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L’effet Trump: la migration venue d’Amérique centrale réduite de moitié

Arthur Debruyne
Arthur Debruyne Correspond en Amérique du Nord et en Amérique centrale pour Knack.be

Depuis l’investiture du président américain Donald Trump, la migration venue d’Amérique centrale a été réduite de moitié. Les expulsions de membres de gangs tournent quant à elles à plein régime. Nos confrères de Knack ont consulté les chiffres.

C’était un fer-de-lance de la campagne de Donald Trump: mettre fin à l’immigration illégale, et surtout au flux humain qui atteint les États-Unis depuis le Mexique.

La Border Patrol américaine nous fait savoir que pour l’instant elle recrute 5000 agents supplémentaires, comme promulgué par un décret présidentiel de Trump de février. Le président met fin au DACA de son prédécesseur Barack Obama, un décret destiné à protéger les Dreamers de son pays. Les Dreamers, dont le nombre est estimé à environ 800 000, sont arrivés enfants et sans papiers aux États-Unis et y ont construit une vie.

La construction du fameux mur sur la frontière mexicaine semble plus compliquée que prévu: le Sénat tergiverse à approuver un financement de 1,6 milliard de dollars pour le projet et le Mexique continue à affirmer qu’il ne paiera pas pour le mur, comme Trump l’avait juré.

Les sanctuary cities telles que San Francisco, Seattle et Chicago, où les immigrants sans papiers sont très protégés, n’acceptent pas que Trump veuille prélever des moyens fédéraux et se rendent au tribunal.

De moins en moins de migrants

Même si la rhétorique de Trump s’adresse surtout au Mexique, depuis quelques années il y a plus d’immigrants mexicains installés aux États-Unis qui retournent dans leur pays natal que l’inverse. Ce n’est pas illogique : suite à ce qu’on appelle la Grande Récession aux États-Unis, l’emploi a reculé, alors que l’économie mexicaine reprend.

Aujourd’hui, les migrants qui souhaitent atteindre les États-Unis via le Mexique viennent principalement de ce qu’on appelle le Triangle septentrional d’Amérique Centrale : du Salvador, du Guatemala et de Honduras qui comptent 33 millions d’habitants.

Si les habitants de ces régions connaissent peu les détails précis de la politique d’immigration américaine, ils comprennent bien que le président Trump ne va pas dérouler le tapis rouge aux candidats-migrants.

C’est incontestable: les migrants d’Amérique centrale ne viennent plus. Ces derniers mois, beaucoup moins de migrants tentent d’atteindre frontière sud-ouest des États-Unis.

Il y a un graphique qui en dit long: le nombre d’arrestations par la Border Patrol de migrants sans papiers sur la frontière mexicaine. Les migrants mineurs, surtout ceux qui veulent demander l’asile, se font souvent arrêter pour essayer de décrocher un séjour légal dans le pays.

Les arrestations sont au plus bas depuis 2012. Si en octobre et novembre 2016, on arrêtait encore plus de 60 000 migrants par mois en Arizona et au Texas, en mars et avril 2017 il y en avait respectivement 16.591 et 15.771, soit près de 75% de moins.

Les différentes courbes représentent les arrestations d’octobre à septembre, le calendrier américain administratif. La ligne bleu clair indique le passage d’Obama à Trump :

L'effet Trump: la migration venue d'Amérique centrale réduite de moitié
© U.S. Customs and Border Protection

L’année dernière, il n’y a pas eu de changements significatifs dans les priorités des gardes-frontières, indique un porte-parole de l’agence U.S. Customs and Border Protection (CBP) à Knack. La Border Patrol travaille comme d’habitude et du coup la baisse dans les arrestations ne s’explique pas par une diminution des gardes-frontières. Depuis début 2017, il y a donc nettement moins de migrants qui tentent d’entrer aux États-Unis. Ces derniers mois, ce chiffre a remonté légèrement : il est possible que l’effet de choc se soit un peu calmé et que la migration reprenne bientôt.

Au Mexique aussi, il y a un schéma clair qui se dessine. Entre janvier et juillet 2016, 98.499 migrants sans-papiers ont été arrêtés dans le pays, révèlent les chiffres de l’autorité de l’immigration mexicaine INM. Au cours de la même période en 2017, le nombre d’arrestations a baissé à 52.106, soit une diminution d’environ 50%. Le nombre d’expulsions vers l’Amérique Centrale s’est également réduit de moitié. Depuis quelques années, le Mexique expulse plus de migrants que les États-Unis.

Les chiffres sont confirmés par des sources d’Amérique centrale. Généralement, les procédures d’expulsions aux États-Unis de migrants arrêtés en traversant la frontière ont lieu beaucoup plus rapidement que pour les gens qui sont arrêtés dans le pays, par l’Immigration and Customs Enforcement (ICE), la police de l’immigration. Les migrants qui se font prendre à la frontière représentent la majeure partie du nombre total d’expulsions depuis les États-Unis.

Comme beaucoup moins de migrants tentent la traversée, on expulse moins. C’est ce qu’on constate surtout au Salvador. Les chiffres du service de l’immigration salvadorien révèlent qu’entre janvier et septembre 2017, le nombre d’expulsions des États-Unis a baissé de pas moins de 44% par rapport à la même période l’année passée.

« Killing fields »

Trump se targue qu’il va éliminer les bandes criminelles, et surtout les MS-13, à coup d’expulsions. Fondé à Los Angeles dans les années 1980 par des Salvadoriens fuyant la guerre civile dans leur pays, le gang Mara Salvatrucha a pris pied en Amérique centrale quand ses membres ont été massivement expulsés dans les années 1990.

Suite à un cycle d’expulsions et de migration répétée entre les États-Unis et l’Amérique centrale, le gang a rayonné à Houston au Texas, et au nord-ouest, en dehors de New York. « Ils ont changé des parcs paisibles et de magnifiques quartiers calmes en killing fiels imbibés de sang », a déclaré Trump.

D’après les chiffres de la police de l’immigration ICE, d’octobre 2016 à aujourd’hui, il y a eu 5 207 membres de gang expulsés en Amérique centrale, contre 2057 pour tout 2016. Sous Trump, deux fois plus de membres du gang ont été expulsés en Amérique centrale.

Les demandes d’asile culminent au Mexique

D’après l’organisation de migration IOM, les migrants en Amérique centrale migrent surtout pour des raisons économiques. Pourtant, les violences dans la région alimentent ce que l’ONG Amnesty International a appelé « la crise de réfugiés la moins visible du monde ».

Au Mexique, tout comme au Belize et au Costa Rica, les demandes d’asile de personnes de Honduras, de Salvador et du Guatemala culminent. Entre 2000 et 2010, le Mexique n’a traité que 600 demandes d’asile par an. En 2015, 3000 personnes d’Amérique centrale ont demandé une protection.

L’année dernière, le pays a eu 8781 demandes d’asile. L’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) s’attend à clore 2017 avec 20 000 demandes d’asile. Neuf demandeurs d’asile sur dix fuient les violences au Honduras, au Salvador et au Guatemala, dans cet ordre.

« Les réfugiés se laissent coller l’étiquette de migrants, parce qu’ils sont mal informés », explique le journaliste d’investigation salvadorien Oscar Martinez. « Beaucoup de migrants ont toujours du mal à se représenter qu’ils fuient, qu’ils ne migrent pas : comme l’Amérique centrale a toujours été le théâtre de violences, la plupart des gens trouvent normal de se déplacer pour des raisons liées à la violence. Cela fait partie de la vie. »

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