Mikhail Kassianov © YouTube

La sextape politique, une habitude russe

Muriel Lefevre

La rumeur sur les ébats filmés de Donald Trump à Moscou est peut-être une « fakenews », mais il n’en reste pas moins que la sextape politique est tendance en Russie. C’est même une tradition bien installée, mieux connue sous le terme kompromat.

Donald Trump, quelques prostituées et du sexe urophile: tout cela est-il bien vrai, et surtout est-ce que cela a été filmé ? Voilà la question qui a secoué l’actualité la semaine dernière. « C’est n’importe quoi », a répondu Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin lorsque CNN et BuzzFeed sont venus lui poser la question. « Nous ne passons pas notre temps à collecter du matériel compromettant » précise-t-il encore.

Peu importe ce que Trump a fait, ou pas, à Moscou en 2013, une chose est néanmoins certaine. Cette dernière affirmation de Peskov est fausse. Car la sextape comme moyen de pression politique est une fâcheuse habitude en Russie.

En mai 2016, les Russes ont pu voir sur leurs écrans télévisés comment le parlementaire russe Mikhail Kassianov – 58 ans, marié et père de deux enfants – batifole dans une chambre un peu glauque avec son assistante qui a 20 ans de moins. Kassianov n’est pas n’importe qui. Il a même été un jour premier ministre. Mais éjecté du gouvernement du jour au lendemain, il s’est depuis mué en figure de l’opposition. Il est aujourd’hui toujours présent à la Douma en tant que membre PARNAS, le parti qu’il a créé avec Boris Nemtsov qui a été assassiné.

Alors que Kassianov et sa maîtresse se déshabillent, ils médisent copieusement sur leurs compagnons de parti. Cette vidéo aura pour conséquence que l’opposition russe, qui était déjà flageolante, a tout simplement implosée. Lors des élections parlementaires qui suivirent, quelques mois plus tard, le parti Kassianov va perdre tous ses sièges.

Cadeau

Ce n’est pourtant pas la sextape la plus retentissante de l’histoire russe. Celle qui eut le plus de répercussions remonte à 1999. Youri Skouratov est alors procureur général de la Russie et est promis à être le successeur de Boris Eltsine qui n’est alors plus qu’à quelques mois de la fin de son mandat de président. Skouratov prend son rôle très au sérieux et, en février de cette même année, il révèle l’affaire de la Fimaco, une filiale de la Banque centrale de Russie. Un scandale qui met en lumière le détournement par des élites russes de l’argent public vers l’étranger pour pas moins de 50 milliards de dollars à travers des montages offshores. Il lance aussi plusieurs enquêtes sur des affaires de corruptions dans les plus hautes sphères du gouvernement Eltsine. Sauf que ces dernières vont toutes aboutir à des non-lieux.

En mars 1999, la chaîne étatique RTR TV diffuse des images de mauvaise qualité où on voit un homme qui ressemble furieusement à Skouratov s’ébattre avec deux prostituées. Les filles seraient un cadeau de l’oligarque Ashot Yeghiazaryan. Le chef de service secret, un certain Poutine, est en charge de l’affaire. Un an plus tard, ce même Poutine va gagner les élections présidentielles au premier tour avec une majorité absolue.

Enfin, une mention toute particulière à l’année 2010. Un très bon cru en ce qui concerne les scandales sexuels parmi les cercles d’influence russes. Cette année-là , on a pu découvrir sur internet pas moins de 5 vidéos qui visaient des journalistes, des activistes et des politiciens critiques envers le Kremlin. Tous ces films semblent avoir été tournés dans le même appartement, avec la même femme. Selon les personnes concernées, ce serait un piège de Poutine et des siens.

Dans le tiroir

Tout cela veut-il dire que cette sextape existerait réellement ? Pas nécessairement. Le raisonnement peut prendre deux tournures. Cette cassette s’inscrit-elle dans cette tradition, ou a-t-on justement tablé sur cette mauvaise habitude pour la rendre plus crédible ?

On remarque que dans le « cas Trump » le contexte est loin d’être identique. Les personnes visées par les précédents scandales étaient des figures emblématiques qui s’affichaient ouvertement contre le Kremlin.

Et surtout le fait qu’une telle vidéo existe n’est certainement pas, en ce moment, perçu comme un avantage pour la Russie. Avec Donald Trump, président, et Rex Tillerson, ministre des Affaires étrangères, Moscou peut s’appuyer sur deux personnes qui ne lui sont certainement pas contraires. Ces derniers pourraient – pourquoi pas – envisager de lever les sanctions qui ont été imposées après l’envahissement de la Crimée. Et cela serait particulièrement bienvenu puisque l’économie russe et le rouble ont particulièrement souffert ces derniers temps. En parallèle, le mouvement antirusse aux USA s’active à plein régime. Dans la dernière ligne droite de son mandat, Obama a confirmé les sanctions. Au sénat, un groupe de démocrates en prépare même de supplémentaires comme représailles aux cyberattaques durant les élections.

Aujourd’hui, la Russie doit donc surtout veiller à apparaître comme sincère et pragmatique. Tel l’ours qui ne se mêle pas des affaires des autres et avec qui il est possible de discuter. Ce n’est que dans ce cas que Trump aura la latitude suffisante pour entamer une relation amicale avec Moscou.

Dans cette optique la dernière chose que les Russes souhaitent c’est des rumeurs de vidéos compromettantes. En d’autres termes : si Poutine avait vraiment une vidéo de ce type sur Trump cachée dans un tiroir, elle y resterait bien au chaud.

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