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La Commission veut contrer le Brexit en augmentant le budget de l’Union

La Commission européenne proposera mercredi prochain aux États membres d’investir davantage dans l’Union européenne après 2020.

L’exécutif cherche ainsi à donner un coup de fouet au projet européen affecté par le départ du Royaume-Uni (Brexit). Davantage de moyens pour la politique migratoire, la surveillance des frontières, la défense et l’éducation accentueront la plus-value du projet européen, espère la Commission. La plupart des capitales suivent, ce qui ne veut pas dire que les négociations du « cadre financier pluriannuel » (CFP) 2021-2027 se résumeront à une promenade de santé.

1,1% ET QUELQUES…

L’actuel budget pluriannuel de l’Union (2014-2020) pèse près de mille milliards d’euros. La somme peut paraître considérable, mais elle est en réalité le résultat de restrictions. Ce cadre avait été fixé au plus fort de la crise financière, à une époque où les gouvernements nationaux exigeaient des efforts financiers de leur population et entendaient donc que l’Europe aussi se serre la ceinture. Pour la première fois de son histoire, l’Union avait dû se résoudre à fonctionner avec un CFP en baisse de quelques dizaines de milliards.

Le contexte est désormais tout autre, puisque l’économie reprend vigueur et que les finances publiques des États membres sont plus saines. Mais de nouveaux problèmes sont apparus. Le départ du Royaume-Uni, l’un des plus gros contributeurs au budget de l’UE, creusera à partir de 2021 un trou de quelque 12 milliards d’euros. La Commission fait aussi face à de nouveaux défis coûteux dans les domaines de la Défense, de la surveillance des frontières et de la sécurité.

« L’Union européenne coûte au contribuable le prix d’une tasse de café par jour. Je pense qu’elle vaut plus que cela », avait lancé le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker en début d’année. Son équipe veut briser le dogme selon lequel le budget européen ne peut dépasser un pour cent de la richesse produite chaque année par les pays membres (Revenu national brut, RNB). La Commission ambitionne donc 1,1%, voire 1,2%, là où les budgets nationaux ponctionnent entre 35% et 55% du RNB.

DES CONTRIBUTEURS NETS SUR LA DEFENSIVE

Que la Commission réclame plus d’argent pour le projet européen n’est pas une nouveauté. Mais que plusieurs capitales soient disposées à y répondre favorablement, voilà une situation que les observateurs européens n’ont pas souvent connue. « Dans beaucoup d’États membres, l’accumulation des crises a fait prendre conscience que plusieurs défis devaient être gérés en commun, et que cela avait un prix, commente le Pr. Hendrik Vos (Université de Gand). Mais attention, ce sentiment doit être tempéré par le mantra, persistant dans l’opinion publique, selon lequel l’Europe ne peut pas coûter trop au portefeuille. »

Les pays du Sud et de l’est de l’Europe sont partisans d’un budget à la hausse. Ce n’est pas surprenant, puisqu’ils reçoivent davantage de l’Union que ce qu’ils lui versent par leur contribution nationale. Pour la France, c’est l’inverse, ce qui n’a pas empêché son très europhile président Emmanuel Macron d’assurer que Paris était prête à augmenter sa contribution moyennant certaines réformes. La surprise est venue d’Allemagne, plus important contributeur net de l’Union, qui se montre généralement très réticente à l’idée d’augmenter les dépenses. Or la nouvelle coalition emmenée par la chancelière Angela Merkel s’est montrée disposée à contribuer davantage. « Cette prise de position de l’Allemagne a donné le ton. Le débat peut ainsi s’ouvrir dans un climat moins empoisonné », commente le Pr. Vos.

Mais tous n’ont pas pris le virage allemand. « Nous ne voulons pas d’une augmentation des contributions, mais engranger de meilleurs résultats avec un budget réduit », a lancé dernièrement le chef du gouvernement néerlandais Mark Rutte. Il se place ainsi à la tête d’un groupe de pays contributeurs nets, comprenant aussi l’Autriche, la Suède et le Danemark, qui craignent une hausse des contributions nationales. Mais sans leurs alliés naturels, l’Allemagne et le Royaume-Uni, les quatre se retrouvent déjà sur la défensive bien avant l’ouverture des négociations.

Et la Belgique ? Lors du sommet européen de février dernier, le Premier ministre Charles Michel a dû esquiver la question d’une hausse de la contribution belge, qu’il a qualifiée de prématurée. C’est que l’Europe constitue un sujet de tension au sein de son gouvernement. « La position de la N-VA, qui s’aligne sur celle des Pays-Bas et de l’Autriche, est en butte à la position traditionnelle de la Belgique, pour qui il est plus efficace d’agir ensemble dans certains domaines, et donc de prévoir les budgets en conséquence », commente le professeur Vos. On en saura peut-être plus jeudi prochain, lorsque M. Michel sera reçu au Parlement européen pour un débat sur l’avenir de l’Europe. Ce sera le lendemain de la présentation des propositions de la Commission sur le budget pluriannuel.

