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La Gambie, ce petit pays pauvre

Le Vif

Les Gambiens et étrangers résidents en Gambie continuaient mercredi de fuir ce pays sous état d’urgence sur décision du président sortant Yahya Jammeh qui conteste sa défaite face à son successeur élu, Adama Barrow, censé prêter serment jeudi. Plongée dans ce pays souvent oublié.

Banjul, la capitale, avait mercredi les allures d’une ville en sommeil : moins de véhicules circulaient, plusieurs boutiques étaient fermées et des denrées alimentaires commençaient à manquer dans plusieurs quartiers, selon des journalistes de l’AFP et des témoins.

A Old Jeshwang, un quartier de la banlieue majoritairement peuplé de pêcheurs, les captures se sont faites rares en raison du départ en exil de nombre de ses habitants, selon des témoignages. Le poisson, le pain et les cartes de recharge de crédit téléphonique commencent à manquer, leurs vendeurs ayant fui la Gambie. « Seules quelques boutiques ouvertes ont du pain ce matin et leur stock peut s’épuiser très vite », se lamentait mercredi Fatou Sarr, une résidente du quartier. « Si cette impasse dure une ou deux semaines, le pays va manquer de nourriture ».

La Gambie, en quelques chiffres

Enclavée dans le Sénégal

Colonie britannique à partir de 1888, la Gambie accède à l’indépendance en 1965 au sein du Commonwealth, avec comme Premier ministre Sir Dawda Jawara. Le pays devient République en 1970, sous la présidence de Jawara, renversé en 1994 par le putsch qui porte Yahya Jammeh (alors âgé de 29 ans) au pouvoir. Ouvert sur l’Atlantique, le pays est constitué d’une étroite bande de terre s’étirant à l’intérieur du territoire sénégalais le long du fleuve Gambie. Et il est très dépendant de son voisin pour l’acheminement de ses importations.

‘Etat de peur’

Le pays, peuplé de près de deux millions d’habitants (dont plus de la moitié a moins de 18 ans), fournit un des plus importants contingents de migrants vers l’Europe, poussés par la pauvreté et la répression. En septembre 2015, Human Rights Watch (HRW) a affirmé que la pauvreté et la répression chassaient de nombreux Gambiens, aggravant la crise des migrants à destination de l’Europe. Dans un rapport intitulé « Etat de peur », l’ONG a relaté les exécutions extrajudiciaires, arrestations arbitraires, et disparitions imputées au régime. Le 25 novembre 2016, Yahya Jammeh a affirmé être le meilleur candidat pour endiguer l’émigration clandestine vers l’Europe. En mai 2015, il imputait aux familles de migrants la responsabilité de la mort de nombre d’entre eux dans des naufrages, assurant que des perspectives d’emploi comparables existaient dans le pays.

60% de la population dans la pauvreté

Selon un rapport de l’ONU sur le développement humain (2014), 60% de la population vit dans la pauvreté, dont le tiers avec moins d’1,25 dollar par jour.

L’agriculture est la première ressource – arachide, millet, maïs, manioc – devant la pêche et le tourisme. Le secteur de l’arachide, jadis premier produit d’exportation, a connu des difficultés ces dernières années. Malgré de nombreux progrès en termes d’infrastructures (routes, télécommunications, écoles), le bilan économique et social demeure faible. En 2014, le RNB par habitant s’élevait à 460 dollars, selon la Banque mondiale. Le pays accueille chaque année quelque 50.000 touristes venus essentiellement de Grande-Bretagne et des Pays-Bas, attirés par les plages de sable fin du pays.

