Jiang Qing © Wikipedia

La Révolution culturelle et l’impitoyable Madame Mao

Le Vif

Un mot déplacé, une simple objection… Sous la Révolution culturelle, il en fallait peu à la toute-puissante épouse de Mao Tsé-toung, Jiang Qing, intronisée patronne de la culture, pour persécuter impitoyablement un artiste.

« Elle était despotique », se remémore pour l’AFP Jiang Zuhui, 81 ans, la créatrice et chorégraphe d’une des oeuvres les plus emblématiques de l’époque, le ballet « Détachement féminin rouge », remis à l’honneur dans sa version « maoïste-kitch » pour de récentes tournées internationales.

Au début de la Révolution culturelle, dont le lancement eut lieu il y a 50 ans, « la femme de Mao était venue assister à une répétition, se rappelle-t-elle. A la fin, je l’ai invitée à monter sur scène rejoindre la troupe. Elle a refusé. J’ai insisté, poliment. Elle a pris ça pour de l’insolence. »

Résultat: trois ans enfermée dans une salle du théâtre. L’artiste n’en était extraite que pour se faire éreinter lors des « séances de critique » des « gardes rouges ». La chorégraphe sera ensuite envoyée six ans à la campagne, à l’image d’innombrables artistes « contre-révolutionnaires ». Plus chanceux que d’autres, mutilés à vie ou assassinés. « S’opposer à Jiang Qing, c’était s’opposer à la révolution », résume Jiang Zuhui, pour qui « l’art a été étouffé pendant 10 ans ». « Le pays comptait sur nous, m’avait envoyée en URSS pour me former… Mais tout s’est arrêté. Quel gâchis ! », soupire la vieille dame, aujourd’hui paisible retraitée à Pékin.

‘Ridicule’

Madame Mao, une ex-starlette avide de reconnaissance, avait décrété un mouvement de « purification » culturelle, prohibant pièces de théâtre, films, musiques et opéras jugés « bourgeois ». Soit la quasi-totalité du répertoire. « Le Détachement féminin rouge », ballet monté en 1964 par Jiang Zuhui, faisait partie des huit « spectacles-modèles » restants –cinq opéras, une symphonie, deux ballets–, seuls autorisés.

Il conte l’histoire d’une Chinoise des années 30 qui échappe aux griffes d’un maître cruel et rejoint un bataillon de femmes de l’Armée rouge. En l’absence de Jiang Zuhui, l’épouse de Mao s’attribue « Le Détachement féminin rouge » et le remanie: les gestes subtils des danseurs deviennent des « poings levés » et des postures guerrières. « Pour faire davantage +révolutionnaire+. C’était tellement puéril… », peste l’ex-chorégraphe.

« Elle a même demandé à chaque membre de la troupe, dont la quasi-totalité ne connaissait rien à la musique…de recomposer la musique du ballet. Ridicule. » Jiang Zuhui n’a été libérée qu’après la mort de Mao en 1976 et l’arrestation de sa femme, qui se suicidera en prison en 1991.

« La Révolution culturelle aura été un désastre pour la culture », rappelle le critique d’art Zhu Dake, « au total, peut-être un artiste sur 10.000 pouvait encore exercer, et uniquement pour les oeuvres-modèles » de Jiang Qing, ses « outils politiques ».

Xi veut une culture ‘marxiste’

Le « Détachement féminin rouge », à la valeur artistique reconnue, figure toujours aujourd’hui au répertoire du Ballet national de Chine — aux côtés d’oeuvres jadis bannies comme « Carmen » et « Don Quichotte ».

Les autres « spectacles rouges » (chant, opéra, théâtre, ballet), souvent subventionnés par le Parti, sont aujourd’hui ringardisés.

« Seule une minorité de personnes âgées sont nostalgiques des shows révolutionnaires », estime Xiao Deng, employée d’une entreprise d’État, qui lui offre régulièrement des billets gratuits pour ces représentations.

« Les jeunes ne se sentent plus concernés par ces histoires, tellement différentes de leurs aspirations et de leur vie d’aujourd’hui. »

Dans la Chine de 2016, le risque d’excommunication artistique est limité, même si l’artiste contestataire Ai Weiwei a été privé de passeport plusieurs années.

« Les artistes sont plus libres désormais que sous l’extrémisme de la Révolution culturelle », relève Zhu Dake.

« Mais moins qu’au début des années 80, où on a assisté à une renaissance pour les romans, la peinture, le théâtre, les beaux-arts… qui s’est achevée en 1989 » — après la répression de la place Tiananmen.

Le président Xi Jinping continue ainsi d’exhorter les artistes à servir le Parti communiste. Il a dénoncé la « vulgarité » de certaines oeuvres, dans un discours comparé à une allocution de Mao de 1942.

« L’art et la culture dégageront une plus grande énergie positive si la conception marxiste y est solidement ancrée », a assuré le président Xi.

Pour Zhou Dake, « aujourd’hui, il n’y a pas de terreau pour la création. Entre pression commerciale et politique, les artistes n’ont pas d’espace pour se développer. »

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