Veillée de recueillement et de prières au stade Amahoro de Kigali, le 7 avril 2019. " Le Rwanda est redevenu une famille, plus unie que jamais ", affirme le président Paul Kagame, qui s'est abstenu, cette fois, de vilipender la France. © Y. CHIBA/AFP

Le faux pas de Macron au Rwanda

Le Vif

Invité aux cérémonies du 25e anniversaire du génocide de 1994, le président français s’est dérobé. Une occasion manquée d’apurer – un peu – un lourd passif.

Plus de 800 000 fantômes, et un absent. Le 7 avril, le Rwanda a commémoré pour la 25e fois le génocide de 1994, et ce sans Emmanuel Macron ; lequel a jugé bon de décliner l’invitation venue de Kigali.  » Contraintes d’agenda « , argue son entourage. Vraiment ? Qu’avait-il donc ce jour-là de plus essentiel à faire que de rendre hommage à la foule des suppliciés, Tutsi et Hutu réfractaires, du dernier holocauste du xxe siècle ?

Sans doute le jeune  » marcheur  » en chef – encore ado à l’heure du grand carnage -, pourtant prompt à invoquer le  » devoir de mémoire « , craignait-il d’essuyer in situ, comme d’autres avant lui, les aigres griefs de l’implacable Paul Kagame, l’ex-rebelle qui enraya l’infernal hallali et, fort de son statut de sauveur en treillis, régente depuis lors d’une main de fer le pays des Mille Collines tout en dénonçant le  » rôle actif  » de la France dans l’orchestration de l’indicible. Peut-être redoutait-il aussi d’attiser le courroux de quelques haut gradés enferrés dans leur déni ou de raidir un peu plus les gardiens du dogme mitterrandien.

Certes, l’énarque de la promotion Léopold Sédar Senghor aura pris soin de recevoir l’avant-veille les animateurs de l’ONG Ibuka –  » Souviens-toi « , en langue kinyarwanda -, inlassable pourfendeuse de l’oubli et de l’impunité. Certes, il a confirmé à cette occasion la création d’un comité d’historiens et de chercheurs invités à explorer, archives à l’appui, les zones d’ombre vertigineuses de l’engagement français ; avant d’annoncer l’instauration, le 7 avril, d’une  » journée de commémoration du génocide des Tutsi « . Certes enfin, Macron a dépêché à Kigali Hervé Berville, député LREM des Côtes-d’Armor, natif du Rwanda, orphelin rescapé du délire génocidaire, évacué à l’âge de 4 ans par des militaires français puis adopté par un couple de Bretons. Le président et le survivant se recueillant côte à côte au mémorial de Gisozi, au nord-ouest de la capitale : on devine la portée symbolique qu’aurait eue cette image-là.

La partie la plus serrée se joue sur le terrain judiciaire.

La prudence macronienne paraît d’autant plus paradoxale que, depuis son élection, le successeur de François Hollande n’a pas été avare de gages de bonne volonté envers le petit dragon des Grands Lacs. Tout en convenant que la normalisation ébauchée  » prendra du temps « , il s’est efforcé d’engager avec l’austère  » Mr K  » un dialogue franc et constructif, délesté de toute illusion lyrique.

Signal le plus spectaculaire, et le plus insolite, le soutien appuyé apporté à la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, portée en octobre 2018 aux commandes de l’Organisation internationale de la francophonie. Fidèle d’entre les fidèles de Paul Kagame, au point d’avoir avalisé implicitement la liquidation de dissidents en exil, cette femme de caractère sert avec zèle un pouvoir qui, dans le cursus scolaire, a évincé la langue de Molière au profit de celle de Shakespeare. Comment oublier que son mentor officialisa la candidature de l’intéressé in English sur le perron de l’Elysée ? Ou qu’on lui doit ce verdict cinglant, daté de 2011 :  » Au Rwanda, le français ne va nulle part  » ?

