Florian Philippot, maître d'oeuvre du virage social du FN, s'oppose à Marion Maréchal-Le Pen, tenante du courant libéral-conservateur. © OLIVIER CORSAN/BELGAIMAGE

La machine Le Pen

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Marine Le Pen a voulu dédiaboliser le Front national et le libérer de l’antisémitisme de son fondateur de père. Mais la rénovation n’efface pas le tropisme d’extrême droite.

 » A quoi bon poignarder son père si cela ne lui rapporte rien ? A quoi bon tant de déchirements intimes et de violences impudiques si l’échec est au bout du chemin de croix ?  » La détermination de Marine Le Pen à diriger un jour la France, elle est là. Elle est dans le parricide que l’opération de dédiabolisation du Front national voulue par l’héritière a imposé, non sans souffrances. Journaliste à Marianne, Renaud Dély en donne une illustration dans La vraie Marine Le Pen (Plon, 182 p.). Fin 2015, la dirigeante de l’extrême droite sombre  » dans une vraie dépression « . Le 13 décembre, elle a été défaite par le candidat de la droite Xavier Bertrand dans la course à la présidence de la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie alors qu’elle était arrivée en tête au premier tour. Le front républicain – le candidat socialiste s’est retiré – l’a empêchée de récolter les fruits de sa stratégie de respectabilisation du parti.

Attirer le peuple conservateur

Quand elle prend la tête du Front national en 2011, la fille du fondateur n’a de cesse de le transformer en un potentiel parti de gouvernement. Un changement d’image s’impose. Marine Le Pen s’attache à le débarrasser de ses oripeaux antisémites que son père a régulièrement ravivés par des déclarations scandaleuses.  » Elle a même traqué, souvent, et parfois viré sans ménagement, ceux qui, au sein du FN, se laissaient encore aller à ce vil péché constitutif de l’identité même de l’extrême droite « , détaille Renaud Dély. Jean- Marie Le Pen n’échappe pas à l’opération  » discours propres « . Et après quelques saillies renouvelées malgré les avertissements, il est exclu du Front national. La rupture consommée est un tournant dans l’histoire de l’extrême droite française tant les destins du père et de la fille étaient liés, tant le premier avait bataillé en interne pour imposer la seconde comme dauphine incontestée.  » Pour servir les intérêts, et la carrière de sa fille « , le fondateur du FN n’avait pas hésité  » à faire table rase du passé. Et à liquider des pans entiers de son parti « , rappelle Renaud Dély. Intensifiée par Marine Le Pen, la procédure de  » normalisation  » aura finalement eu raison de l’obstination du père à s’arroger une liberté de parole et… une capacité de nuisance.

L’enjeu, en vérité, n’est pas que moral ; il est aussi électoraliste.  » Marine Le Pen a compris quel chemin devait emprunter son parti : dissiper tout soupçon quant aux traces de la « bête immonde » afin d’amener à elle ce « peuple conservateur », victime de la montée des inégalités, de la crise économique et des insuccès de la « gauche culturelle ». Elle semble y être, pour une part, parvenue « , analyse Michel Eltchaninoff, l’auteur de Dans la tête de Marine Le Pen (Actes Sud, 198 p.). D’autant plus préjudiciable pour la candidate est dès lors le couac de campagne qu’elle va elle-même commettre lorsqu’elle disculpera, contre la vérité historique, l’Etat français de toute responsabilité dans la rafle de milliers de juifs au Vélodrome d’Hiver de Paris en 1942.

Le virage social

Derrière Marine Le Pen, un homme apparaît comme le maître d’oeuvre de la rénovation du parti. Florian Philippot, sorti de la prestigieuse Ecole nationale d’administration (ENA), tranche avec le profil habituel des vieux routiers de l’extrême droite française. Il va contribuer à moderniser la dimension sociale et sociétale du Front national. Progressivement, s’affirment les priorités de Marine Le Pen contre le  » tout-religieux  » – elle se traduit par la dénonciation de l’islamisme et par des généralisations aux dépens de l’islam – et contre le  » tout-commerce  » – c’est la  » mondialisation heureuse  » qui est alors fustigée.  » Sur ce fond antitotalitaire, elle peut désormais installer trois nouveaux axes : un tournant républicain, un positionnement « ni droite ni gauche », la définition de nouveaux ennemis intérieurs « , explicite Michel Eltchaninoff. Ainsi, le musulman a pris la place que son père avait assigné au juif. La conversion est d’autant plus  » rentable  » que la discrimination pratiquée au nom d’une certaine vision de l’islam à l’encontre des femmes et des homosexuels nourrit déjà un vivier d’électeurs potentiels.

u0022Le marinisme ressuscite l’un des pans les plus importants de l’extrême droite, celui du socialisme nationalu0022

Le nouveau combat antimondialisation du FN va se traduire, lui, par des messages ciblant clairement la classe ouvrière. Le parti de Marine Le Pen défend désormais le rôle de l’Etat, l’utilité de la dépense publique, la retraite à 60 ans, et le maintien des acquis sociaux là où le programme de Jean-Marie Le Pen était poujadiste, antisoviétique (donc proeuropéen) et antisocialiste sur le plan économique. C’est sur ce terrain-là que l’extrême droite rejoint le programme de l’extrême gauche. Avec cependant une longueur d’avance pour la première : près de 45 % des électeurs ouvriers seraient tentés dimanche d’apporter leur voix à la candidate du Front national.

Ni de droite, ni de gauche

Ce double marqueur de la stratégie de Marine Le Pen, conservatrice sur les sujets de société (l’immigration, la préférence nationale, la sécurité, la laïcité conçue d’abord comme protectrice de la religion chrétienne, le rapport à l’islam…) et sociale au plan économique, reflète sa volonté de transcender le clivage gauche-droite, dans la foulée de sa dénonciation de l' » UMPS « , symbole à ses yeux de la confiscation du pouvoir par les partis traditionnels. Pour cette construction idéologique, elle n’hésite pas à convoquer un intellectuel de gauche, Jean-Claude Michéa. Dans Les mystères de la gauche. De l’idéal des Lumières au triomphe du capitalisme absolu (Flammarion, 2014), le philosophe assène que  » depuis plus de trente ans, dans tous les pays occidentaux, le spectacle électoral se déroule essentiellement sous le signe d’une alternance unique entre une gauche et une droite libérales qui, à quelques détails près, se contentent désormais d’appliquer à tour de rôle le programme économique défini et imposé par les grandes institutions capitalistes internationales « .

En s’éloignant de l’antisémitisme de son fondateur et en développant une fibre sociale, le Front national de Marine Le Pen aurait-il quitté la mouvance de l’extrême droite à l’image de l’Alliance nationale de Gianfranco Fini en Italie ? Pour Renaud Dély, il ressort toujours bien de cette obédience mais se raccroche désormais à une autre famille d’extrême droite.  » Le marinisme, dit « social », n’est pas une invention, pas même une rénovation, écrit-il. C’est plutôt une renaissance, et même une résurgence, celle d’un vieux courant constitutif de l’histoire de l’extrême droite française « , incarnée à la fin du XIXe siècle par le général Boulanger. Pour Michel Eltchaninoff, le  » positionnement  » ni droite ni gauche  » de Marine Le Pen ressuscite l’un des pans les plus importants de la pensée d’extrême droite, celui du socialisme national « . Derrière la rénovation, le fond et la vision n’ont donc pas véritablement changé.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire