A Libreville, le 31 août, des manifestants tentent d'approcher le siège de la commission électorale. © M. LONGARI/AFP

Le Gabon, peut-être le dernier pays africain où le pouvoir se maintient par la force ou la fraude

En dépit du contre-exemple gabonais, il est de moins en moins facile, sur le continent noir, de prendre ou de garder le pouvoir par la force ou la fraude électorale. Du fait de la pression de sociétés civiles de plus en plus pugnaces.

Au Gabon, tout commence et tout finit par des chansons. Chants d’espoir, cris de rage, refrains railleurs ou mélopées du deuil ; et cet hymne national – La Concorde – qu’entonnent les insurgés de Libreville, de Port-Gentil et d’ailleurs à l’heure de défier les gardes-chiourmes en treillis d’Ali Bongo Ondimba, alias ABO. Qui sait ? Peut-être une autre rengaine hante-t-elle en son Palais du bord de mer le chef d’Etat si mal réélu le 27 août. Dans On vous connaît, tube sorti en 2010, sa mère, Patience Dabany, diva de la ritournelle populaire, flétrit  » les nés-avant-la-honte « . En clair, les canailles sans scrupule ni pudeur. A l’époque, l’ex-épouse du défunt Omar Bongo visait les amateurs de ragots hostiles au clan familial. Effet boomerang garanti : il faut, six ans plus tard, une belle dose de cynisme pour orchestrer un tel fric-frac électoral.

 » La démocratie, claironne Ali au lendemain de la divulgation du verdict officiel, s’accorde mal de (sic) la prise d’assaut du Parlement « , l’une des cibles des émeutiers. Certes. Mais elle s’accommode fort bien, dans son esprit, du recours aux fraudes à l’ancienne. Pourvu qu’il parvienne au terme de ce nouveau septennat, le sortant aura accompli un authentique exploit : régner quatorze années sans jamais l’avoir emporté dans les urnes. Quoique moins étriquée, sa victoire de 2009 devait, elle aussi, davantage à l’art du maquillage qu’à la vérité des chiffres.

Des impacts de balle sur le mur du quartier général de son rival Jean Ping.
Des impacts de balle sur le mur du quartier général de son rival Jean Ping.© M. LONGARI/AFP

Bien sûr, l’issue du bras de fer opposant le régime en place aux partisans de Jean Ping, cacique en rupture de ban et rival floué, peut paraître incertaine. Mais tout porte à croire que le temps, désormais, travaille pour Ali, enclin à miser sur l’usure de la fronde citoyenne. Titulaire une décennie durant du maroquin de la Défense, Bongo Junior s’est employé à cultiver, à coups de purges et de promotions claniques, la loyauté des unités d’élite d’un appareil militaro-policier renforcé par une phalange de mercenaires étrangers. Il n’a rien à redouter d’un improbable recours de son challenger devant la Cour constitutionnelle, institution inféodée au Palais. Et pas davantage des vertueuses objurgations de la communauté internationale, aussi ferme sur les principes qu’indulgente, dans la durée, envers ceux qui les bafouent. En revanche, deux impératifs s’imposent à lui : d’abord, enrayer îles pénuries de farine et de vivres frais, rançons de la paralysie logistique d’une économie malade de sa dépendance alimentaire ; ensuite, réduire les foyers d’insurrection actifs dans les bas quartiers de la capitale, ainsi qu’à Port-Gentil, bastion pétrolier indocile par tradition, et dans le Nord du pays.

Gare toutefois à l’illusion d’optique : s’il surmonte l’épreuve, le système Bongo se sera tout juste octroyé un sursis. Il n’a désormais d’autre horizon que le maintien en survie artificielle d’un anachronisme. Qui, désormais, osera souscrire aux laïus sur la modernité et  » l’émergence « , le mantra maison, d’une coterie à ce point illégitime, fût-elle épaulée par une cohorte de poètes de cour et de communicants hors de prix ? Le sang des fils du pays – sept morts, dont un policier, selon le bilan très minimaliste des autorités, à la date du 5 septembre – ne s’effacera pas de sitôt.

