Le bâtiment du parlement islandais, à Reykjavik. © BELGAIMAGE

L’Islande en passe de rendre la circoncision non-médicale illégale

Stagiaire Le Vif

Le parlement islandais examine un projet de loi rendant la circoncision à but non-médical illégale. Une décision accueillie avec beaucoup d’hostilité sur l’île nordique, et au-delà.

Les 300.000 habitants de la terre de glace font parler d’eux. Et pas grâce au football, ou au tourisme qui explose dans le pays. L’Islande est pointée du doigt depuis que le pays a décidé de s’attaquer à la circoncision. Précision importante : on parle de circoncision non motivée médicalement. Culturelle ou religieuse donc.

Le respect des droits de l’enfant

L’initiatrice de la loi est Silja Dögg Gunnarsdóttir, une députée du parti centre-droit Framsókn. Selon elle, « nous parlons des droits des enfants, pas de la liberté de culte. Tout le monde a le droit de croire dans ce qu’il/elle veut, mais le droit des enfants passe avant la liberté de culte« . Le droit des enfants auquel fait référence la politicienne ici est la Déclaration de Genève de 1948, sorte de serment d’Hippocrate moderne, ainsi que la Convention internationale des droits de l’enfant.

Dans le premier, les docteurs prêtent ce serment : « Je ne permettrai pas que des considérations d’âge, de maladie ou d’infirmité, de croyance, d’origine ethnique, de genre, de nationalité, d’affiliation politique, de race, d’orientation sexuelle, de statut social ou tout autre facteur s’interpose entre mon devoir et mon patient« . Tandis que dans le second, l’article 12 érige l’opinion de l’enfant comme ligne directrice. Ligne qui n’est pas, selon les autorités islandaises, respectée dans le cas d’une circoncision sur un nourrisson ne pouvant émettre son avis. Un parallèle a été fait par le parlement islandais avec l’excision, pratique interdite dans de nombreux pays européens.

Selon la loi, les contrevenants encourraient jusqu’à six années de prison.

Une loi qui fâche…

Il fallait s’y attendre : le projet de loi a scandalisé de nombreuses personnes. Les représentants des religions chrétiennes, musulmanes et juives en Islande ont tous fait savoir leur mécontentement devant ce qu’ils considèrent comme une attaque envers la liberté de culte. Ils affirment également que la mise au banc de la circoncision entraînera des pratiques cachées aux autorités, voire un départ des croyants vers des pays plus ouverts. Le lien avec l’excision est également contesté, la circoncision n’entraînant pas, selon les chefs religieux, les mêmes conséquences sur la vie future de la personne. Les chefs religieux vivant cela comme une attaque de leurs fois, Silja Dögg Gunnarsdóttir a répété que la loi n’était pas anti-religion, car elle ne vise qu’à protéger les enfants de décisions prises sans leur accord.

Les réactions étrangères ne sont pas en reste. Dans le même style, l’ONG américaine Anti-Defamation League (ADL), qui combat l’antisémitisme dans le monde, a fait part de sa colère. Jonathan Greenblatt, président de l’ONG, a été très dur avec l’Islande, affirmant que le pays « sera célébré par les néonazis, suprémacistes blancs et autres extrémistes« . À mots voilés, le président menace de salir la réputation du pays, car les rapports de l’ADL sont repris par de nombreux médias outre-Atlantique. « Étant donné que 28% des touristes islandais viennent d’Amérique du Nord, la position islandaise devrait revêtir une grande importance d’un point de vue économique« , écrit-il notamment dans sa lettre adressée au parlement islandais. Une sévérité des propos qui n’a pas choqué l’initiatrice de la loi, pour laquelle il est « insensé de faire un lien entre le projet de loi et l’antisémitisme« .

…et qui est applaudie

Mais la députée islandaise a également des alliés. D’abord, la loi est vue favorablement par cinq formations politiques du parlement, dont celle de la Première ministre Katrin Jakobsdottir. Ensuite, ce sont plus de 400 docteurs et plus de 1.000 infirmières et infirmiers islandais qui ont soutenu le projet de loi par leurs signatures. 400 médecins, cela représente « plus ou moins le quart de tous les médecins pratiquants du pays » selon le New York Times. « Toute intervention médicale doit être mise en comparaison avec ses risques « , a déclaré le docteur Eyjolfur Thorkelsson à l’origine de la pétition. Dans cette dernière, les experts de la santé se basent sur une étude américaine de 2013 dans laquelle une association de pédiatres affirme que la circoncision d’enfants mâles en Occident ne comporte aucun point positif en termes de santé ou de prévention, tout en pouvant amener à de sérieux effets secondaires sur le long terme.

Il faut pourtant noter que la circoncision est recommandée lors de problèmes médicaux tels que des infections du prépuce, nommées balanitis, ou lorsque ce dernier est trop fin.

Une possible internationalisation

Mais la vraie crainte des groupes religieux, c’est que la loi islandaise, si elle passait, n’encourage d’autres pays européens à mettre en place des lois similaires. Le Conseil de l’Europe encourage pourtant depuis le 1er octobre 2013, au travers de la résolution 1952, les pays membres à agir pour « protéger l’intégrité physique des enfants« . Il invite les pays membres « mener des actions de sensibilisation sur la nécessité de veiller à ce que les enfants participent aux décisions concernant leur intégrité physique lorsque cela est approprié et possible, et à adopter des dispositions juridiques spécifiques pour que certaines interventions et pratiques ne soient pas réalisées avant qu’un enfant soit en âge d’être consulté« . C’est au Danemark que cette invitation a été prise la plus au sérieux : l’ONG Intact Denmark y a créé une pétition pour proposer une loi au parlement afin de bannir la circoncision. À l’heure où nous écrivons ces lignes, l’ONG a récolté près de 33.000 signatures, sur les 50.000 nécessaires pour que le projet de loi soit envoyé à l’Assemblée nationale danoise.

En Belgique, la question est épineuse. Que ce soit le Comité consultatif de bioéthique ou le GAMS (Groupe pour l’Abolition des mutilations sexuelles féminines), qui se sont tous deux penchés sur la question de la circoncision, aucun des deux n’a de position claire. En effet, la littérature scientifique n’arrivant pas à se mettre d’accord sur les bienfaits, ou les dangers, de la circoncision, ne reste alors que l’aspect éthique et moral de chacun. En plus des croyances de chacun, cela n’aide pas à trouver un terrain d’entente. Que ce soit ici, en Islande, ou ailleurs.

Thomas Modave

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