Federica Mogherini © GettyImages

La Commission européenne dévoile ses frais de déplacement: 492.249 euros pour deux mois

Kristof Clerix
Kristof Clerix Rédacteur Knack

Pour la première fois de l’histoire, la Commission européenne au complet dévoile ses frais de déplacement. Nos confrères de Knack ont pu consulter le document, en collaboration avec l’ONG espagnole Access Info Europe.

Après une lutte de trois ans, Access Info Europe a remporté sa bataille : en vertu de la loi relative à la publicité de l’administration, l’ONG a eu accès aux rapports financiers des missions officielles des commissaires européens pour les deux premiers mois de 2016. Knack, qui a demandé les données de la Commissaire européenne belge Emploi, affaires sociales, compétences et mobilité des travailleurs Marianne Thyssen (CD&V) en coopération avec Access Info Europe, a analysé tous les documents.

Il s’avère qu’en janvier et février 2016, les 28 commissaires européens ont effectué 261 missions officielles. Ils ont visité 26 états membres et 23 pays situés en dehors de l’Union européenne. Généralement, il s’agissait de visites brèves : 6 missions sur 10 ne dépassaient pas les 2 jours. Le but des missions était très varié : sessions au Parlement européen au Strasbourg, le World Economic Forum à Davos, les visites officielles aux pays, etc. Le coût total de tous ces déplacements : 492.249 euros, ce qui revient à 8790 euros par mois.

Durant la période indiquée, les commissaires européennes ont logé 467 fois à l’étranger, ce qui revient à 8 nuitées par personne par mois. Günther Oettinger, commissaire européen au Budget et aux Ressources humaines, a réalisé le plus de déplacements. Lors de ses 13 missions dans 6 pays européens, il a dormi 35 fois à l’étranger en deux mois.

Une analyse des 261 missions démontre que généralement la Commission européenne use du budget de déplacement avec parcimonie. Beaucoup de nuitées coûtent moins de 200 euros et il y a seulement 5 missions pour lesquelles les commissaires européens ont payé leur chambre d’hôtel plus de 500 euros par nuit. La nuitée la plus chère, à Addis Abeba, a coûté 629 euros.

Réceptions du CD&V

Marianne Thyssen a indiqué le nombre le plus élevé de missions : 16, dont 7 réceptions de Nouvel An: « Réception de Nouvel An nationale CD&V à Anvers » (48,30 euros), « ‘Séances de voeux Conseil Economique et Social de Wallonie, Liège » (48,30 euros), Réception de Nouvel An CD&V (Veerle Heeren) » (19,32 euros) et Mission « Département à Wuustwezel » (19,32 euros). Ensemble, les frais déclarés reviennent à 230 euros.

À première vue, il peut sembler étrange que Thyssen se fasse payer par la Commission pour assister à des réceptions de Nouvel An – qui plus est, de son propre parti – mais son porte-parole affirme que c’est logique : « Pour les missions liées au travail en dehors de Bruxelles on demande aux commissaires européens de remplir une demande de mission. Pour cela, ils perçoivent une rémunération journalière calculée en fonction de la durée de la mission. « Pour 6 heures ou moins, c’est 19,32 euros, pour 6 à 12, c’est 48,30 euros ».

« Être membre de la Commission européenne est une fonction politique », poursuit le porte-parole. « Assister à des événements fait intégralement partie de leur emploi. Les commissaires sont les ambassadeurs de l’Europe partout dans le monde, y compris dans leur pays natal. On attend d’eux une interaction active et régulière avec les citoyens, les parties intéressées et leurs représentants dans le but d’expliquer et de discuter des points de vue et des propositions de la Commission qui exercent un impact sur leur vie quotidienne. C’est exactement ce qu’a fait la Commissaire européenne Thyssen lors de ces événements, où elle a tenu des discours sur la politique de l’UE. »

Dans les documents de la Commission, Thyssen est la seule des 28 commissaires européens à avoir déclaré des réceptions de Nouvel An comme but de mission, mais il n’est évidemment pas exclu que d’autres collègues aient assisté à ce genre de réceptions lors de voyages déclarés à l’étranger.

