Jacques De Decker

« L’économie est-elle vraiment au service de l’humanité ? »

Il n’est jamais trop tard pour mettre les points sur les  » i « . Et il y en a deux dans le mot capitalisme. Paul Jorion, l’économiste belge qui n’a pas la langue dans sa poche, et dont les ouvrages ont le mérite d’annoncer clairement la couleur, le fait avec une particulière virulence dans son dernier, Se débarrasser du capitalisme est une question de survie.

Son livre, un brûlot de plus qu’il ajoute à d’autres machines de guerre, elles aussi parues chez Fayard, qui avaient pour nom Le Capitalisme à l’agonie (2011) et Misère de la pensée économique (2012) avant de publier à la même enseigne Penser l’économie autrement (2014) où il croisait le fer avec un sparring partner à sa taille, Bruno Colmant. Comme il est anthropologue et sociologue de formation, il développe une pensée qui n’évacue jamais le facteur humain, ce qu’illustre d’ailleurs de façon imagée son opus paru l’an passé (chez le même éditeur) : Le Dernier qui s’en va éteint la lumière. Essai sur l’extinction de l’humanité.

Tout part évidemment d’une question de priorité : l’économie est-elle au service de l’humanité ou l’inverse ? Le simple bon sens force à privilégier la première hypothèse. Seuls les systèmes dictatoriaux peuvent tenir le facteur humain pour une question négligeable. Or, des séismes économiques récents, par les dégâts qu’ils ont causés parmi les populations, qu’il s’agisse de la crise des subprimes ou des soubresauts financiers au sein de la zone euro, ont provoqué suffisamment de désastres sociaux pour qu’on ne puisse plus douter de leur puissance de nuisance à cet égard.

Les causes, il n’a aucun mal à les énumérer : faiblesses de la régulation, excès de la spéculation, gestion cynique et endémique du risque de crédit, système financier dépourvu d’ordre monétaire mondial digne de ce nom depuis 1971. D’où proviennent ces dérives ? D’une technique financière qui fait travailler les banques  » pour ses actionnaires uniquement, et accessoirement pour ses dirigeants […], ses clients devant se contenter du rôle peu gratifiant de vaches à lait « , ainsi que d' » une science économique aveugle à sa médiocrité du fait de son arrogance « . On mesure à son vocabulaire que Paul Jorion, fort de son statut d’outsider, ne pèse pas ses mots.

Souvent, des réquisitoires de ce genre n’assortissent pas leurs diatribes de remèdes dignes de leur virulence. Cette fois, l’auteur ne se dérobe pas à cette tâche : un tiers de son livre rassemble, sur la base d’articles parus précédemment, ses propositions de remèdes. Cela va de la réintroduction de la variable environnement dans l’économie à la fin du laisser-faire, de l’encouragement d’une science économique digne de ce nom (ici, on surprend Paul Jorion plaidant pour sa chapelle d’économiste non académique) à la déconnexion de l’Etat-providence d’une croissance devenue aléatoire, d’une prise en compte (très développée) des générations à venir dans la question du travail et de l’emploi à une redéfinition du socialisme comme institutionnalisation de l’Etat-providence. Un rêveur, Paul Jorion ? Oui, mais combien salubre !

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