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Le destin souvent cruel des orphelins sud-coréens

Le Vif

Eté 1985 à Séoul. Ce jour-là, un garçon de sept ans, assis tout seul sur un banc d’une gare routière bondée, sanglotait dans l’attente désespérée de sa maman.

Jo Youn-hwan portait un petit costume aux couleurs d’une équipe de baseball que sa mère lui avait acheté la veille, seul cadeau qu’elle lui ait jamais offert.

Avant de quitter le terminal, elle lui avait demandé de l’attendre sagement. Il a obéi. Mais sa frayeur a gagné en intensité à l’approche du crépuscule. « Je serai vraiment sage, si elle revient », ne cessait-il de promettre.

Il ne l’a jamais revue.

Jo Youn-hwan a été pris en charge par le système d’orphelinats sud-coréen.

Mais bien que le pays ait été le premier « exportateur » d’enfants pendant des décennies, cet enfant était déjà trop vieux pour que de potentiels parents jettent leur dévolu sur lui. Il a passé le reste de son enfance dans une « institution strictement hiérarchique et cruelle », jusqu’à ses 18 ans.

Les enfants y mouraient de maladies curables et les plus vieux maltraitaient quotidiennement les plus jeunes, raconte-t-il à l’AFP.

« Quand un nouvel enfant arrivait et pleurait parce qu’il avait peur, le rituel voulait qu’on l’enveloppe dans une couverture et qu’on le frappe avec une batte de baseball jusqu’à ce qu’il cesse », se souvient-il.

Les locaux, les vêtements étaient dégoûtants, la nourriture avariée, immangeable, confie-t-il encore.

Longtemps, il s’est demandé ce qui lui serait arrivé s’il avait été adopté.

« Ma vie n’aurait pas été si pleine de +han+ », dit-il, employant ce mot coréen qui définit un sentiment d’infinie tristesse et un ressentiment face aux injustices subies.

– La reconnaissance due –

L’adoption internationale qui s’est développée en Corée du Sud juste après la guerre de Corée (1950 -1953) permettait de « débarrasser » le pays ethniquement homogène de métisses nés de liaisons entre Coréennes et soldats américains, considérés comme indésirables.

Les Sud-Coréens sont eux-mêmes réticents à adopter, aussi quelque 180.000 orphelins ont au fil des ans été accueillis à l’étranger, essentiellement aux Etats-Unis.

A l’orphelinat, les plus jeunes, « les plus beaux et les plus sains » étaient sélectionnés pour l’étranger, explique à l’AFP Arissa Oh, chercheuse au Boston College aux Etats-Unis, selon « une logique de +sauvetage+ demeurée très ancrée dans l’esprit des Américains et des Coréens: les riches Américains pouvaient offrir à un enfant coréen une vie meilleure que celle de parents pauvres ou d’une mère célibataire ».

Cette histoire a souvent fait naître parmi les petits adoptés un sentiment d’aliénation par rapport à leur nouveau pays et leur famille d’accueil.

« Toute ma vie, on m’a dit -adoptants, collègues, école- que je devrais être reconnaissante, que si je n’avais pas été adoptée j’aurais fini dans la rue, prostituée », confie à l’AFP Hanna Johansson, une Coréenne adoptée en Suède.

– « Cela aurait pu être moi » –

Né à Séoul en 1960, le cinéaste coréo-américain Glenn Morey a été abandonné bébé et adopté à six mois par un couple américano-écossais. A Denver, dans le Colorado, où il a grandi en étant toujours le seul non-blanc à l’école, il a dû lutter pour s’intégrer.

« Etre Asiatique faisait que j’étais différent, victime d’insultes, de harcèlement et d’exclusion », dit-il. « Quand en grandissant, on est chaque jour confronté à des problèmes, on se demande comment auraient été les choses en Corée, où on se serait au moins senti comme les autres. »

Son dernier film « Side x Side », est une tentative documentaire de répondre à cette question, en interrogeant douze Sud-Coréens passés par des orphelinats.

Deux d’entre eux, souffrant de handicaps, lui ont raconté leur vie dans la rue, sans emploi stable, la constante incertitude du prochain repas et la violence toujours au tournant.

« Je veux juste une vie normale », lui a dit l’un deux.

« Chaque fois que nous tournions, cela me déchirait le coeur », se souvient le réalisateur, « cela aurait pu être moi en quelque sorte, et leurs combats, les miens. »

– « Pourquoi a-t-elle menti ? »-

Les enfants abandonnés sont stigmatisés toute leur vie en Corée du Sud, vus comme le fruit d’une relation coupable, souvent hors mariage, et parce qu’ils ne peuvent revendiquer aucune lignée familiale. Ils subissent la discrimination dans leur recherche d’emploi et leurs relations sociales. Au point que certains mentent pour cacher leurs années d’orphelinat à leur conjoint, à la belle-famille, aux employeurs.

Le cas de M. Jo est, selon ses dires, singulier. Il a réussi ses études et le directeur de son orphelinat a payé sa bourse pour l’université. Il est désormais chauffeur de taxi, marié, père de famille.

L’an dernier il a créé le premier groupe en Corée du Sud de défense des droits des « anciens » de l’orphelinat. Selon ses données, 93% de ces « anciens » ont déjà été inculpés, sans abri ou ont travaillé illégalement. « C’est notre réalité », admet-il.

L’an dernier, il est parvenu à localiser sa mère mais ses découvertes ne l’ont guère apaisé. Son père, joueur invétéré, maltraitait sa mère qui, en quête d’un autre homme à épouser, a décidé de se délester de l’enfant pour cacher son passé. Avant lui, sa soeur aînée avait connu le même sort.

« Pourquoi ne pas m’avoir au moins permis de vivre avec mon père ou ma grand-mère ? Pourquoi a-t-elle menti à mon père et dit que j’étais mort ? »

M. Jo ne se l’explique pas. « Je me bats encore pour digérer ça. C’est dur, très, très dur ».

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