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L’exode des Rohingyas s’accélère et fait craindre une crise humanitaire

Le Vif

En onze jours, près de 125.000 personnes, pour la plupart des musulmans rohingyas, ont fui les violences en Birmanie pour se réfugier au Bangladesh voisin, a annoncé mardi l’ONU, craignant une crise humanitaire dans des camps débordés. Un pic a été atteint ces dernières 24 heures, avec quelque 37.000 réfugiés ayant passé la frontière en une journée.

Les violences ont commencé par l’attaque le 25 août de dizaines de postes de police par les rebelles de l’Arakan Rohingya Salvation Army (ARSA), qui dit vouloir défendre les droits bafoués de la minorité rohingya.

Depuis, l’armée birmane a déclenché une vaste opération dans cette région pauvre et reculée, l’Etat Rakhine, poussant des dizaines de milliers de personnes sur les routes. Bilan selon l’armée birmane : 400 morts dont 370 « terroristes » rohingyas.

« Les gens sont installés dans des camps de réfugiés, sur les routes, dans les cours d’école et même dehors. Ils défrichent pour créer de nouveaux refuges. L’eau et la nourriture vont manquer », a expliqué Nur Khan Liton, un célèbre militant des droits de l’homme au Bangladesh.

Outre le manque de vivres et d’espace dans des camps surpeuplés -plus de 400.000 Rohingyas y étaient déjà hébergés après avoir fui des vagues de violences antérieures-, l’état de santé des nouveaux réfugiés inquiète les organisations d’autant que c’est la saison des pluies.

« Ces personnes ont faim, ont soif et sont malades. Elles méritent au moins un toit sur leurs têtes », estime Shubhash Wostey, le chef de bureau du Haut commissariat de l’ONU aux réfugiés (HCR) à Cox Bazar.

« Il y a un besoin urgent d’abris et de terrains pour les installer », selon Vivian Tan, porte-parole du HCR. « Ces gens ont marché des jours durant. Certains n’ont pas mangé depuis leur départ. Ils ont survécu avec de l’eau de pluie et de sources ».

Les organisations pensent que des milliers d’autres sont toujours en chemin.

Et certains arrivent blessés : ces deux derniers jours, trois personnes, dont deux enfants, ont été grièvement touchées dans l’explosion de mines côté birman.

« Les deux enfants ont marché sur une sorte d’explosif ce matin et l’un d’entre eux a perdu une jambe », a déclaré mardi à l’AFP Manzurul Hasan Khan, responsable des gardes-frontières bangladeshis.

– ‘Grand fardeau’ –

Le Bangladesh a initialement repoussé des réfugiés vers la Birmanie mais semble avoir abandonné l’idée de bloquer leur afflux, qualifié de « grand fardeau » pour le pays par sa Première ministre Sheikh Hasina.

Malgré des décennies de restrictions de leurs droits et de persécutions en Birmanie, où cette minorité musulmane est marginalisée et considérée comme étrangère, les Rohingyas n’avaient jusqu’à présent presque jamais recouru à la lutte armée.

La donne a radicalement changé en octobre. Depuis, la région du nord de l’Etat Rakhine est bouclée par l’armée et aucun journaliste ne peut s’y rendre de façon indépendante.

Et c’est toute la zone qui pâtit de cette nouvelle flambée de violences.

« Les musulmans sont affamés chez eux. Les marchés sont fermés et les gens ne peuvent pas sortir de leurs villages, sauf pour fuir. Les autorités recourent à l’intimidation, utilisant la nourriture et l’eau comme des armes », a expliqué un responsable humanitaire travaillant dans la région, cité par Amnesty International.

L’ONG estime que toute la région « est au bord d’une catastrophe humanitaire ».

« En bloquant l’accès des organisations humanitaires, les autorités mettent la vie de dizaines de milliers de personnes en danger », juge Tirana Hassan, d’Amnesty International.

La situation est extrêmement tendue pour les équipes humanitaires dans cette zone depuis que le gouvernement birman du prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi les a mises en cause, affirmant que des rations alimentaires avaient été retrouvées dans des camps rebelles.

Dans cette région, plus de 80.000 enfants souffrent de malnutrition et quelque 120.000 Rohingyas vivent dans des camps à Sittwe, la capitale de l’Etat Rakhine, depuis des violences interconfessionnelles en 2012. Ils n’ont pas accès au marché du travail et leurs déplacements sont limités, ce qui les rend dépendants de l’aide alimentaire.

Sur la scène internationale, les critiques s’intensifient contre Aung San Suu Kyi.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan lui a fait part mardi de sa « profonde préoccupation » dans un entretien téléphonique. Lundi, le prix Nobel de la paix pakistanais, la jeune Malala Yousafzai, avait critiqué sa collègue birmane pour sa gestion du drame des Rohingyas.

Les autorités birmanes considèrent le million de Rohingyas comme des immigrés illégaux du Bangladesh voisin, même s’ils vivent en Birmanie depuis des générations. Le mot même de « Rohingya » est tabou en Birmanie, où on parle de « Bangladais ».

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