organisations terroristes islamiques. Beaucoup de Kurdes ont cru que les pourparlers tourneraient à une énième trahison. Pour apaiser les tensions, Washington a envoyé un représentant spécial du président Obama, Brett McGurk, à Rovaja. Cette visite a fait trembler Ankara sur ses bases. Erdogan a accusé les responsables américains de transformer la Syrie en mer de sang en soutenant les Kurdes de Syrie. Il a même déclaré que les Américains devaient faire un choix entre la Turquie et le PYD kurde.

Jusqu’à présent, la politique turque contre Rojava s’est soldée par un échec. Récemment, un quotidien turc renommé a publié une opinion de Semih Idiz intitulée « The more Turkey tries, the more it seems to fail ». Cette phrase résume parfaitement les échecs du gouvernement turc à contrecarrer l’autonomie kurde au Kurdistan syrien.

Attentat suicide

Le 17 février, un attentat suicide sanglant commis au coeur de l’establishment turc à Ankara a coûté la vie à une trentaine d’officiers et de soldats. Étonnamment, quelques heures après l’attentat Erdogan et son premier ministre Davutoglu connaissaient déjà l’identité de l’auteur. Ils ont prétendu que le coupable s’appelait Salih Najjar et qu’il était un combattant kurdo-syrien d’YGP. Il aurait été originaire d’Amoude et ses empreintes auraient été prises lors de son entrée en Turquie. Tout cela semblait peu crédible. L’histoire a même fait l’objet de blagues auprès des habitants d’Amoude, connus pour leurs plaisanteries.

Deux jours plus tard, l’attentat suicide a été revendiqué par les Faucons de la Liberté du Kurdistan, le TAK, un groupe dissident du PKK. Né en 1989, le coupable s’appelait Abdulbaki Sömer et était originaire de Van dans le Kurdistan. Cette révélation a été une gifle pour les détenteurs de pouvoir turcs.

Le gouvernement turc est bien décidé à contrecarrer le Kurdistan syrien

Malgré les frustrations, les déboires, les critiques et la perte de prestige, il ne fait pas de doute que le gouvernement turc est bien décidé à poursuivre sa politique syrienne infructueuse et qu’il fera tout pour contrecarrer au moins l’unification du Kurdistan syrien.

En témoigne le lancement de la vieille idée d’une zone de sécurité en Syrie. À nouveau, la Turquie essaie de jouer un tour aux Kurdes en Syrie sous le couvert humanitaire de l’accueil des réfugiés syriens. Pour la Turquie, cette zone de sécurité ne doit être nulle part ailleurs que dans la ville d’Azaz, entre les villes kurdes de Kobané et Afrin. Cette zone doit faire au moins 10 kilomètres de large et doit être exempte de combattants kurdes. Hormis la chancelière allemande Angela Merkel, personne ne semble enthousiaste. Cette tentative est à nouveau une opportunité manquée pour Erdogan de mettre fin à son cauchemar kurde en Syrie. C’est un énième exemple qui démontre que « plus Erdogan essaie, plus il échoue. »

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