Manifestation anti-Nkurunziza, en avril 2015, à Musaga, dans la périphérie de Bujumbura. © SIMON MAINA/BELGAIMAGE

« Le génocide est en cours au Burundi »

Malgré un rapport accablant de l’ONU, le président Nkurunziza reste cramponné à son siège et sourd à toute critique. Les journalistes, eux, ont fui par dizaines. Entretien avec l’un d’eux, Alexandre Niyungeko.

Exécutions, disparitions, torture, viols… Une mission d’enquête de l’ONU vient de publier un rapport accablant pour le pouvoir burundais, accusé d’avoir ordonné ou couvert de nombreuses violations des droits humains entre avril 2015 et juin 2016. Le pays est en proie à des violences depuis la volonté du président Nkurunziza, un Hutu, de garder le pouvoir au-delà de ce que prescrit la Constitution. Le point avec Alexandre Niyungeko, président de l’Union burundaise des journalistes, en exil au Rwanda depuis le 23 mai 2015.

Comment vivez-vous votre exil dans la capitale rwandaise, à une heure de route de votre pays ?

Nous sommes 84 journalistes et autres techniciens, ici, à Kigali. Tous, nous essayons de résoudre la crise médiatique. Moi-même je suis allé en Belgique pour une rencontre organisée par le ministre Demotte. Je m’occupe de l’encadrement de la nouvelle radio Inzamba, devenue le média des journalistes burundais en exil. On essaie de rassembler les infos du pays, des collègues y restent cachés et nous informent. Et nous, on recoupe…

C’est une vraie radio ?

Elle est diffusée seulement sur le Net. On ne parvient donc plus à atteindre le public burundais qui n’a que son transistor. Or, on reçoit des milliers de messages de compatriotes qui demandent à être informés car seule la voix gouvernementale est relayée. C’est pourquoi nous lançons un appel pour qu’on nous aide à lancer une vraie radio.

Plus aucun média indépendant n’existe au Burundi ?

Seul le journal Iwacu existe encore. Ce sont vraiment des gens courageux. Cela dit, ils ne peuvent pas aborder certains sujets… Le directeur est sous le coup d’un mandat d’arrêt international et un journaliste est porté disparu depuis près de deux mois. Les autres subissent des menaces permanentes.

Vous est-il possible de retourner dans votre pays ?

Pratiquement impossible. Au début de cette année, j’ai perdu mon père et je n’ai pu aller à son enterrement. Les amis m’ont dit :  » Ne viens pas.  » Alors on a organisé une cérémonie ici (émotion). Il voulait me voir avant sa mort, mais cela n’a pas été possible.

Quand avez-vous senti le vent tourner avec le pouvoir ?

Notre contentieux a commencé à la suite des tueries massives des militants de l’opposition de 2010 à 2011, avec des corps qui flottaient dans les rivières. La majorité des victimes étaient des Hutus de l’ex-parti rebelle FNL. Le pouvoir a découvert qu’il ne nous contrôlait pas. En 2013, la loi sur la protection des sources a été révisée. Depuis lors, on ne peut plus dénoncer les exécutions ni les malversations économiques sous prétexte que cela touche à la sécurité nationale.

Comment se sont passées vos ultimes journées au Burundi ?

Alexandre Niyungeko.
Alexandre Niyungeko.© PG

Depuis le 26 avril 2015 (NDLR : date des premières manifestations contre la décision de Nkurunziza de rester au pouvoir), j’avais des problèmes car notre syndicat a condamné les mesures de restriction pour la presse. Les autorités burundaises ont empêché de couvrir les manifestations et ont coupé les antennes des radios indépendantes. Le 27 avril, la police a déboulé dans mon bureau et m’a brièvement arrêté. On nous accuse d’avoir diffusé des rumeurs qui ont poussé les gens à l’exil. La vérité, c’est quand les radios ont été coupées que les gens se sont enfuis. Pour eux, des radios muettes ne pouvaient qu’annoncer une catastrophe.

Que s’est-il passé ensuite ?

Le 27 avril, en fin de journée, un voisin m’informe que des gens m’attendent devant chez moi. Je décide de ne pas rentrer. Deux jours après, j’aperçois un véhicule suspect qui me suit, le genre d’auto sans plaques et aux vitres fumées. Je parviens à le semer. Mon informateur me rappelle :  » Ils viennent de te rater, ils planifient autre chose.  » Je gare mon véhicule à Télé Renaissance et j’entre en clandestinité.

Comment êtes-vous parti ?

Le 13 mai 2015, c’est le jour du putsch manqué. Je n’ai pas pu me déplacer, ça tirait partout. Jusqu’au 18 mai, je me suis terré. Ensuite, un journaliste belge m’a exfiltré pour un autre endroit. Le 23 mai, ma femme et mes enfants réussissent à embarquer sur le premier vol Ethiopian Airlines. Moi, j’ai filé en utilisant trois moyens de transport : en auto, en scooter pour contourner les barrages, et à pied. Arrivé au Rwanda, je me suis présenté à un poste de police.

N’est-ce pas paradoxal pour un journaliste de trouver asile dans un pays qui foule aux pieds la liberté de la presse ?

On a bien apprécié l’accueil des officiels rwandais, même si matériellement ils ne nous aident pas. Pour répondre à votre question, bon… (Il hésite) Je ne voudrais pas trop donner mon point de vue, critiquer le Rwanda… Certains Rwandais vont dire qu’ils sont libres, tandis que d’autres vont éviter la question pour des raisons que vous comprendrez.

Avez-vous pu enquêter sur les camps de réfugiés burundais au Rwanda, où, accuse Bujumbura, on recruterait pour déstabiliser le Burundi ?

Je suis allé à maintes reprises dans ces camps. Ces accusations, je n’y crois pas trop. Le gouvernement rwandais organiserait cela ? On doit d’abord le remercier d’avoir reçu ces gens. Pour le reste, il est possible que des jeunes rejoignent les mouvements rebelles. Ces camps ne sont pas des prisons. Ils ont la liberté de sortir et, parfois, ils ne reviennent pas…

Les accusations burundaises sont donc infondées ?

Il s’agit d’une diversion sur un sujet purement national et lié à la violation des textes fondamentaux, dont l’accord d’Arusha qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels. Le pouvoir fait croire que les Tutsis veulent reprendre le pouvoir avec l’aide du Rwanda. Or, les grandes figures de l’opposition aujourd’hui en exil, comme Gervais Rufyikiri (vice-président du Burundi) ou Pie Ntavyohanyuma (président de l’Assemblée nationale), ne sont pas des Tutsis.

Est-il encore utile de discuter du troisième mandat ?

La commission de dialogue recommande de revoir la limitation des mandats. C’est bientôt un empereur qui régnera sur le Burundi ! Oui, le troisième mandat forcé court toujours. Mais on doit continuer de le condamner car c’est une remise en cause de nos acquis et d’une certaine cohabitation entre composantes burundaises. On ne peut accepter cela. Sans parler de tous les crimes commis entre-temps.

On agite souvent le spectre du génocide, mais n’est-ce pas attiser encore plus la haine et la peur ?

Le génocide est en cours. Faites le monitoring des gens arrêtés, des quartiers tutsis qui se vident, des arrestations… Quand on investit des quartiers et communes majoritairement tutsis et qu’on y rafle des jeunes qui ensuite disparaissent, c’est quoi tout ça ? Plus d’un millier de morts jusqu’à présent ! Faut-il attendre un million de morts pour qu’on parle de génocide ?

Entretien, François Janne D’Othée, à Kigali.

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