Cela posé, la partie la plus serrée se joue sur le terrain judiciaire. Qu’il s’agisse des poursuites engagées contre des ressortissants rwandais interpellés dans l’Hexagone ou de celles, abandonnées au demeurant, visant des membres du clan Kagame, un temps incriminés pour l’attentat fatal, le 6 avril 1994, au président hutu Juvénal Habyarimana et à son homologue burundais, événement déclencheur de tueries de masse méthodiquement préparées.

Depuis 2014, la justice bleu, blanc, rouge a prononcé trois condamnations – vingt-cinq ans de détention pour un ex-officier de la Garde présidentielle, la perpétuité pour deux anciens bourgmestres de Kabarondo (Est) – et délivré quatre non-lieux. En dépit de la faiblesse de ses effectifs et des moyens qui lui sont alloués – handicaps auxquels Macron promet de remédier -, le pôle  » crimes contre l’humanité  » du tribunal de grande instance de Paris conduit une vingtaine de procédures. Trois Rwandais réfugiés en France, un ancien préfet, un médecin et un chauffeur, dont les avocats ont fait appel, se sont ainsi vu renvoyer devant les assises. Et l’on attend les réquisitions du parquet quant à deux autres suspects.

Si discutable soit-elle, une concession a sans nul doute contribué à alléger le contentieux bilatéral : l’ordonnance de non-lieu rendue le 26 décembre 2018 dans l’enquête relative au crash du Falcon d’Habyarimana, que foudroya un missile sol-air ; décision motivée par  » l’absence d’éléments matériels indiscutables  » et par le caractère  » contradictoire et invérifiable  » des témoignages collectés.

A l’inverse, il va de soi que la clôture, sans mises en examen, des investigations portant sur le comportement des soldats du dispositif Turquoise lors des massacres perpétrés fin juin 1994 dans les collines de Bisesero hérisse Kigali. Tout comme le refus d’extrader une cohorte de cerveaux et d’acteurs présumés du génocide, à commencer par Agathe Habyarimana, la veuve du défunt président.

Une embellie, une tempête. Un dégel, un coup de blizzard. Voilà des lustres que la météo franco-rwandaise obéit à cette alternance d’avancées et de régressions. En février 2010, Nicolas Sarkozy, premier titulaire de la magistrature suprême à se rendre à Kigali depuis 1994, avait reconnu de  » graves erreurs d’appréciation  » et  » une forme d’aveuglement  » de la part de la France officielle.

Non-dits et dérobades

Le mandat suivant fut, quant à lui, assombri par de nouveaux orages. En 2014, un énième réquisitoire francophobe de Kagame contraint Christiane Taubira, alors ministre de la Justice, à renoncer à représenter Paris aux cérémonies du 20e anniversaire de la tragédie. Lesquelles précèdent d’une semaine à peine la fermeture du centre culturel français, exproprié par la municipalité de Kigali. L’année suivante, l’ambassadeur de France quittera une chancellerie restée vacante depuis lors.

L’ère du chaud et froid serait-elle enfin révolue ? Pas sûr. Amplement alimentée par les non-dits et les dérobades des exécutifs successifs(1), le ressentiment antifrançais procure à Paul Kagame un inépuisable filon de légitimité, habilement exploité. Pour preuve, la dernière édition en date de l’entretien semestriel qu’il accorde – sans grand risque d’être bousculé il est vrai – à l’hebdomadaire Jeune Afrique. La fermeture du dossier de l’attentat évoqué plus haut ouvrirait-elle, lui demande-t-on,  » un nouveau chapitre  » ? Réponse :  » Je ne dirais pas cela. Chaque chapitre se termine par une conclusion, et il n’appartient pas au Rwanda de l’écrire à la place de la France.  » Une visite officielle d’Emmanuel Macron serait-elle envisageable avant le terme de l’exercice 2019 ?  » Je n’en ai aucune idée. Mais il est le bienvenu.  » Il est le bienvenu, mais il n’est pas venu.

Par Vincent Hugeux.

(1) Lire les confidences du général à la retraite Jean Varret, recueillies à la mi-mars par Mediapart et Radio France.

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