Pascal Boniface © Martin Bureau/Belgaimage

« L’Euro peut raviver la flamme collective »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Directeur de l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) à Paris, Pascal Boniface est une référence en matière de géopolitique et un amoureux de football. Deux passions qu’il a conjuguées dans de nombreux livres.

Les autorités françaises déclarent qu’il n’a jamais été question d’annuler l’Euro, mais le fait même de le dire est significatif, non ?

Certains affirment que nous sommes en guerre. Or, la France va accueillir un événement sportif majeur. C’est que nous ne sommes pas tout à fait en guerre. Vous avez souffert, nous avons souffert, quantité d’autres pays aussi. Les attentats peuvent survenir partout mais ils ne doivent pas fixer le calendrier. L’Euro est une façon de dire que nous sommes un pays normal… Les deux tiers des 500 000 billets achetés l’ont été par des étrangers. Or, le comité organisateur s’attendait à un partage moitié-moitié. Les stades seront plein et les fans zones maintenues : ce sera une joie collective. La France n’est pas un pays qui a peur, en dépit de la menace terroriste. Si elle avait renoncé à l’Euro, elle pouvait aussi renoncer à sa candidature pour les Jeux olympiques de 2024 à Paris, parce que c’est un test grandeur nature. Dans un pays à l’humeur morose, un événement de ce type peut être mobilisateur et raviver une flamme collective qui nous manque pour le moment.

Peut-il jouer un rôle positif pour une Europe en pleine crise existentielle ?

Il y a une fatigue de l’Europe, les gens se déplacent de moins en moins pour voter, seul un Européen sur deux a choisi ses élus pour le Parlement européen alors que celui-ci n’a jamais eu autant de pouvoirs. Et parmi cette moitié, il y a une moitié qui vote pour des partis hostiles à l’actuelle construction européenne. Mais l’Euro accueille aussi des pays qui ne sont pas membres de l’Union européenne : une ouverture rappelant que le monde est divers, qu’il n’est pas cantonné à ses frontières.

Peut-on dire que la construction du football européen précède la construction politique ?

Historiquement, c’est le cas. Les premiers contacts est-ouest ont eu lieu à travers la Coupe d’Europe des clubs champions, comme on l’appelait à l’époque. C’était une époque, dans les années 1950, où il n’y avait pas de déplacements est-ouest. La première ouverture sur l’autre a eu lieu par les compétitions sportives. Le football reste un moyen de diplomatie.

L’UEFA est d’ailleurs née trois ans avant le Traité de Rome. Un signe ?

Elle a effectivement eu un rôle de pionnier, en affirmant que le sport pouvait s’affranchir des oukases politique. Sa création fut un événement avant-coureur de l’Union à venir.

Les crises se multiplient dans la gouvernance de ce sport…

Une série de personnes ont failli et ont profité du système. Il y a davantage d’argent qui circule et ça n’a pas été accompagné d’une réforme de la gouvernance à la hauteur des sommes engagées. Il faut réformer le football mondial, c’est évident. Aucun empire ne se maintient en géostratégie sans se remettre en question. Si le football veut rester le sport numéro un, il doit tenir compte des critiques.

L’Europe demeure la plaque tournante du ballon rond. Mais d’autres puissances, comme la Chine, commencent à investir massivement dans le football…

Elle le fait parce que son président aime le football et qu’il perçoit combien c’est un élément de rayonnement pour le pays. Les Chinois ont été très amers de ne voir leur équipe nationale qualifiée que pour une seule Coupe du monde, en 2002, à l’issue de laquelle elle a été éliminée au premier tour sans avoir marqué un point. Ils ne veulent plus être ridicules et je ne serais pas étonné qu’ils soient candidats à l’organisation de la Coupe du monde 2026 ou 2030.

Le football est-il devenu un enjeu géostratégique majeur ?

C’est une perception relativement nouvelle. En 1997, avant la Coupe du monde en France, j’avais proposé à deux éditeurs de publier un livre sur le football et les relations internationales. Les deux m’avaient ri au nez en affirmant que c’était deux choses distinctes : « On sait que tu aimes le football, mais ce n’est pas la peine de faire un lien qui n’existe pas. » Plus personne aujourd’hui ne pourrait nier qu’il y a des relations entre les deux sujets.

Il y a eu une prise de conscience ?

De son impact, oui. Si le Qatar a racheté le Paris Saint-Germain, ce n’est pas par hasard, c’est aussi parce qu’ils pouvaient obtenir, pour une somme modique, le club d’une capitale emblématique. Le Qatar n’était connu que pour l’énergie. Maintenant, en France, tout le monde le connaît. Pour eux, ce fut un investissement judicieux. Et ça a toujours été le cas. Quand Peugeot investit sur Sochaux dans les années 1930, on a prétendu que le championnat était faussé. Dans les années 1970, en France, ce fut au tour des municipalités de subventionner les clubs. Jacques Médecin, maire de Nice, avait donné un gros montant à l’OGC pour rivaliser avec Marseille. Ces sommes étaient énormes pour l’époque et permettaient d’acheter l’une ou l’autre vedette. Nous sommes aujourd’hui dans une autre dimension. Cela fausse-t-il les compétitions ? Oui, car on voit que les clubs les plus riches l’emportent plus facilement et le PSG a actuellement un monopole en France. Mais ce sont des phases, tout cela, car d’autres investisseurs viendront faire concurrence. La période actuelle n’est pas aussi révolutionnaire qu’on veut bien le dire.

Que penseriez-vous d’une finale France-Belgique ?

Ce serait formidable parce que nous sommes deux pays frères, proches culturellement et sociologiquement. L’Allemagne est notre premier partenaire commercial et politique, mais en football, il n’y a pas la même proximité. Cela dit, ces trois formations sont très proches : elles sont toutes multiculturelles. Ce sont les effets de la globalisation, mais ces équipes restent de puissants vecteurs d’identité nationale. Nul ne soupçonne le Diables Rouges de ne pas représenter la Belgique, c’est d’ailleurs l’un des derniers ciments d’unité nationale, plus que la monarchie et que le système politique ou la Constitution. Cela démontre encore que l’identité nationale se nourrit de multiples origines.

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