A Libreville, lors des funérailles d'un homme tué devant chez lui, le 1er septembre. Quatre jours plus tard, on dénombrait officiellement 7 morts.
A Libreville, lors des funérailles d’un homme tué devant chez lui, le 1er septembre. Quatre jours plus tard, on dénombrait officiellement 7 morts.© M. LONGARI/AFP

Sur les fronts de la croissance et de la sécurité, sur celui des élans démocratiques, traiter l’Afrique comme une entité homogène n’a aucun sens. Pour autant, les vents du pluralisme et de l’insoumission balaient le continent du nord au sud et d’est en ouest. Nul besoin d’idolâtrer des  » sociétés civiles  » aux contours imprécis, souvent brouillonnes, parfois noyautées par des has been en quête d’habits neufs ou de virginité. Il n’empêche : globalisées, connectées, les jeunesses africaines, affranchies du fatalisme des aînés, ébranlent les satrapies vintage, récusent simulacres démocratiques et bricolages constitutionnels, et renvoient dans leurs casernes les putschistes galonnés. Exit le  » A quoi bon ?  » ; place au  » Pourquoi pas ? « . Témoin, le fiasco du coup d’Etat furieusement seventies déclenché en septembre 2015 au Burkina Faso par le général Gilbert Diendéré, ex-chef d’état-major particulier de Blaise Compaoré, président détrôné un an plus tôt par la rue pour avoir prétendu prolonger son bail au prix d’un coup de force institutionnel. Archaïque en diable, le pronunciamiento du haut gradé ne survit pas au soulèvement civique conduit par les militants du Balai citoyen. L’espérance, en la matière, est contagieuse : si eux l’ont fait, tout est possible… Au fil des mois, ces mouvances rebelles ont tissé un réseau  » subversif  » subsaharien, où se coudoient les figures de proue du Balai burkinabé, des Y’en a marre sénégalais, de La Lucha – Lutte pour le changement – congolaise ou de Ça suffit !, leur cousine tchadienne.

Le berceau de l’humanité réfractaire à la démocratie ? Inepte.

Non content d’afficher un mépris monarchique envers le libre arbitre de ses compatriotes, ABO alimente, par son coup de force, une thèse très en vogue en Occident : le berceau de l’humanité serait par essence réfractaire à la démocratie. Raccourci inepte, anéanti par les faits. Pour s’en tenir à l’ancien pré carré français, le Sénégal a connu depuis le début du millénaire deux alternances maîtrisées. En 2000, lorsque le socialiste Abdou Diouf, devancé dans les urnes par Abdoulaye Wade, désavoue les desseins frauduleux des faucons de son entourage pour féliciter son tombeur et lui céder le sceptre républicain. Puis, en 2012, quand le même Wade, libéral tenté un temps par la chimère de la succession dynastique, s’efface devant son vainqueur, Macky Sall. De même, en mars dernier, le Bénin – autrefois Dahomey – voit le locataire de la présidence s’effacer au terme de son second mandat, conformément à la loi fondamentale, puis le magnat du coton Patrice Talon terrasser à la faveur d’un ballottage le banquier d’affaires et Premier ministre Lionel Zinsou. Episode terni, il est vrai, par l’emprise de l’argent-roi sur les joutes électorales. Au passage, ces deux exemples mettent en évidence l’inanité d’un autre à-peu-près, selon lequel l’Afrique francophone souffrirait en l’espèce d’un déficit de maturité par rapport à sa soeur anglophone. Si le Ghana peut se prévaloir d’un parcours plus qu’honorable, le Zimbabwe de l’ubuesque nonagénaire Robert Mugabe piétine la liberté de conscience et d’expression avec une opiniâtreté de pachyderme. Quant à l’Ouganda, il hésite entre le caporalisme de Yoweri Museveni – cinquième quinquennat consécutif en cours – et le zèle messianique de son épouse Janet.

