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« L’Iran n’ira jamais directement à la confrontation »

La mort de Qassem Soleimani aura des conséquences majeures pour le Moyen-Orient, craint le professeur de politique internationale David Criekemans (Université d’Anvers).

Avec la mort de Qassem Soleimani, l’Amérique a éliminé le stratège le plus influent de l’Iran. Soleimani était un combattant, le stratège qui, depuis la guerre en Irak, a considérablement élargi l’influence de l’Iran au Moyen-Orient grâce à un ensemble d’alliés régionaux.

Selon le professeur de politique internationale David Criekemans (Université d’Anvers), l’attaque sur Soleimani est le résultat d’une longue réaction en chaîne. « La cause immédiate est une attaque à la roquette de Kataeb Hezbollah, une milice irakienne soutenue par l’Iran, qui a tué un Américain près de Kirkoek », explique Criekemans. « L’Amérique a ensuite bombardé la milice chiite locale dans la région frontalière syro-irakienne, tuant 25 combattants. Par la suite, avec le soutien des chiites locaux, ces milices ont assiégé l’ambassade américaine en Irak la veille du Nouvel An. Soleimani est probablement venu en Irak pour coordonner ces actions. »

Trouvez-vous surprenant que quelqu’un comme Soleimani soit venu si près de la ligne de tir ?

David Criekemans: Il l’a toujours fait. Soleimani était un homme d’action, un stratège qui était en même temps un commandant local. Au fil des ans, il a développé un charisme énorme, qui a fait que toutes les milices chiites du Moyen-Orient lui obéissent presque aveuglément. Les États-Unis ont pu l’éliminer parce qu’ils avaient apparemment de bons renseignements. Le fait que l’armée américaine dispose de la technique nécessaire pour mener ce genre d’attaques ne surprendra personne.

Quelle était l’importance de Soleimani pour le régime iranien ?

Criekemans: C’est une grande perte pour l’Iran. Si un tel leader charismatique est éliminé, cela laisse quoiqu’il arrive un vide. Mais ce n’est pas comme si ces milices allaient s’effondrer sans lui. Cela ne signifie pas non plus la fin de la présence de l’Iran au Moyen-Orient. Soleimani était quelqu’un qui pensait de manière très stratégique, qui savait quand attaquer et quand se contrôler. Je pense qu’il est possible que les choses soient beaucoup plus difficiles dans la région maintenant.

Pensez-vous que l’Iran va riposter ?

Criekemans: L’Iran ne va jamais entreprendre de confrontation directe. Je pense que la réponse sera asymétrique : enlèvements, attaques de roquettes, déstabilisation, guerre économique, attaques terroristes, peut-être attaques de drones.

L’Iran est en proie à des troubles politiques depuis de nombreuses années. Quelles conséquences cela a-t-il sur la politique intérieure iranienne ?

Criekemans: D’une certaine manière, la mort de Soleimani est un cadeau pour le régime iranien. L’Iran ne va pas bien. Les sanctions ont fait imploser l’économie, l’inflation est en hausse et le régime a perdu beaucoup de soutien populaire ces dernières années. Avec ce genre d’actions, vous obtenez l’effet inverse, bien sûr. Il est illusoire de penser qu’avec cette politique, vous persuaderez le peuple iranien, selon les mots de Donald Trump, « de se libérer du régime ».

Quelles sont les conséquences pour la Russie et la Turquie, les partenaires iraniens en Syrie ?

Criekemans: La Turquie se tient prête, regarde et profite. La Russie et la Turquie voient l’Arabie Saoudite et l’Iran, les deux autres superpuissances régionales, s’affaiblir. Erdogan ne coopère avec l’Iran que lorsque cela l’arrange. Pour la Russie, l’équilibre est désormais presque impossible. Elle a considérablement étendu son influence régionale au Moyen-Orient, mais s’il y a vraiment des étincelles entre les superpuissances régionales, la Russie est en fait impuissante. Les engagements militaires de la Russie sont toujours limités dans le temps et raisonnés. Si ce conflit s’intensifie, il sera très difficile pour Moscou de choisir son camp.

Il faut surtout se rappeler que la Russie et l’Iran ne sont pas vraiment des alliés. La Russie coopère principalement avec l’Iran car elle préfère amener les réserves de gaz iraniennes sur le marché mondial par l’intermédiaire de Gazprom.

Qu’est-ce que cela signifie pour la présence américaine au Moyen-Orient ?

Criekemans: C’est le choc de la géopolitique avec l’égopolitique. Aujourd’hui, nous assistons à de l’égopolitique : éliminer un tel général iranien est bien sûr très médiagénique, ce qui donne l’impression que l’Amérique est de retour au Moyen-Orient. Mais la ligne stratégique reste que l’Amérique retire ses troupes, tout en soutenant l’Arabie Saoudite et Israël, notamment parce que ces pays doivent alors acheter des armes américaines pour se sécuriser. Mais bien sûr, cela pourrait déstabiliser la région, et Trump, comme tant de ses prédécesseurs, se sentira obligé de renforcer la présence américaine au Moyen-Orient.

Cela marque début de la campagne de réélection de Trump ?

Criekemans: C’est déjà le cas depuis un petit temps, et cela en fait clairement partie. Avec cette action, Trump est à nouveau l’homme de la sécurité. Pendant les prochains jours, nous ne parlerons pas de la procédure de mise en accusation ou de l’échec total des négociations avec la Corée du Nord. Il choisit les thématiques. Et si c’est surtout sur ses thèmes de prédilection, il y a des chances qu’il soit réélu.

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