Xi Jinping est tout-puissant depuis la suppression de la limite de deux mandats. © The yomiuri shimbun/afp

La nouvelle armée du tout-puissant Xi Jinping

Le Vif

La Chine poursuit la modernisation de son outil militaire. La compétition stratégique avec les Etats-Unis est lancée.

Au début de mars dernier, pour la première fois depuis plus de quarante ans, un porte-avions américain jette l’ancre dans un port du Vietnam : l’USS Carl Vinson étire ses 333 mètres de longueur dans la baie de Da Nang. Matches amicaux de football et de basket-ball, visites auprès de victimes de l’agent orange, le pesticide utilisé par les forces américaines pendant la guerre du Vietnam… Cette escale historique symbolise le rapprochement entre les ennemis d’hier, marqué de manière spectaculaire par la visite de Barack Obama sur place, en 2016. L’ancien président avait levé l’embargo sur les ventes d’armes à Hanoï. Mais le véritable message est ailleurs. En dépêchant son porte-avions dans les eaux du Vietnam, l’US Navy démontre à son allié qu’elle est de retour en mer de Chine méridionale. Un signal rassurant, alors que Pékin ne cesse de construire des îlots artificiels dans les archipels des Paracels et des Spratleys, capables d’accueillir des installations militaires – au grand dam du Vietnam, de la Malaisie ou des Philippines.

Un budget militaire multiplié par trois

Au début de son mandat, l’an dernier, Donald Trump s’est vu reprocher d’avoir délaissé cette zone au profit du dossier nord-coréen. Aujourd’hui, Washington donne l’impression de corriger le tir, mais d’une manière inattendue : la Maison-Blanche a annoncé, le 22 mars, des sanctions commerciales inédites contre la Chine, de l’ordre de 60 milliards de dollars. Cette  » guerre commerciale  » contre la deuxième puissance économique du monde masque sans doute un autre enjeu, d’ordre existentiel : l’Amérique a pris conscience que la Chine est devenue son futur concurrent stratégique à l’échelle mondiale.

Publiée en décembre dernier à Washington, la nouvelle  » stratégie de sécurité nationale  » durcit le ton à l’égard de Pékin, mentionnée à 23 reprises. Alors que l’administration Obama insistait volontiers sur la nécessaire coopération entre les deux pays, l’actuelle met l’accent sur les menaces représentées par l’empire du Milieu – et par la Russie. Ainsi, selon le document de la Maison-Blanche, les  » efforts pour construire et militariser des avant-postes dans la mer de Chine méridionale mettent en danger la libre circulation des échanges, menacent la souveraineté des autres nations et compromettent la stabilité régionale « .

 » Le renforcement impressionnant de la puissance militaire de la Chine pourrait bientôt représenter un défi pour les Etats-Unis dans tous les domaines ou presque « , estimait, en février dernier, l’amiral Harry B. Harris, chef des forces américaines dans la zone Pacifique. Peu après, Trump a nommé ce  » faucon « , réputé antichinois, au poste d’ambassadeur en Australie – un autre pays préoccupé par les ambitions militaires de Pékin.

Depuis une dizaine d’années, le budget militaire de la Chine a été multiplié par trois. Selon le gouvernement, son montant atteindrait désormais 142 milliards d’euros, ce qui en ferait le deuxième de la planète. Des chiffres à manier avec précaution, toutefois, car ils ne comptabilisent pas les crédits accordés à la recherche et au développement. L’Institut de recherche international pour la paix de Stockholm, pour sa part, évalue le budget militaire chinois à plus de 175 milliards d’euros en 2016, soit 1,9 % du PIB.  » Il est délicat d’accuser la Chine de dépenser des fortunes pour sa défense, explique Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique, à Paris. Certes, l’absence de transparence pose un vrai problème. Mais d’autres pays, comme l’Arabie saoudite, la Russie, la Corée du Sud ou même les Etats-Unis consacrent à la défense une part plus importante de leur PIB.  »

Si elle tente de réduire son écart capacitaire à marche forcée, la Chine reste très loin derrière les Etats-Unis, qui dépenseront cette année l’équivalent de 570 milliards d’euros. L’ambition du président Xi Jinping est de réformer l’Armée populaire de libération, afin d’en faire une armée moderne et puissante, mieux contrôlée par le Parti communiste chinois (PCC). Pour parvenir à la renaissance de la nation chinoise, Xi estime indispensable de construire  » un pays prospère et une armée puissante « .

La marine renforcée asseoit la domination de Pékin en mer de Chine méridionale. Ici, le Liaoning.
La marine renforcée asseoit la domination de Pékin en mer de Chine méridionale. Ici, le Liaoning.© A. wallace/afp

Le président a limogé des généraux corrompus

Quand il arrive au pouvoir, il y a cinq ans, le but premier de Xi Jinping est de renforcer le contrôle du PCC sur l’appareil militaire et de s’assurer de la loyauté des officiers. Il limoge de nombreux généraux corrompus, raccourcit la chaîne de commandement et encourage le développement des capacités dans le cyberespace, le spatial, les drones ou l’intelligence artificielle, ainsi que les armements hypersoniques. S’agissant de ces derniers, la Chine serait le premier pays doté de ce genre de vecteur capable de voler à Mach 5 – plus de cinq fois la vitesse du son. Afin d’encourager l’innovation, l’intégration des capacités civiles et militaires devient une stratégie nationale.

Alors que Pékin multiplie ses investissements à l’étranger, notamment en Afrique, les capacités de la marine sont renforcées : en quatre ans, près de 80 bateaux ont été mis à l’eau, dont un deuxième porte-avions.  » Ces navires permettent à la Chine de sécuriser les convois de marchandises traversant le golfe d’Aden, infesté de pirates, souligne l’historien naval Alexandre Sheldon- Duplaix, spécialiste des marines asiatiques. Ils assurent une permanence avec trois bâtiments, soutenus par leur base de Djibouti, la première créée outre-mer, qui est susceptible d’accueillir des milliers de militaires, afin, le cas échéant, d’assurer des missions de libération d’otages ou d’évacuation de ressortissants. On voit aussi ces navires faire de la diplomatie en Europe ou effectuer des exercices avec la marine russe.  »

Au fil des ans, ces bâtiments ont accru leur domination en mer de Chine orientale et méridionale, que Pékin considère comme son pré carré. Résultat : les tensions ne cessent de s’aggraver avec ses voisins, lesquels se réarment. Ainsi, depuis 2016, le Liaoning, seul porte-avions chinois opérationnel à ce jour, traverse régulièrement le détroit qui sépare le continent de l’île rebelle – devenue démocratique – de Taiwan, que le régime communiste considère toujours comme partie intégrante de son territoire.  » La mission principale de la marine est d’assurer la souveraineté de Pékin en mer de Chine, note Alexandre Sheldon- Duplaix. Et Taiwan reste le sujet central.  »

Selon des analystes, le rattachement de l’île à la Chine populaire demeure l’ambition majeure du nationaliste Xi Jinping, plus fort que jamais depuis sa réélection, le 17 mars, comme président – à vie, s’il le souhaite. La veille, une nouvelle loi américaine est entrée en vigueur : le  » Taiwan Travel Act  » autorise les échanges diplomatiques de haut niveau entre Taipei et Washington. Ce qui a suscité l’ire du leader chinois. Entre les Etats-Unis et la Chine, la compétition ne fait que commencer.

Par Romain Rosso.

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