Hassan Rouhani © Belga

« L’Iran n’a aucun intérêt à développer des armes nucléaires maintenant »

Le Vif

L’expert nucléaire Sico van der Meer (Institut Clingendael) estime plausible que l’Amérique attaque l’Iran.

La semaine dernière, le président américain Donald Trump a annoncé que les États-Unis se retiraient unilatéralement de l’accord nucléaire avec l’Iran. Ce dernier prévoit que l’Iran ne construise pas de nouvelles installations nucléaires, qu’il réduise l’enrichissement de l’uranium et que les sanctions occidentales contre le pays soient allégées. Depuis l’exit de Trump, l’incertitude règne autour de l’avenir de la région. L’Iran ne souhaite pas faire sauter l’accord, mais exige des garanties de la part des autres pays avec qui il a conclu le deal : la Russie, la France, le Royaume-Uni, la Chine et l’Allemagne. Pour le président Hassan Rouhani, l’Iran continuera à respecter l’accord que si ces États continuent à soutenir l’accord à l’unanimité.

Vous attendez-vous à ce que les autres pays maintiennent l’accord nucléaire avec l’Iran?

Sico van der Meer: Y sont-ils vraiment préparés ? L’Amérique a déjà annoncé qu’elle voulait infliger des amendes à toutes les entreprises actives en Amérique et qui font des affaires avec l’Iran. L’Europe osera-t-elle prendre des contre-mesures si c’est le cas, pour protéger les sociétés qui investissent en Iran ? J’estime que c’est improbable. Le fait est que l’accord a peu de sens pour l’Iran si les Américains ne participent pas. L’Iran ne profite de l’accord que s’il peut progresser économiquement.

Vous attendez-vous à ce que l’Iran en sorte de sa propre initiative?

Pas pour l’instant. Cela peut changer si les autres pays voulaient durcir l’accord, comme le proposait la France il y a quelques semaines.

Trump souhaite également inclure le programme de missiles intercontinentaux dans l’accord nucléaire. Une bonne idée ?

L’Iran teste les missiles intercontinentaux depuis des années. Au fond, ce programme concerne exclusivement la région – même si les missiles iraniens pourraient aussi toucher l’Europe. En Amérique et Israël, on craint que l’Iran veuille équiper ces missiles de têtes nucléaires en catimini, ce qui devrait être possible en théorie. Seulement, ce n’est pas une raison pour résilier l’accord nucléaire. L’accord nucléaire a trait aux armes nucléaires, non aux missiles. C’est de la folie que de résilier un accord fonctionnant parfaitement pour y ajouter quelque chose qui n’a rien à voir.

Estimez-vous probable que l’Iran relance son programme nucléaire?

L’Iran ne veut absolument pas développer des armes nucléaires. Vu les circonstances actuelles, il n’y a aucun intérêt. L’Iran voit les armes nucléaires comme une sorte d’assurance, une façon d’avoir un moyen de pression en cas d’extrême urgence. Mais en même temps, Téhéran ne sait que trop qu’il sera attaqué s’il essaie un jour de développer des armes nucléaires. Pour l’instant, l’Iran a tout intérêt à montrer au monde qu’il est un partenaire rationnel, et que les États-Unis ne sont pas dignes de confiance.

Le programme nucléaire iranien date d’autour de 2000. Il y a eu quelques expériences, mais l’Iran a très vite fait marche arrière. Ces dernières années, il a développé de l’uranium hautement enrichi. Ce dernier peut être utilisé pour développer des armes nucléaires, mais peut aussi servir à des fins civiles, comme l’a toujours prétendu l’Iran. À long terme, l’Iran pourrait à nouveau produire de l’uranium enrichi et du plutonium, mais là aussi ce sont des processus compliqués qui prendront des années.

La résiliation de l’accord inspirera-t-elle d’autres pays de la région à développer des armes nucléaires?

