Gérald Papy

L’insoutenable opacité du pouvoir chinois

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Depuis la catastrophe industrielle de Tianjin, le régime chinois est engagé dans un périlleux exercice d’équilibriste entre un devoir d’information contraint aux victimes et son contrôle pour prévenir la contestation sociale.

Les informations parcellaires que les médias officiels chinois laissent filtrer et que les autres débusquent établissent d’ores et déjà deux manquements de la société Rui Hai International Logistics. Le volume de produits toxiques qu’elle entreposait dans le port de Tianjin était largement supérieur aux normes autorisées, peut-être jusqu’à 30 fois plus. Et alors que la nature des substances présentes sur le site aurait dû repousser tout quartier résidentiel au-delà d’un périmètre d’un kilomètre, les premières habitations étaient distantes de 800 mètres.

Ces constats liminaires laissent augurer les infractions et autres malversations que pourrait mettre au jour une enquête sérieuse. Engagé dans une campagne contre la corruption depuis son accession à la présidence en mars 2013, Xi Jinping a perçu la sensibilité du dossier qu’un début de protestation citoyenne et le regard des médias internationaux ont aiguisée. Pour prévenir la contagion aux échelons supérieurs du Parti communiste, mieux valait jeter l’opprobre sur le niveau de responsabilité local. C’est à l’aune de ce principe que Pékin a adopté un double langage digne des dictatures les plus obscurantistes, réussissant à dénoncer le manque de transparence des autorités de Tianjin et à prendre dans le même temps toutes les dispositions pour… étouffer, sur le Web, la diffusion de la moindre information non officielle. Cette stratégie incline à penser que le fiasco industriel de Tianjin n’aura pas, sur le régime chinois, l’impact que la catastrophe de Tchernobyl eut, en 1986, sur le processus de délitement du pouvoir soviétique.

Mais la recherche de la vérité n’en est qu’à ses prémices. La concentration de cyanure de sodium, hautement toxique, et son éventuelle propagation, après transformation au contact de la chaleur ou de l’eau en cyanure d’hydrogène, font craindre des conséquences durables sur la santé des pompiers intervenus en première ligne sans consigne particulière de sécurité, sur les riverains laissés dans l’ignorance et sur les militaires aux ordres.

Au-delà de l’urgence, le drame met en évidence l’indifférence des autorités à faire respecter des normes minimales de protection de l’environnement. Un constat qui autorise l’économiste Antoine Brunet à affirmer au Figaro que « Pékin est prêt à prendre des risques démesurés pour renforcer le succès des entreprises chinoises à l’exportation ». Comme il n’a pas hésité récemment à dévaluer par trois fois, en trois jours, sa monnaie aux mêmes fins.

Cette démonstration patente de concurrence déloyale n’est pourtant pas dénoncée par les puissances occidentales, trop intéressées qu’elles sont elles-mêmes à récolter les dividendes de la croissance d’un immense marché. Il faudra pourtant bien un jour mesurer les répercussions d’un système économique dont un des fondements, inscrit dans le marbre communiste depuis la répression de la révolte de Tian’anmen il y a plus de vingt-cinq ans, est la privation des droits de l’homme élémentaires parce qu’elle permet de maintenir d’inégalables bas salaires. Quand cette combinaison entre capitalisme économique et totalitarisme politique sera devenue la première économie de la planète, il sera peut-être trop tard pour éviter qu’elle soit érigée en exemple de développement à reproduire.

de Gérald Papy

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