Roger Talpaert

La nation Europe

Roger Talpaert Licencié en Sciences Politiques

Il y a environ septante ans, le plus britannique des Britanniques – Winston Churchill – appelait l’Europe à s’unifier. Qu’il ait été entendu, malgré les blessures encore vives de l’immédiat après-guerre, doit beaucoup à la peur qu’inspirait, à l’époque, l’ogre soviétique et au désir ardent d’éviter à tout prix une troisième déflagration.

Même Charles de Gaulle avait su vaincre son culte obsessionnel de la « France éternelle » pour initier, contrairement à l’après-1918, une réconciliation sans équivoque avec l’Allemagne d’Adenauer.

Depuis l’Europe est devenue une évidence – merci Jean Monnet, Walter Hallstein, Jacques Delors et quelques autres – trop peut-être, au point qu’on oublie que c’est là que se joue notre avenir ! Face aux Etats-Unis engagés dans un « reality show » à l’issue incertaine, un Tsar de toutes les Russies gonflé à bloc par le succès de quelques coups tordus, une Chine tapie dans l’ombre qui attend son heure, une Afrique aux prises avec de multiples douleurs d’enfantement (sans parler de la Turquie, de l’Inde, du Brésil…) l’Union européenne, est-ce vraiment un espoir de salut ?

Il ya quelques semaines j’ai vu, dans Le Vif-l’Express une citation environ ceci : « les pays européens sont tous petits, mais certains ne s’en sont pas encore aperçus ». C’est tout le drame. Militairement dépendants des Etats-Unis (pour une fois, Trump n’a pas tort !) submergés par la mondialisation, mais viscéralement opposés à une indispensable harmonisation des politiques économiques et fiscales, imposée en plus par la monnaie unique, les pays (certains plus que d’autres) s’accrochent au pernicieux leurre d’une souveraineté nationale totale et voudraient constamment revenir sur les domaines confiés à l’Union.

Avec de bien mauvais arguments, tous puisés dans un passéisme patriotico-émotionnel faisant fi des enseignements pourtant très parlants des noires années ’30 ainsi que, comme un peu partout en Europe, du cafouillage des politiques économiques après le premier choc pétrolier et la fin des largesses de l’Oncle Sam (plan Marshall). N’hésitant pas à prôner un protectionnisme suicidaire aussi fatal que des sables mouvants. En s’appuyant sur un lointain passé, sublimé et trituré sans vergogne, tout en proposant des politiques destructrices d’avenir.

Parmi les hypothèses avancées par le Président Juncker il n’y en a, me semble-t-il, qu’une valable, fût-ce à terme : la NATION EUROPE. Elle implique une souveraineté européenne, soigneusement circonscrite par les Etats constituants, mais définitivement confiée à l’Union, sans possibilité de remise en cause. A charge, pour l’Union, d’inventer le moyen de faire élire un Parlement représentatif et vigoureux, seul dépositaire de cette souveraineté européenne, un Président choisi au suffrage universel et, avec des ressources financières autonomes, un gouvernement responsable devant le Parlement uniquement, délivré de l’obligation d’inclure des représentants de chaque recoin de l’Union. Avec comme seul, mais crucial rôle du Conseil des Chefs d’Etat et de Gouvernement de veiller au respect du panier des souverainetés confié à l’Union. Une sorte de Conseil Constitutionnel européen, en somme.

Une véritable nation Europe dont les frontières seront, au-delà de la géographie et même de l’économie, un ensemble de valeurs communes non-négociables se traduisant en une vision sociale et d’éducation partagée (Erasme est déjà un acquis solide). C’est à ce prix, et à ce prix seulement que l’on peut espérer assurer la paix en nos contrées, oeuvrer à leur prospérité et avoir l’ambition de contribuer à sauver la planète et l’humanité, en grand mal d’une gouvernance universelle efficace. Quitte à imaginer, pour qui ne pourrait accepter cette voie, des formules alternatives de coopération, hors-Union.

Dans l’immédiat après-guerre nous allions à Strasbourg manifester pour les « Etats Unis d’Europe ». Avec un succès, en rétrospective, réel, mais encore loin d’être abouti. J’espère vivement que nos enfants et petits-enfants ne laisseront pas voler leur avenir au bénéfice de chimères faussement patriotiques, en vérité inciviques et malfaisantes. Le chemin est encore long, bien sûr, et semé d’embûches. Mais Darwin nous a appris que le changement passe par l’enchaînement des générations. Alors l’attardé du passé (88) que je suis dit aux jeunes, à la suite de Stéphane Hessel : A vous de jouer!

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