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La rocambolesque histoire du plus sulfureux des manuscrits de Sade

Le Vif

Le sulfureux manuscrit des « Cent Vingt Journées de Sodome », écrit par Sade à la Bastille en 1785, caché, volé, vendu, disputé en justice en Suisse et en France et enfin racheté 7 millions d’euros, revient à Paris, l’année du bicentenaire de la mort du « divin marquis ».

« Ce manuscrit exceptionnel, volé en 1982, signalé à Interpol, et disputé par deux familles, est enfin de retour en France, au terme d’une histoire rocambolesque. Mais il m’a fallu trois ans d’âpres négociations », avoue son nouveau propriétaire, Gérard Lhéritier, président fondateur d’Aristophil et du Musée des Lettres et Manuscrits, dont une succursale a été ouverte à Bruxelles en 2005.

L’homme d’affaires a « déboursé au total 7 millions d’euros » pour cet original très convoité du marquis de Sade (1740-1814), qui devient l’un des trois manuscrits les plus chers conservés en France. Il est assuré 12 millions d’euros par les Lloyds.

Le rouleau autographe de cette oeuvre mythique, catalogue de perversions sexuelles d’une violence inouïe, rédigé à l’insu de ses geôliers par un Sade « embastillé », vient tout juste d’être rapatrié de Genève. Dans un état de conservation parfait, il sera présenté au grand public à l’Institut des lettres et manuscrits à partir de septembre. « Je vais le faire classer +Trésor national+ afin qu’il reste en France et revienne peut-être un jour à la Bibliothèque nationale de France », affirme M. Lhéritier.

En 1785, craignant la saisie de l’ouvrage, Sade avait recopié ses brouillons, d’une écriture minuscule et serrée, sur les deux faces d’un rouleau de papier chiffon de 12 mètres de long, composé de feuilles de 11,5 cm de large, collées bout à bout, qu’il a dissimulé dans le mur de sa cellule, raconte M. Lhéritier. Dans la nuit du 3 au 4 juillet 1789, Sade est transféré à l’hospice de Charenton car il harangue la foule depuis sa cellule, laissant derrière lui son manuscrit. Jusqu’à sa mort, Sade regrettera cette perte, assurant avoir versé « des larmes de sang ». En fait, le fameux rouleau a été récupéré lors de la destruction de la Bastille et vendu au marquis de Villeneuve-Trans.

La famille le conservera pendant trois générations. A la fin du XIXe siècle, il est vendu à un psychiatre berlinois, Iwan Bloch, qui en publie en 1904 une version comportant de nombreuses erreurs. En 1929, Charles et Marie-Laure de Noailles, elle-même descendante du marquis de Sade par sa mère, rachètent le manuscrit et en publient une édition limitée aux « bibliophiles souscripteurs » pour éviter la censure.

Puis leur fille, Nathalie de Noailles, confie en 1982 le précieux rouleau à son ami l’éditeur Jean Grouet. Quelques mois plus tard, il est supposé lui restituer mais… stupéfaction, l’étui en cuir est vide ! Le manuscrit a été volé. Grouet a vendu le rouleau pour 300.000 francs (environ 50.000 euros) au collectionneur suisse d’oeuvres érotiques, Gérard Nordmann. S’en suit une féroce bataille judiciaire.

La France tranche en juin 1990: le manuscrit a été volé et doit être restitué à la famille de Noailles. Nordmann a acquis légalement le document, sa « bonne foi est constituée », conclut de son côté le tribunal fédéral helvétique en mai 1998. En 2004, le manuscrit est exposé pour la première fois à la Fondation Bodmer, près de Genève. Mais s’il franchissait les Alpes, il serait saisi et restitué au fils de Nathalie de Noailles, Carlo Perrone. Finalement, les héritiers de Gérard Nordmann, disparu en 1992, décident de vendre ce trésor encombrant au goût de soufre.

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