© EPA

« La Corée du Nord veut se positionner comme une puissance militaire »

La Corée du Nord a bombardé une île sud-coréenne, ce mardi. Pierre Rigoulot, historien et spécialiste de la Corée du Nord, décrypte cette démonstration de force.

Quel est le but poursuivi par la Corée du Nord avec ces tirs d’obus visant une île sud-coréenne?

En envoyant leurs obus sur un îlot sud-coréen, visiblement sans craindre la réponse de Séoul, les Nord-Coréens cherchent à se positionner comme une puissance militaire moderne sur laquelle il faut compter dans la région. Il faut rapprocher ces tirs d’un autre épisode nord-coréen, survenu il y a deux ou trois jours. Pyongyang a invité un expert américain à visiter une nouvelle installation nucléaire. Ce dernier en a conclu que les infrastructures étaient bien plus avancées et modernes que ce que l’on pensait. Là encore, le but de la Corée du Nord est de se présenter comme un danger, notamment pour son voisin du Sud.

Faut-il rapprocher ces événements d’un autre épisode récent: la désignation du fils de Kim Jong-il, Kim Jong-un, comme héritier officiel de la dynastie?

Introduire une nouvelle personnalité dans l’organigramme du pouvoir signifie que des gens sont mis de côté, d’autres obtiennent des promotions… Bref, l’incertitude règne, même de façon momentanée. Cette démonstration de puissance constitue donc un message clair. Le régime nord-coréen n’est pas affaibli. Il réaffirme même le modèle qu’il maintient depuis des décennies. Modèle que nous qualifierons d’archéo-stalinien, fait de collectivisme et qui ne se soucie guère du bien-être de sa population.

Faut-il craindre une escalade dans la péninsule, voire dans la région? Ou est-ce un simple épisode dans les tensions cycliques qui opposent les deux Corées?

Cela devrait se calmer dans les heures à venir, mais on ne sait jamais jusqu’où une telle tension peut aller… Les Coréens du Nord assurent qu’ils n’ont pas attaqué les premiers, qu’ils n’ont fait que se défendre: c’est habituel, c’est même comme cela qu’a commencé la guerre de Corée. Pour le moment, Séoul a réagi par quelques tirs de riposte et le Conseil de sécurité se réunit. Mais le gouvernement sud-coréen a averti que sa réaction serait plus forte en cas de deuxième provocation.

Quel est l’état d’esprit général du Sud face à l’attitude du Nord?

Contrairement aux précédents gouvernements qui ont pratiqué la politique de la main tendue (ou sunshine policy) sans grand résultat, l’exécutif sud-coréen actuel préfère une politique de la confrontation. Demande une réciprocité des gestes: si le Sud donne de l’aide et maintient des échanges, il faut que la Corée du Nord y mette aussi du sien. Le résultat n’a pas été meilleur, Pyongyang s’est même replié sur lui-même et vers la Chine qui l’aide économiquement et diplomatiquement. Pour ne pas totalement couper les ponts avec son voisin, la Corée du Sud a annoncé la reprise de son aide et des retrouvailles familiales.

Alors comment raisonner durablement Pyongyang?

C’est la Chine qui détient la clé de l’avenir de la Corée du Nord
La main tendue ne marche pas, la confrontation entraîne repli et réaffirmation du modèle traditionnel. On ne voit pas comment faire changer le régime nord-coréen. Il n’y a pas d’option militaire possible: Séoul et le Sud sont très proches de la frontière avec le Nord qui pourrait riposter en balançant des missiles ou des charges biologiques sur la capitale de 15 millions d’âmes, quitte à perdre une guerre…

Qui pourrait tenter d’infléchir le régime? La Chine, dont vous évoquiez le rôle protecteur?

Oui, c’est la Chine qui détient la clé de l’avenir de la Corée du Nord. Elle l’a défendue pendant l’épisode Cheonan, du nom de la corvette sud-coréenne dont le torpillage a été imputé à Pyongyang. A cette occasion, elle s’est dite opposée aux manoeuvres sud-coréennes en Mer Jaune. En même temps, la Chine, qui assure la subsistance d’un tiers de la population tente de faire évoluer Pyongyang dans le domaine économique, lui propose de lâcher un peu la bride des producteurs et des paysans.

Comment la Corée du Nord répond-elle à son allié et protecteur?

De là à dire que Pyongyang est sensible aux arguments de Pékin, c’est autre chose. Pour le moment, cela n’enchante pas la dictature qui a peur que la population lui échappe complètement. A la suite des deux voyages de Kim Jong-il en Chine cette année, les agences nord-coréennes n’ont pas montré le même enthousiasme que l’agence chinoise Xinhua, par exemple, qui incitait la Corée du Nord à s’inspirer de la Chine!

Ensuite, on ignore beaucoup de choses sur le régime nord-coréen et ses différentes composantes. A l’intérieur, quelle est la position du beau-frère de Kim Jong-il, réintégré dans la direction récemment après avoir été mis à l’écart? On le dit attiré par le modèle chinois, mais l’armée de son côté est plus encline à maintenir un modèle archaïque. Quant au fils et héritier de Kim Jong-il, il est trop tôt pour se prononcer.

Marie Simon

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire