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La zone démilitarisée, là où se toisent les deux Corées

Le Vif

Tandis que la tension monte entre Pyongyang et Washington, soldats nord et sud-coréens s’affrontent le long de la ligne de démarcation. A coups de décibels.

Depuis Washington et Pyongyang, Donald Trump et Kim Jung-un se toisent et lancent des menaces apocalyptiques, mais une autre guerre, d’ordre musical, oppose les deux Etats de la péninsule coréenne. A quelques dizaines de kilomètres de Séoul, la capitale de la Corée du Sud, des haut-parleurs pointés vers le nord crachent des airs de  » K-pop « , la variété locale. Le vacarme est assourdissant, et l’on se demande comment les gardes nord-coréens, postés en face, parviennent à tenir leurs positions. En 2005, les gouvernements de Séoul et de Pyongyang avaient pourtant mis fin à la guerre des décibels. Diffusés jour et nuit, chants patriotiques et harangues nationalistes rendaient fous leurs propres soldats ! Mais l’essai nucléaire, mené le 6 janvier 2016 par Kim Jong-un, le dictateur nord-coréen, a ravivé les tensions, et l’on a, d’un côté comme de l’autre, rallumé les amplis. Parfois, le vent apporte des bribes de propagande communiste aux soldats sud-coréens. Cela ne dure jamais longtemps,  » à cause des coupures d’électricité « , sourit l’un d’eux.

Sur la ligne de crête, on aperçoit des baraquements aux murs clairs. L’armée nord-coréenne est en face, de l’autre côté de la zone démilitarisée ( » DMZ « ), une bande de quatre kilomètres de largeur, hérissée de barbelés, aménagée à la fin de la guerre de Corée, en 1953. Dans ce no man’s land, qui s’étire sur 248 kilomètres, un millier de soldats sud-coréens, retranchés dans des casemates, surveillent  » ceux d’en face « .

La zone démilitarisée, là où se toisent les deux Corées
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Une mission à haut risque, car l’ennemi est là, à portée de sniper. La moindre imprudence peut être fatale… C’est, du moins, ce que racontent les tour- opérateurs aux touristes étrangers (plus de 100 000 l’an dernier), qui viennent frissonner le long de la frontière  » la plus dangereuse du monde « . Le circuit est balisé : visite d’un tunnel creusé par l’armée nord-coréenne, traversée du pont de la Liberté, où l’on échangeait les prisonniers… Entre les guides, la concurrence est féroce.

Parfois, les journalistes en rajoutent dans le registre dramatique :  » Mon coeur battait la chamade, je n’arrivais plus à avancer d’un pas « , relate une consoeur de la chaîne NewsAsia, en visite à Panmunjeom – seul point de contact entre les deux Corées. L’objet de sa  » frayeur  » ? Elle venait d’apercevoir deux plantons nord-coréens, au garde-à-vous derrière la ligne de démarcation.  » Tout le monde joue à se faire peur, ça fait partie du folklore, s’esclaffe le réalisateur Jongwoo Park. Je suis allé une bonne centaine de fois dans la DMZ pour tourner mon film, je n’y ai jamais senti la moindre tension.  »

Officiellement, les deux pays sont toujours en guerre. La rhétorique belliqueuse de Pyongyang ne varie pas et les affrontements entre les deux pays sont d’ailleurs assez fréquents : infiltration d’un commando nord-coréen en 1996, combat naval en 2002, bombardement de l’île sud-coréenne de Yeonpyeong en 2010… Mais sur la DMZ, le dernier problème sérieux remonte à 1976. Deux marines américains avaient été tués par des soldats nord-coréens, alors qu’ils abattaient un peuplier qui gênait la vue des guetteurs. Depuis, c’est le désert des Tartares.  » On se lève avant l’aube pour partir en patrouille, raconte Daejin Park, un ancien appelé, qui a passé quatre mois dans un poste de garde au coeur de la DMZ, dans l’est du pays. Dans la journée, on fait des manoeuvres, on répare les barbelés. Au début, on est un peu effrayé, surtout la nuit, et puis on se rend compte qu’il ne se passe rien.  » Le principal ennemi ? L’ennui.  » Un soldat s’était suicidé dans un poste de garde, juste à côté du nôtre, se souvient-il. Après sa mort, le fortin a été abandonné, car son fantôme était revenu hanter les lieux…  » Parfois, on entend une explosion. Un animal vient de sauter sur une mine – il y en a des millions, enfouies dans le sol. Certaines datent de la guerre de Corée, d’autres ont été larguées en 1988, lors des Jeux olympiques de Séoul, car les Américains craignaient alors des intrusions de commandos nord-coréens. De fait, ce no man’s land est certainement l’endroit de la planète où l’on trouve le plus grand nombre de sangliers à trois pattes…

La guerre n’aura jamais lieu. Car tout le monde a trop à perdre

Peu de Sud-Coréens visitent la DMZ, car il leur faut une autorisation spéciale. Ils n’en entretiennent pas moins un drôle de rapport avec ce  » mur « .  » Ils le considèrent comme un rempart, mais ils savent aussi que cette protection est symbolique, commente Kang Taeha, journaliste spécialisé sur la Corée du Nord au quotidien Hankyoreh. Plus de 10 000 pièces d’artillerie sont pointées sur Séoul, qui n’est située qu’à 50 kilomètres de la frontière. L’armée nord- coréenne n’a pas besoin de traverser la DMZ pour nous frapper au coeur.  » De cela, les Coréens ne parlent jamais.  » Il y a un déni collectif, surtout de la part des jeunes générations, constate Jin-seng Park, psychothérapeute installé dans le célèbre quartier de Gangnam. Les Coréens sont persuadés que la guerre n’aura jamais lieu, car tout le monde a trop à perdre, au Nord comme au Sud.  »

Malgré ses rodomontades, Kim Jong-un sait qu’il serait balayé par une coalition menée par les Américains. Il a donc intérêt à maintenir le statu quo. De son côté, le nouveau président sud-coréen, Moon Jae-in, ne souhaite pas l’effondrement du régime nord-coréen. Comment Séoul pourrait-il gérer l’afflux de millions de Nord-Coréens ? Au ministère de l’Unification, on estime d’ailleurs ce scénario peu probable, du moins à court terme.  » Avant d’envisager un rapprochement, il faudrait d’abord que nous parvenions à nous réconcilier « , tempère un membre du cabinet. On en est loin. Ces derniers mois, la Corée du Nord a fait davantage de progrès en balistique qu’en diplomatie. Les récentes invitations au dialogue du président Moon Jae-in sont restées lettre morte, et les rares programmes de coopération ont été gelés, à l’image du complexe industriel de Kaesong, situé sur la frontière. Les sanctions adoptées le 5 août par le Conseil de sécurité de l’ONU, après les récents tests de missiles balistiques, n’arrangent rien.

La situation n’est donc pas près d’évoluer. Là-haut, sur la DMZ, la sirupeuse K-Pop risque de tourmenter encore un certain temps les tympans nord-coréens.

Par Charles Haquet.

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