DE NOMBREUX FRONTS SONT OUVERTS

Si tous les États membres devaient tomber d’accord pour injecter davantage d’argent dans l’Union, resterait encore à déterminer combien, et pour que faire. Le commissaire au Budget Günther Oettinger plaide pour un mélange d’argent frais et d’économies. La facture du Brexit serait couverte de cette manière, à 50-50. Il a aussi suggéré un montant de 100 milliards d’euros sur sept ans pour des priorités nouvelles, qu’il financera à hauteur de 20% en déplaçant des montants existants et à 80% grâce à de l’argent frais. La ministre belge du Budget Sophie Wilmès a fait les comptes pour le pays, en mars dernier dans Le Soir. Ce scénario nécessiterait d’augmenter la contribution de la Belgique à l’Union de 800 millions d’euros par an, coût du Brexit compris.

La Belgique contribue en moyenne à hauteur de 5,5 milliards d’euros par an au budget de l’UE. Les contributions directes (calculées sur le RNB) représentent environ trois milliards par an. S’y ajoutent deux milliards de droits de douane – dont l’État garde 20% – et 500 millions de TVA. Puisqu’elle reçoit en retour 2,3 milliards d’euros du budget européen, la Belgique peut être considérée comme un contributeur net, à ceci près que les institutions européennes considèrent comme des recettes pour la Belgique quelque 5 milliards d’euros de leurs dépenses administratives. La Belgique bénéficie en effet des retombées de nombreuses institutions communautaires sises à Bruxelles.

Ces retombées indirectes, dont d’autres pays bénéficient aussi, en poussent certains à prôner un dépassement de la querelle sempiternelle entre contributeurs et bénéficiaires nets au budget européen. Ils soulignent que jusqu’à 70% des versements des contributeurs nets leur reviennent par le biais de leurs entreprises qui s’engagent dans des projets subsidiés dans les « pays de la cohésion » (sud et est de l’Europe). C’est ainsi que « l’Allemagne est le plus grand bénéficiaire net », a reconnu le vice-chancelier Sigmar Gabriel l’an dernier. La Commission aussi demande de voir au-delà du cadre budgétaire strict. Elle cite notamment une récente étude allemande détaillant le montant des recettes que les États membres génèrent de par leur seule appartenance au Marché unique. Pour la Belgique, on arriverait facilement à 30 milliards d’euros par an.

Autre sujet sensible, la Commission mettra les bouchées doubles pour convaincre les États de doter l’UE de davantage de ressources propres. Circulent entre autres les idées d’une taxe sur les plastiques ou de capter une part des revenus issus du marché des droits d’émissions de CO2. Ce n’est pas gagné car, si les contributions nationales devraient s’en trouver allégées, les États membres préfèrent en général garder le contrôle du financement de l’Union.

Les postes d’économies feront aussi l’objet de vives discussions. Si les programmes d’échange estudiantin Erasmus et de recherche Horizon devraient être immunisés, ce ne devrait pas être le cas des deux piliers que constituent l’agriculture (40% du budget, les aides directes aux grandes exploitations pourraient être plafonnées) et la politique de cohésion (35%).

La Belgique joue gros sur ce dernier volet, puisque quatre provinces wallonnes (Hainaut, Liège, Namur et Luxembourg) bénéficient toujours d’un statut de « transition » leur réservant davantage de subsides. Et le pays tout entier pourrait perdre l’accès à la politique de cohésion (2,7 milliards d’euros sur la période 2014-2020), si elle devait être limitée aux régions les plus en retard de développement. Deux des trois scénarios sur la table l’envisagent, à côté de la préservation de l’éligibilité de toutes les Régions d’Europe aux fonds. Quant à des pays comme la Pologne ou la Hongrie, la menace est d’une autre nature: l’accès aux fonds pourrait être conditionné au respect des principes de l’État de droit.

UNE COURSE CONTRE LA MONTRE

Mercredi, à côté de ses lignes de force pour le cadre financier pluriannuel, la Commission formulera ses propositions de ressources propres. Elle déposera des tableaux de dépenses détaillés dans les semaines à venir.

L’exécutif espère un accord avant les élections de mai 2019. Elle veut surtout éviter de voir se répéter le cauchemar de l’élaboration du précédent CFP. Ouvertes tardivement, les négociations s’étaient prolongées au point que les nouveaux programmes en avaient été retardés. Le CFP nécessite un accord unanime des États membres et le feu vert du Parlement européen, qui réclame systématiquement plus d’ambition que ce qui est sur la table. « Le timing est très serré, surtout si certains sautent dans les tranchées et mènent une guerre de position », commente le professeur Vos. Les négociations sur le Brexit coûteront en outre beaucoup d’énergie, tandis qu’une reprise de la crise de l’asile n’est pas à exclure. « Dans ces négociations sur le budget pluriannuel, tout est dans tout. Chaque crise qui se présente atterrit immédiatement dans le pot à négocier. »

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