Aux yeux de beaucoup de citoyens européens, on érige à Bruxelles un super-Etat, faisant fi des différences nationales, juge Enrico Letta. © DIETER TELEMANS/ID PHOTO AGENCY

« La course aux postes a commencé très tôt à la Commission… C’est mauvais signe »

Le Vif

La promotion contestée d’un fonctionnaire européen déstabilise les institutions européennes et risque de bloquer la machine, au moment où l’Allemagne, sortie de six mois de paralysie politique, se prépare avec la France à relancer l’Union européenne, déplorent diplomates et analystes.

La nomination de l’Allemand Martin Selmayr, chef de cabinet de Jean-Claude Juncker, au poste de secrétaire général de la Commission européenne, la fonction la plus élevée dans l’administration de l’institution, a mis le feu aux poudres et provoqué un bras-de-fer avec le Parlement européen.

« Ça sent la fin de règne quand le chef de cabinet cherche à se placer pour l’après-Juncker un peu plus d’un an avant la fin de son mandat » , a estimé Sébastien Maillard, directeur de l’Institut Jacques Delors, lors d’un entretien avec l’AFP.

« Plusieurs commissaires cherchent déjà se recaser. La course aux postes a commencé très tôt au sein de la Commission européenne et c’est mauvais signe », observe M. Maillard.

Le constat est partagé par le représentant d’un des grands Etats-membres. « La Commission est entrée dans le cycle de la fin de mandat trop tôt, à un moment où on a besoin qu’elle continue à agir, à faire des propositions », a-t-il confié à l’AFP.

Or la Commission « ne propose rien. Elle met sur la table différentes options, mais elle ne tranche plus », déplore de son côté le directeur du think tank européen.

Fait accompli

Le mercredi 21 février devait être le jour de la consécration pour Martin Selmayr.

Ombre de Jean-Claude Juncker depuis quatre ans, ce brillant juriste de 47 ans a été promu au poste de secrétaire général de la Commission européenne en deux temps au cours d’une réunion de la Commission européenne.

Mais la plupart des commissaires ont été mis devant le fait accompli, a précisé à l’AFP l’un des participants sous couvert de l’anonymat. Deux seulement ont reconnu avoir été informés la veille.

M. Juncker s’est publiquement félicité d’avoir pu conserver la nomination secrète. Mais il savait qu’elle ferait des vagues.

Martin Selmayr compte de nombreux ennemis au sein de l’institution et, a averti le chef de l’exécutif européen, il pourrait bien ne pas être maintenu dans sa nouvelle fonction par le prochain président de la Commission.

Ses détracteurs n’ont pas attendu longtemps pour dénoncer le fait du prince et les arrangements avec la procédure.

‘Selmayrgate’

L’affaire est devenue le « SelmayrGate » et le Parlement européen s’en est emparé.

La manière dont Martin Selmayr a été nommé « détruit toute la crédibilité de l’Union européenne comme championne de l’intégrité et de la transparence dans l’administration publique, alors que la confiance du public est au plus bas », s’est insurgée la députée libérale néerlandaise Sophia in’t Veld.

Le Parti Populaire Européen (PPE, conservateur) a cependant bloqué le vote d’une résolution à son encontre lors de sa réunion plénière cette semaine à Strasbourg.

« La désignation du secrétaire général de la Commission européenne relève de la compétence du président de la Commission. Une résolution signifierait lui imposer qui il peut désigner », a expliqué l’Espagnol Esteban Gonzalez Pons, vice-président du groupe dirigé par l’Allemand Manfred Weber, un proche de Martin Selmayr.

« Le Parlement européen n’accepterait pas que la Commission dise au Parlement qui il peut désigner comme son secrétaire général », a argumenté M. Gonzalez Pons.

L’Allemand Klaus Welle, le secrétaire général du Parlement européen en poste depuis 2009, tout comme son adjoint et probable successeur Markus Winkler, lui aussi de nationalité allemande, ont été nommés dans la plus totale opacité, sans publication des candidatures, par le bureau de cette assemblée, composée du président du Parlement, des 14 vice-présidents et des cinq questeurs.

« C’est une pure décision politique », a expliqué à l’AFP un représentant du groupe PPE.

Les Etats-membres ne veulent pas non plus se mêler de cette affaire qui relève des prérogatives du président de l’exécutif européen.

« Quand l’Europe demande à certains Etats-membres d’être exemplaires, il faut qu’elle fasse le ménage chez elle, sur ses pratiques », a néanmoins commenté jeudi la ministre française des Affaires européennes, Nathalie Loiseau.

La polémique tombe au plus mauvais moment, s’inquiète Sébastien Maillard.

L’Allemagne sort de six mois de paralysie politique et une fenêtre d’opportunité va s’ouvrir pour relancer une Union menacée par les populismes, observe-t-il. Elle sera vite refermée car dans un an, le Parlement européen sera en campagne pour les élections européennes.

« Il ne faudrait pas que la Commission européenne se retrouve en gestion des affaires courantes pour une affaire de nomination de fonctionnaire », avertit l’analyste.

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