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La police et la justice mésestiment-elles les violences contre les femmes ?

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Pour Vanessa D’Hooghe, chercheuse au centre d’études de Vie féminine, la formation des personnels de ces institutions est insuffisante. Et le plus gros problème de la Belgique est l’absence de politique coordonnée entre niveaux de pouvoir et échelons du processus judiciaire.

Peut-on affirmer en Belgique en 2019 que la police ne prend pas en considération comme elle devrait le faire les violences faites aux femmes et que les parquets ne les poursuivent pas comme ils devraient le faire ?

On peut encore le dire aujourd’hui. Vie féminine a sorti en 2018, sur la base de témoignages de femmes, une étude (1) qui montre que la prise en compte des plaintes pour violences reste très aléatoire. Les plaintes ne sont pas systématiquement enregistrées pour plusieurs raisons : soit les violences sont banalisées ou incomprises, c’est le cas pour les violences économiques ou psychologiques, par exemple ; soit des agents de police ont une attitude sexiste ; soit des policiers prétendent aux plaignantes que  » de toute façon, cela ne sert à rien ; ce sera classé sans suite « . Ce ressenti d’inutilité, étayé par les chiffres, pose la question du suivi en justice. Le processus fonctionne comme les maillons d’une chaîne : la prévention n’a pas empêché la violence de se produire ; la formation des policiers ne les a pas rendus suffisamment réceptifs à ce type de violences ; et la justice ne fonctionne pas adéquatement.

Les violences contre les femmes sont le produit d’un système.

S’agit-il pour vous non d’une succession de cas isolés mais d’un problème structurel ?

Oui. Notre étude a été menée sur toute la Wallonie et à Bruxelles. Il en ressort, pour ne parler que de la police, que les mauvaises pratiques ne sont pas limitées à un lieu géographique ; elles relèvent d’un constat général.

Qu’impose à la Belgique la Convention d’Istanbul ?

La Belgique a signé ce texte et est obligée de le mettre en oeuvre. La Convention d’Istanbul impose des mesures dans quatre domaines : la prévention, la protection, les poursuites et les politiques intégrées. Prochainement, la Belgique va précisément devoir rendre des comptes sur son application dans un rapport officiel. A cette occasion, les associations représentantes des femmes et actives dans la lutte contre les violences remettent aussi un rapport alternatif. Celui-ci montre que notre pays ne respecte qu’une vingtaine de pour cent de ses obligations dans ce cadre. Un grand problème de la Belgique est l’absence de politique coordonnée de lutte contre les violences. Les compétences et les niveaux de pouvoirs sont éclatés. Et on n’a pas de vue non plus sur la ligne budgétaire accordée à cette politique. Notre étude sur la police montre d’ailleurs que les cas de bonnes pratiques correspondent justement à une coordination locale, à l’initiative parfois d’individus ou d’associations.

La reconnaissance de la notion de féminicide constituerait-elle un progrès ?

Vanessa D'Hooghe, chercheuse du centre d'études de Vie féminine.
Vanessa D’Hooghe, chercheuse du centre d’études de Vie féminine.

Cela dépend sous quelle forme. Les associations féministes, dont nous faisons partie, mènent une veille pour nommer les féminicides et les comptabiliser parce qu’aujourd’hui, nous ne disposons pas de chiffres sur les meurtres de femmes parce qu’elles sont des femmes, le plus souvent dans des contextes de violences conjugales ou intrafamiliales. Le plus important pour nous est une reconnaissance sociétale, une visibilisation et une compréhension du mécanisme, afin d’agir avant que le féminicide se produise. Inscrire le féminicide dans le Code pénal va-t-il diminuer leur nombre ? Nous sommes beaucoup plus réservés. La définition du terme dans le Code pénal ne va pas permettre aux divers acteurs et aux juges, qui ne sont pas suffisamment formés, d’intervenir à la mesure de la complexité des dynamiques de violences, de leurs différentes formes, y compris psychologiques et économiques.

Le phénomène #MeToo après l’affaire Weinstein a-t-il fait évoluer les pratiques dans le bon sens ?

Notre étude est postérieure à #MeToo. Donc la situation ne s’est pas forcément améliorée. #MeToo a permis une meilleure identification de ce que sont les violences. Beaucoup sont tellement banalisées qu’on ne les voyait plus. Mais les femmes ont toujours témoigné de violences. Cette fois-ci, il y a eu un relais médiatique et une prise de conscience, dont on attend les retombées politiques. Mais sans compréhension adéquate de la nature des violences et du système de domination sexiste qui les favorise, les actions que l’on peut entreprendre restent très individuelles. Or, les violences contre les femmes ne sont pas le résultat de déviances isolées. Elles sont le produit d’un système. Et ce qui n’a pas changé non plus, voire s’est aggravé, ce sont les conditions de vie des femmes en Belgique aujourd’hui. Pour qu’elles puissent s’extraire de ces violences, il faut aussi qu’elles en aient les outils. Alimenter leur position inégalitaire dans la société, au niveau socio-économique notamment, n’y contribue pas.

L’éducation est-elle essentielle dans la prévention des violences ?

L’éducation est effectivement indispensable. Mais elle ne se dispense pas que dans les écoles. Elle résulte aussi de la formation continue des professionnels. La Convention d’Istanbul indique notamment qu’une institution de l’Etat ne peut produire ou reproduire des violences. Cela signifie que chaque acteur doit aussi être formé. En outre, la prévention ne doit pas se diriger uniquement vers les femmes comme actrices de ce changement. Il faut aussi un changement du côté des hommes.

(1) Violences faites aux femmes : pourquoi la police doit jouer son rôle, par Vanessa D’Hooghe, Vie féminine, avril 2018.

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