Olivier Mouton

Le football mondial doit cesser d’être une mafia

Olivier Mouton Journaliste

L’élection du successeur de Sepp Blatter devrait idéalement ouvrir la voie des réformes dans la gestion du sport le plus populaire du monde. Hélas, rien n’est moins sûr…

Ce devrait être une élection décisive, pour clore une crise désastreuse dans la gestion du sport numéro un au monde. Ce vendredi 26 février, à Zurich, le congrès de la Fédération internationale du football (FIFA) va élire le successeur de Sepp Blatter, omnipotent président depuis 1998. Un scrutin préparé dans des conditions dantesques, entre les enquêtes pour corruption menées par le FBI, les suspensions par la commission éthique de Blatter lui-même et du principal favori à sa succession, Michel Platini, et les appels au report de l’élection manqués par un candidat.

Ce devrait être une opération démocratique à même de faire souffler un vent de renouveau sur une organisation au fonctionnement mafieux. Hélas, le duel entre les deux favoris – le cheikh Salman ben Ibrahim Al-Khalifa, membre de la famille royale qui dirige le Bahreïn, et le Suisse Gianni Infantino, ancien bras droit de Platini à l’UEFA – et la candidature les trois outsiders – Ali, Champagne et Sexwale – risquent surtout de ne rien changer du tout dans les pratiques moyenâgeuses qui prévalent à la FIFA. En clair, on continuera à abuser des petits cadeaux entre amis pour obtenir le soutien des uns et des autres – singulièrement dans les petites fédérations africaines – et on ne reviendra en aucun cas sur les attributions controversées des Coupes du monde 2018 à la Russie et 2022 au Qatar. Business as usual and money first…

Les attentes sont pourtant nombreuses. « Il est certain que le football doit se réformer et gagner en transparence », écrit Pascal Boniface, directeur de l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), sur son blog hébergé chez Mediapart. « Pourquoi ne pas demander que les patrimoines des responsables soient rendus publics afin de pouvoir en observer l’évolution, comme cela est le cas dans de nombreux pays pour les responsables politiques? Il pourrait également être judicieux que les votes pour l’attribution des compétitions et avant la Coupe du monde soient rendus publics. Il faut également féminiser la FIFA et limiter le nombre de mandats dans le temps. »

Boniface évoque la nécessité d’une « perestroïka », à l’image de l’opération de transparence décidée par l’ancien président soviétique Mikhaïl Gorbatchev… avant que son empire ne s’effondre.

« Madame la FIFA, battez-vous pour le respect de la démocratie dans le football! » écrit deux responsables politiques français, François Rochebloine et Mickaël Heidmann, sur le site du Monde. En appelant à une réforme en profondeur de l’organisation prévoyant notamment une séparation des pouvoirs politiques et judiciaires.

L’enjeu n’est pas mince. Chargée de l’organisation de la Coupe du monde tous les quatre ans, la FIFA est devenue une grande puissance dont le responsable est accueilli comme un chef d’Etat partout dans le monde. Ses recettes sont équivalentes à un pays comme le Liechtenstein. « Lorsque l’on a une telle puissance politique, médiatique et financière, on se doit de faire beaucoup plus pour transformer le monde et améliorer la condition humaine », écrivent encore Rochebloine et Heidmann.

Certes, il y a des réformes sur la table du congrès de la FIFA: mandats plus clairs, bonne gouvernance… Elles devraient être votées avant l’élection du nouveau président. Le candidat européen Infantino, favori de la fédération belge, propose en outre une Coupe du monde accueillant 40 pays pour élargir l’assise du sport, à l’image de ce que Platini a décidé au niveau de l’UEFA.

Mais en dépit de signes de bonne volonté, tout indique que rien ne va changer au niveau des petits arrangements entre amis. Aucune remise en cause fondamentale de la gestion du passé et de l’attribution contestée des Coupes du monde n’a été décidée. Les principaux candidats sont des hommes du sérail qui risquent d’être rattrapés par les affaires judiciaires en cours. Tous ont arpenté la campagne en multipliant les visites de courtoisie pour « acheter » les votes, africains notamment. Avec 54 fédérations, l’Afrique pèse, il est vrai, plus lourd que l’Europe (53 pays), mais ne dispose pas des mêmes moyens. Lors de leur campagne pour organiser la Coupe du monde 2022, les Qataris n’hésitaient pas à sponsoriser quantité d’événements, jusqu’à des séminaires pour les arbitres, afin de s’attirer les sympathies de ces élus.

Dans la presse anglo-saxonne, par essence critique à l’égard de la FIFA, on tire déjà à boulets rouges sur l’issue du scrutin. « Le cheikh Salman devrait gagner le vote – pour précipiter rapidement la destruction de la FIFA », ironise ainsi un éditorialiste du Telegraph. Qui compare la FIFA à un « pseudo parlement incapable de réformes ». Le cheikh Salman présente en outre un profil sulfureux: il est accusé d’avoir été à l’origine d’une répression féroce de l’opposition dans son pays, touchant notamment de nombreux athlètes. L’homme aurait envoyé des courriers rageurs aux médias osant mettre en doute son intégrité.

Attention, met toutefois en garde Pascal Boniface: « il faut se méfier de certaines arrières-pensées » dans l’agressivité anglo-saxonne à l’encontre de la FIFA. « Cette semaine, The Economist a lancée une idée qui circule beaucoup aux Etats-Unis: retirer à la FIFA la gestion du football pour la donner à une société qui serait cotée en bourse à New York »… Un peu à la mode du football américain.

C’est dire combien la gestion du sport-Roi suscite de nombreuses convoitises. L’entreprise numéro un au monde doit cesser d’être une mafia. Mais le chantier est colossal. Et au vu des intérêts servis par la FIFA, il est peu probable que la volonté de le mener à bien soit désintéressée…

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