Gérald Papy

« La famine… mais quelle famine ? »

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Les crises alimentaires sur lesquelles les Nations unies tentent de mobiliser depuis quelques jours les bonnes volontés internationales semblent nous ramener dans les années 1980, au temps des concerts Live Aid de Bob Geldof en solidarité avec les victimes de la grande famine en Ethiopie. Sans la solidarité et les concerts.

D’est en ouest, le Yémen, la Somalie, le Soudan du Sud et le Nigeria sont désormais placés en état d’alerte dans l’espoir d’éviter le pire à des millions de personnes. Les phénomènes météorologiques El Niño et La Niña (pour les Somaliens) et une sécheresse hors norme favorisée par le réchauffement climatique (pour tous) fournissent une explication à l’aggravation de la situation. Mais l’action directe de l’homme y a aussi une importante part. La guerre civile au Yémen et au Soudan du Sud, la terreur des mouvements islamistes Shebab et Boko Haram en Somalie et au Nigeria ont provoqué ou aggravé l’exposition des populations civiles à une sous-alimentation aux conséquences aujourd’hui désastreuses. Qui plus est, les conflits au Nigeria et en Somalie étendent leurs métastases aux régions voisines, menaçant de déstabiliser le sud du Niger, l’ouest du Tchad et le nord du Cameroun pour le premier, l’Ethiopie, le Kenya et l’Ouganda pour le second.

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Pourtant, les famines sont des drames par excellence dont les effets pourraient être réduits par une efficace prévention. Or, que constate-t-on ? La Somalie est en état de conflit quasi permanent depuis la chute du dictateur Siad Barre en 1991. Boko Haram a commencé à mettre en coupes réglées les populations du nord-est du Nigeria en 2009. Le Soudan du Sud, jeune Etat chrétien détaché du Soudan musulman en 2011, n’en finit pas de se déchirer entre factions au gré des intérêts de deux seigneurs de guerre. L’intervention militaire en 2015 de l’Arabie saoudite à la tête d’une coalition a plus attisé qu’apaisé les tensions entre belligérants au Yémen. Dans chaque cas, les tentatives de médiation de l’ONU, des puissances internationales ou des acteurs régionaux ont été inconsistantes. Résultat : les dirigeants les plus hostiles à investir dans la diplomatie préventive sont les plus virulents à dénoncer l’afflux de migrants ou la montée de l’islamisme. Et cela ne risque pas de s’arranger.

Lors d’une conférence des donateurs, le 24 février dernier, au profit des populations affectées par le terrorisme de Boko Haram dans le bassin du lac Tchad, les Etats-Unis ont reporté l’annonce de leur contribution. Un signe prémonitoire. A la faveur de son premier discours sur l’état de l’Union mardi, le nouveau président Donald Trump a exposé son intention d’augmenter de quelque 10 % le budget de la Défense au détriment, notamment, de celui des Affaires étrangères qui intègre l’aide internationale. Renoncement au soft power, érection de barricades, et repli sur soi.  » Du reste, entendrait-on presque dire à la Maison-Blanche, la famine annoncée menace-t-elle vraiment ? Ou n’est-elle que le fruit du fantasme des fonctionnaires gauchistes des Nations unies ?  »

Décidément, les indices se multiplient pour accréditer la thèse du philosophe camerounais Achille Mbembe qui, dans Politiques de l’inimitié (La Découverte), énonce que  » des peuples entiers ont l’impression d’être arrivés au bout des ressources nécessaires pour continuer à assumer leur identité. Ils estiment qu’il n’y a plus de dehors, et qu’il faut, pour se protéger de la menace et du danger, multiplier les enclos « . Une politique des enclos à l’échelle planétaire, est-ce l’horizon que nous voulons réserver à nos enfants ?

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