À Istanbul, les opposants ont dénoncé une manipulation des résultats. © Reuters

La Turquie, un pays coupé en deux

En gagnant sur le fil son référendum, Erdogan a aussi amplifié les divisions dans la société. Une majorité de Belgo-Turcs ont voté « oui ». L’Europe temporise.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan crie victoire depuis que le  » evet  » (oui) l’a emporté au référendum destiné à renforcer considérablement ses pouvoirs. Mais c’est une victoire si étriquée (51,4 %) qu’elle en devient amère. D’autant plus que le résultat est en net recul en comparaison avec les votes cumulés du parti au pouvoir AKP et du parti nationaliste MHP en 2015 (60 %). Il est de surcroît contesté par l’opposition, qui parle de fraudes, et notamment par le HDP, proche de la cause kurde. La plupart des provinces kurdes ont voté  » hayir  » (non).

Ce sont les grandes villes qui ont infligé à Erdogan un camouflet cinglant : le non l’a emporté à Istanbul (dont il a été maire), Ankara (où il a bâti son palais de mille chambres), Izmir, Antalya, Adana… autant de lieux qui concentrent le pouvoir financier, industriel, intellectuel et touristique de la Turquie.  » Cela signifie que la partie du pays qui compte économiquement, qui est éduquée et ouverte sur le monde sera gouvernée par des lois approuvées par l’autre partie, moins importante économiquement, moins éduquée, plus repliée sur elle-même « , note Murat Yetkin dans le quotidien Hürriyet.

Le président ne pourra pas l’ignorer.  » Comme sa légitimité n’en sort pas grandie, sa marge de manoeuvre est étroite, observe Dirk Rochtus, professeur de relations internationales (KU Leuven). La nouvelle Constitution sera mise en oeuvre après les élections présidentielle et législatives de 2019. Or ce scrutin n’est pas gagné d’avance : si l’opposition surmonte ses divisions, et bénéficie d’une confortable avance en sièges, elle pourrait rendre la vie difficile à Erdogan.  » En d’autres mots, une réforme qui change à ce point les fondements de la République aura bien du mal à s’appuyer sur une si courte majorité.

Dans la foulée du référendum, Erdogan en a annoncé un autre, visant à rétablir la peine de mort.  » Sa remise en vigueur signifierait la fin des négociations pour l’adhésion à l’UE, analyse Dirk Rochtus. Mais peut-être ne s’agit-il que d’un coup de bluff destiné à son arrière-ban. Car il est bien conscient des conséquences. Economiquement, la Turquie a davantage besoin de l’Europe que l’inverse, vu que celle-ci accueille 40 % des exportations turques. Erdogan va adoucir sa rhétorique, surtout que la récession frappe le pays de plein fouet.  » L’Europe, elle, tente de calmer le jeu : elle aurait également beaucoup à perdre si Ankara s’avisait de dénoncer l’accord sur les migrants.

Sans les Turcs de l’étranger, le  » calife  » n’aurait sans doute pas gagné son pari. Il a d’ailleurs évoqué leur rôle  » décisif « . Ainsi, 75% des électeurs belgo-turcs ont approuvé la réforme constitutionnelle. Schizophrénie : en Belgique, ils votent pour des partis de gauche, en Turquie, pour un parti conservateur et islamiste.  » A l’étranger, on idéalise le pays, commente Dirk Rochtus. Les Belgo-Turcs proviennent en majorité de régions conservatrices, et sont fascinés par Erdogan, symbole d’une Turquie forte, sans qu’ils sachent trop le modèle de gouvernance qu’il préconise. Si on le leur montrait, ils seraient peut-être effrayés car il s’agit bien de dictature.  » En attendant, leur vote pour un pouvoir fort renforce le camp de ceux qui, ici, veulent en finir avec la double nationalité.

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