90% de musulmans

Le 10 décembre 2015, Yahya Jammeh a déclaré que son pays, à 90% musulman, était désormais une République islamique « qui respecte les droits des citoyens ». Il n’a pas précisé les conséquences pratiques de cette décision, assurant qu’elle n’aurait aucune incidence sur la minorité chrétienne. En janvier, une directive officielle a rendu obligatoire le port du foulard pour les fonctionnaires femmes dans les services publics, une mesure rapidement abandonnée au motif, selon la présidence, qu’imposer le port du foulard n’avait « rien à voir avec la religion ». Au début du dernier Ramadan, en juin, le gouvernement a prohibé « toutes les cérémonies et festivités impliquant des percussions, de la musique et de la danse » pendant toute la durée de ce mois sacré musulman. En novembre 2015, Yahya Jammeh avait décrété l’interdiction de l’excision, soulignant que cette pratique – très répandue en Gambie comme dans plusieurs pays africains – n’était pas prescrite par l’islam et devait être abolie.

Des départs étaient aussi enregistrés parmi les touristes, en majorité des Britanniques et des Néerlandais attirés par les plages de sable fin de ce petit pays anglophone d’Afrique de l’Ouest.

Le voyagiste britannique Thomas Cook a annoncé le rapatriement à partir de mercredi d’un millier de Britanniques en vacances en Gambie et va affréter quatre vols supplémentaires « dans les prochaines 48 heures ». Il a également contacté 2.500 autres clients dans ce pays pour leur proposer un retour anticipé vers la Grande-Bretagne.

Le géant du tourisme TUI compte rapatrier également « environ 800 » clients. C’est que les prochaines heures sont cruciales pour le sort de la Gambie, plongée dans une grave crise depuis que M. Jammeh a annoncé le 9 décembre qu’il ne reconnaissait plus les résultats de la présidentielle du 1er décembre. Une semaine auparavant, il avait pourtant félicité M. Barrow pour sa victoire.

Yahya Jammeh, qui dirige le pays d’une main de fer depuis 22 ans, affirme vouloir rester en place tant que la justice n’aura pas statué sur ses recours électoraux, malgré les pressions internationales pour qu’il cède le pouvoir jeudi après l’expiration de son mandat.

‘Possible chaos’

Le climat s’est encore alourdi lorsque Yahya Jammeh a décrété l’état d’urgence mardi après-midi, tout en exigeant des forces de sécurité de maintenir l’ordre. Selon la Constitution, l’état d’urgence dure sept jours lorsqu’il est proclamé par le chef de l’Etat, mais peut être porté à 90 jours avec l’approbation de l’Assemblée nationale, qui l’a entériné mardi. La proclamation, formulée en termes très généraux, « interdit de se livrer à des actes de désobéissance aux lois gambiennes, à l’incitation à la violence, ou troublant la paix et l’ordre public ».

Yahya Jammeh a également ordonné aux forces de sécurité de maintenir l’ordre.

Ces développements interviennent alors que Adama Barrow, censé être investi jeudi, est accueilli depuis le 15 janvier au Sénégal à la demande de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao, 15 pays). Mais, à travers un de ses conseillers, M. Barrow a assuré cette semaine qu’il serait en Gambie pour prêter serment.

La Cédéao, qui presse Yahya Jammeh de céder le fauteuil présidentiel à l’expiration, mercredi soir, de son mandat, a notamment prévenu à plusieurs reprises qu’elle pourrait avoir recours à la force en dernier ressort. Plusieurs autres pays et institutions ont multiplié leurs mises en garde à l’adresse de M. Jammeh, qui y demeure sourd. Mardi, les Etats-Unis ont averti contre « un possible chaos ». Le Nigeria, poids lourd régional et continental, a affirmé de son côté accélérer ses préparatifs militaires aériens. Sous pression de l’étranger, Yahya Jammeh semblait aussi de plus en plus isolé dans son pays. En quelques jours, plusieurs de ses ministres ont fait défection, les derniers en date étant ceux des Affaires étrangères, des Finances, du Commerce et du Tourisme. Des changements sont également intervenus dans l’armée: des officiers refusant de soutenir M. Jammeh contre M. Barrow, comme le leur demandaient des commandants de la Garde républicaine, chargée de la protection du président sortant, ont été arrêtés dimanche soir, selon une source de sécurité.

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