Ce risque me semble limité. L’Arabie saoudite menace depuis des années de construire des armes nucléaires si on ne se prend pas à l’Iran. C’est leur façon de faire pression sur les Américains, mais je ne pense pas que ce soit une menace sérieuse. En matière de technologie nucléaire, l’Arabie saoudite n’est nulle part. Il faudrait des années pour développer une infrastructure de base pour enrichir l’uranium.

Avez-vous été étonné par les accrochages entre l’Iran et Israël après la résiliation de l’accord ?

Cela semble indépendant de la question nucléaire. Israël et Iran se volent dans les plumes en permanence : en Syrie, au Liban. L’Iran grandit son rôle dans la région, et Israël s’oppose.

Trouvez-vous surprenant que l’Iran ose attaquer une puissance nucléaire comme Israël ?

Le fait qu’Israël possède des armes nucléaires n’a jamais empêché les pays arabes d’attaquer Israël. Ils comptent sur le fait que pour de petits accrochages, les Israéliens ne déploieront pas d’armes nucléaires destructrices. Ils ne vont pas sortir leurs armes nucléaires parce que ce qui se passe en Syrie ne leur plaît pas.

Pensez-vous qu’une des puissances nucléaires actuelles soit capable d’utiliser une arme nucléaire ?

Je pense que pour l’instant aucun pays n’est prêt à briser le tabou sur les armes nucléaires. Pour moi, le plus grand risque nucléaire se situe au niveau du conflit entre l’Inde et le Pakistan. Ce sont deux grandes puissances qui sont en confrontation permanente, avec un conflit qui n’en finit pas au Cachemire et de nombreux incidents à la frontière. C’est un conflit qui peut rapidement dégénérer.

Quand il a résilié l’accord, Trump a tenu un discours menaçant. Estimez-vous plausible que l’Amérique attaque l’Iran ?

Malheureusement, c’est un scénario plausible. Il est hautement inquiétant que quelqu’un comme John Bolton ait autant d’influence à la Maison-Blanche. Bolton est à peu près la dernière personne sur cette planète à encore oser prétendre que l’invasion américaine en Irak était une bonne idée. Après l’élimination du président Saddam Hussein, il y a eu un énorme vide de pouvoir qui a causé des centaines de milliers de personnes, permis à l’EI de fonder un califat, et provoqué un énorme flux de réfugiés. Aujourd’hui, c’est lui qui est conseiller à la sécurité nationale d’Amérique.

Depuis l’arrivée de Trump à la Maison-Blanche, les États-Unis sont fondamentalement imprévisibles. Il n’est pas à exclure non plus que Trump prenne simplement une décision lui-même. Ce serait une stratégie complètement stupide tant au niveau tactique qu’au niveau du droit international, mais je crains que pour le gouvernement actuel ce soit vraiment une option.

Comment sont les rapports de pouvoir militaires entre l’Amérique et l’Iran?

La suprématie militaire de l’Amérique est énorme. Je ne m’attends pas à ce que l’Iran puisse y changer grand-chose. Seulement, il est de notoriété publique que l’Amérique a beaucoup de mal à imposer un nouveau régime qui stabilise le pays. Une invasion américaine ne ferait qu’apporter encore plus de chaos, d’enfer et de damnation dans la région.

La résiliation de l’accord iranien a-t-elle des conséquences pour les négociations nucléaires avec la Corée du Nord?

Depuis la semaine dernière, Pyongyang sait que la signature d’un président américain ne vaut pas grand-chose: l’Iran a démantelé une grande partie de son programme nucléaire et à présent il a les mains vides. Pendant longtemps, la Corée du Nord n’a pas voulu négocier avec l’Amérique, parce que les États-Unis se sont montrés très peu fiables au niveau du respect des accords nucléaires. Regardez Saddam Hussein en Irak et Mouammar Kadhafi en Libye : les deux avaient un accord pour ne pas développer d’armes nucléaires et ont tout de même été renversés par une invasion occidentale. Ou regardez l’Ukraine qui a abandonné ses armes nucléaires en 1991 en échange de protection, et qui est à présent partiellement occupée par la Russie. Les Nord-Coréens l’ont bien compris. Ce sera très difficile de conclure un accord nucléaire.

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