Ali Bongo Ondimba, le président gabonais réélu, le 1er septembre.
Ali Bongo Ondimba, le président gabonais réélu, le 1er septembre.© SDP

Tous freins serrés, ces vétérans retardent l’échéance, à l’instar de leurs pairs d’Afrique centrale. Là, les cancres ne manquent pas. Outre le Gabon de la Bongo Inc., on compte le Congo-Brazzaville de Denis Sassou-Nguesso, trente-deux ans de pouvoir au compteur, reconduit voilà six mois au détour d’une parodie de scrutin. Sa voisine, la République démocratique du Congo, ne vaut guère mieux. Porté aux commandes de l’ex-Zaïre en 2001, au lendemain de l’assassinat de son père, Joseph Kabila s’ingénie à différer la séquence isoloirs, fixée par la loi au mois de décembre prochain. Au Cameroun, enfin, Paul Biya, seul maître à bord depuis 1982, a asséché le marigot des prétendants réels ou supposés, volontiers livrés aux serres de l’Epervier, nom de code d’une campagne anticorruption à usages multiples. Y aurait-il une malédiction géographique, voire culturelle ? Hypothèse trop simpliste pour être honnête. En revanche, ces nations ont en commun d’être pourvues d’un imposant pactole pétrolier, minéral ou forestier. Magots propices à l’essor de comportements rentiers et clientélistes. Perpétuer à tout prix les privilèges confisqués : telle est l’obsession.

En d’autres termes, le despotisme semble assez peu soluble dans le brut en barils. D’où le surnom dont on affuble souvent celui-ci au sud du Sahara :  » La merde du diable « . Là encore, nul tropisme linguistique. José Eduardo dos Santos règne sur l’Angola lusophone depuis 1979 et vient de confier le gouvernail de Sonangol, la société pétrolière nationale, à sa fille Isabel, femme la plus fortunée du continent. Au Nigeria, l’ex-général Muhammadu Buhari a certes évincé à la régulière, en mars 2015, le sortant Goodluck Jonathan, mais la corruption ronge depuis des lustres ce pays, le plus peuplé d’Afrique, colosse fédéral aux pieds d’argile. Et l’injustice sociale, criante, n’y est pas étrangère à l’enracinement de la secte islamiste armée Boko Haram dans les Etats septentrionaux.

Le cas d’école gabonais l’atteste : on peut encore, en 2016, voler une élection. Mais le coût – politique, économique, humain et symbolique – de la triche devient de plus en plus prohibitif.

Tout finit par des chansons. En 1977 surgit dans les bacs des disquaires de Libreville l’album disco-funk – neuf titres en anglais – d’un certain Alain Bongo. Ainsi Ali se prénommait-il avant la conversion à l’islam imposée par Omar le patriarche. Lequel, alors, ne mégote pas, confiant le fiston aux bons soins du directeur musical de James Brown. Le titre du vinyle ? A Brand New Man. Un homme tout neuf. L’homme tout neuf fait son âge. Et il n’est pas exclu qu’il ait fait son temps.

Cas d’école

Enoncé du problème d’arithmétique électorale

Soit un pays de 1,8 million d’âmes, divisé en neuf provinces et comptant 628 000 électeurs inscrits. Sachant que le cumul des suffrages recueillis par le candidat Jean Ping dans huit des neuf provinces lui donne une avance de plus de 60 000 votes sur le sortant Ali Bongo Ondimba, quel score doit atteindre ce dernier dans le Haut-Ogooué, où l’on dénombre 1 714 inscrits, pour combler son retard et devancer son challenger de 594 voix ?

Consignes

Deux chiffres après la virgule. Vous prendrez soin, dans votre réponse, de combiner taux de participation et résultat. Vous ne tiendrez pas compte du fait que l’abstention dépasse, dans le reste du pays, 40 %. Ni que la gouvernance du chef de l’Etat en exercice est contestée jusque dans ladite province, fief historique du clan Bongo.

Réponse

Le chef de l’Etat doit pour cela recueillir 95,46 % des suffrages, avec une participation de 99,93 %. Ainsi fut fait le 27 août. CQFD.

Par Vincent Hugeux

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