Taxi aérien

Federica Mogherini, haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a accompli la mission la plus chère. Du 29 février au 2 mars, elle a dépensé 75 118 euros pour l’utilisation d’un taxi aérien dans le cadre d’une série de rencontres au sommet en Azerbaïdjan et en Arménie. Accompagnée d’une délégation changeante de 6 à 8 personnes, Mogherini s’est rendue à Bakou et à Erevan avant de retourner à Bruxelles. Le taxi aérien lui a permis d’assister à un maximum de rencontres en deux jours et dans les deux pays. Le code de conduite de la Commission autorise l’utilisation d’un taxi aérien quand il n’y a pas de vols commerciaux disponibles, quand ceux-ci ne correspondent pas à l’agenda du commissaire européenne, ou pour des raisons de sécurité.

Les 25 et 26 février 2016, le président de la Commission Jean-Claude Juncker a également fait appel au taxi aérien pour un voyage officiel à Rome. Coût du voyage : 26.351 euros. Il était accompagné de 8 membres de délégation, ce qui amène le coût par personne à un petit 3000 euros. Les vols commerciaux coûtaient 1738 euros par personne, mais selon la Commission ils étaient incompatibles avec l’agenda de Juncker.

Les missions effectuées en vol commercial se révèlent parfois chères aussi. En témoigne la visite de trois jours du Commissaire pour la coopération internationale et le développement Mimica Neven au Burkina Faso (près de 8000 euros) ou son séjour de quatre jours au Guatemala (plus de 10 000 euros). L’explication avancée? Quand, pour des raisons d’agenda, il n’y a pas moyen de réserver les vols long-courriers, cela fait augmenter le prix.

Calvaire

Le fait que la Commission européenne dévoile les frais de mission constitue un précédent important. Pourtant, Helen Darbishire, fondatrice et directrice d’Acces Info Europe, n’est pas totalement satisfaite : bien qu’elle ait demandé les documents pour toute l’année 2016, la Commission a uniquement publié les infos pour deux mois. « Nous demandons simplement des informations de base sur la façon dont la Commission utilise les moyens publics. Tous les contribuables ont le droit de savoir pour quel but est employé leur argent. »

Le calvaire a commencé il y a plus de trois ans, quand Access Info Europe a demandé les frais de déplacement de la Commission pour la première fois. Darbishire : « Dans un premier temps, elle a publié uniquement les totaux généraux. Plus tard, nous avons reçu des données dans lesquelles les noms des commissaires européens et les dates de voyage ont été noircis. En réclamant les données pour chaque commissaire européen séparément, nous avons pu recueillir plus d’informations. Fin 2016, nous avons reçu les notes de frais de 6 commissaires pour une période de deux mois en 2015. La constatation la plus intéressante était le fait que Jean-Claude Juncker avait pris un taxi aérien de 63 126 euros pour rentrer du sommet du G20 à Antalya en Turquie parce que le retour prévu en avion de l’armée belge a été annulé. » Ensuite, début 2017, Access Info a lancé une campagne publique pour appeler les citoyens européens à demander les frais de déplacement de la Commission européenne par un formulaire en ligne (et à laquelle Knack a participé). Les résultats sont les documents concernant janvier et février 2016.

Selon la Commission, la publication des frais de déplacement des dix autres mois de 2016 entraînerait une « charge administrative excessive » : un membre du personnel y passerait 75,5 journées de travail. Par ailleurs, la Commission souligne que sa gestion financière est soumise à un contrôle précis du Parlement européen et de la Cour des comptes européenne. « Nous sommes l’une des organisations les plus contrôlées du monde », déclare-t-elle. « Notre politique de transparence est étendue et poussée. »

Entre-temps, Access Info Europe a signalé la question de transparence au Médiateur européen. Helen Darbishire : « Nous espérons que le Médiateur déclenche une discussion sur les dépenses que la Commission européenne devrait de toute manière publier. Non en réponse à des demandes concrètes, mais de son propre chef. Parce que c’est normal dans une démocratie moderne. »

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