Zep : " Raconter la vraie vie. " © Alain GROSCLAUDE

Le chouette sexe de Zep

Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

L’auteur suisse de Titeuf remet le couvert de Happy Sex, un album réservé aux adultes et dédié aux blagues de cul. Mais toutes y sont décomplexées, bien de leur temps, féministes et forcément jouissives.

Dans Happy Sex, comme son nom l’indique, il y a effectivement du sexe. Plein, de tous les genres, de toutes les couleurs, dans une infinité de positions et parfois turgescents, au point de devoir emballer ce nouvel album du très populaire Zep sous blister et de devoir y apposer un gros sticker  » Réservé aux adultes « .  » Mais il représente surtout un « risque » pour un public de censeurs horrifiés « , souligne d’emblée l’auteur suisse de Titeuf.  » Aux enfants qui me demandent pourquoi ils ne peuvent pas le lire, je réponds juste que ce sera plus drôle quand ils seront grands. Parce que c’est drôle quand on est dedans !  » Car dans Happy Sex, il y a aussi, surtout, beaucoup de joie : une série de gags en une ou deux planches autour des pratiques sexuelles de nos contemporains, particulièrement décomplexées comme l’est cette nouvelle fournée de blagues de cul de Zep (1), dix ans après un premier album qui, à la surprise générale, avait conquis plus de 350 000 lecteurs.  » Décomplexé, c’est le terme. J’essaie de m’amuser, de faire du sexe un sujet léger et drôle. On a souvent tendance à en faire un sujet pesant, trop sérieux, avec des attentes trop fortes, alors qu’en réalité, c’est le seul et dernier vrai terrain de jeu des adultes, qui nous permet encore de développer nos imaginaires. Et qui peut rendre la vie plus agréable.  »

Happy ou Sad Sex ?

Le sexe, Zep a toujours aimé s’en amuser et le dédiaboliser dans ses BD. D’abord dans Titeuf sa célèbre série pour enfants, ensuite, dès 2001, dans son Guide du zizi sexuel réalisé avec sa compagne Hélène Bruller, et qui osait expliquer, en se marrant, la sexualité aux enfants. Une formule qu’il a adaptée aux adultes avec cet Happy Sex sans en changer les ingrédients :  » Graphiquement, je reste d’ailleurs proche de ce que je fais sur Titeuf, juste avec plus de poils, et plus de canapés.  »  » Mon écriture naturelle, c’est de me moquer non pas des gens, mais du ridicule ou du pathétique d’une situation. J’ai développé cette disposition dès l’enfance, par mes lectures, par Gotlib, par la dérision. On verse souvent dans un sérieux qui plombe nos vies, j’essaie au contraire de d’abord rire de moi-même. Comme beaucoup d’humoristes, j’ai peut-être cultivé ça car je suis d’un naturel assez sombre.  » De fait, il n’aurait pas fallu grand chose pour que son Happy Sex devienne un catalogue de Sad Sex s’il l’avait traité sans humour et dans un graphisme plus réaliste (comme dans ses albums Une histoire d’homme ou Un rêve étrange et beau) : omniprésence de la pornographie, réseaux sociaux, nouvelles technologies, sexe connecté, mouvement #MeToo, approche consumériste des plaisirs de la chair…

(1) Happy Sex 2, par Zep, Glénat, 64 p.
(1) Happy Sex 2, par Zep, Glénat, 64 p.

En dix ans, les choses du sexe ont bien changé !  » Mais pas toujours en pire « , précise Zep.  » En Suisse, comme en Belgique j’imagine, les sex-shops sordides sont devenus des « love-shops » très colorés et jolis où on peut se rendre en couple. On a également constaté une recrudescence des MST chez les seniors. Quelque part, c’est assez chouette ! Ça signifie que la vie continue jusqu’au bout et que les mentalités évoluent. Mais c’est vrai aussi que tout l’espace a été envahi par la pornographie, souvent avec des femmes-objets qui ne sont là que pour le plaisir des hommes. Cela véhicule aussi un culte de la performance assez dangereux pour les ados… Comme si au ski, il fallait effectuer sa première descente en schuss parfait ! C’est pour ça que j’en ris, frontalement : c’est important de dire que dans la vraie vie, peu de filles jouissent vraiment après une sodomie et une éjaculation faciale ! Il faut raconter d’autres choses et se moquer de ce genre de clichés : j’essaie de raconter la vraie vie. On a tous été un jour ou l’autre ridicule au lit, et c’est aussi ça qui rend le sexe beau. Il faut se détendre autour de toutes ces questions. On ne passe pas un examen ! On est aussi dans une époque plus « conso », où l’on consomme le sexe comme du wellness, en se trouvant des gens sur les réseaux sociaux qui au moins, partagent les même fantasmes. Ca, aussi, peut avoir un coté positif ; c’est moins violent que d’imposer ses fantasmes à son partenaire, comme ce fut le cas pour les générations précédentes, où la sexualité de l’un était souvent imposée à l’autre.  »

Sida et #MeToo

Nourri par cette approche profondément humaniste de ses personnages et des situations, même les plus lubriques, Zep donne ainsi naissance, l’air de rien, à une série de gags qui changent du masculinisme habituel, et dans lequel les hommes sont toujours les plus ridicules. On sent que la révolution #MeToo est passée entre les deux albums de Happy Sex, mais pas seulement :  » Les femmes se réapproprient aujourd’hui leur plaisir, j’ai voulu y donner écho, mais j’ai aussi grandi dans la génération post-68 où le sexe était perçu comme une promesse de plaisir, d’épanouissement, de rencontres entre des gens qui s’aimaient, qui avaient envie de prendre du plaisir. Quand j’ai eu 15 ans, le sida est arrivé. En quelques mois, le sexe est devenu dangereux, synonyme de mort… J’ai eu envie, de manière inconsciente je pense, de retrouver ce monde perdu, de dire que le sexe est avant tout une promesse de plaisir, porteur d’un projet de société radieuse, égalitaire…  »

Le chouette sexe de Zep

Le sexe de Zep est en tout cas empreint d’une grande liberté créative, comme peu d’auteurs en sont capables, et surtout ceux qui ont connu le succès via des séries pour enfants. A bien y réfléchir, on ne voit même que Franquin pour avoir réussi un tel grand écart entre les univers enfantin et adulte, de ses Spirou aux Idées noires.  » Mais je n’oserai jamais me comparer à lui ! A son époque, ça a dû effectivement être un combat de s’exprimer en BD comme il le voulait. Aujourd’hui, je crois que c’est plus facile et évident qu’un auteur ne va pas se contenter de faire 40 tomes d’une même série. Je ne me suis d’ailleurs jamais imaginé comme un auteur de série. Je fais des bandes dessinées. Si on s’emmerde en réalisant un album, le lecteur s’emmerde aussi, c’est l’évidence.  »

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