Gérald Papy

L’Afrique centrale sur une poudrière

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

« L’Afrique est-elle si bien partie ? », s’interrogeait Sylvie Brunel en couverture d’un ouvrage paru à la fin de l’année dernière.

La géographe et économiste française entendait tempérer le tropisme qui présente le continent noir comme l’eldorado économique des prochaines décennies en raison de son dynamisme, de sa croissance démographique et de son adaptation accélérée aux nouvelles technologies. Si développement il y a, prévenait-elle, il est excessivement inégal : des territoires entiers et des classes sociales, notamment les jeunes, en sont privés. Bref, l’Afrique, si émergente fût-elle, serait assise sur une poudrière…

Le Burundi concentre toutes les tares de la  » vieille Afrique », celle qui n’est pas touchée par l’essor économique porté par la réussite des alternances démocratiques (Afrique du Sud, Nigeria, Ghana, Sénégal…). Persistance de la grande pauvreté après des années de guerre civile, transition politique fragile, clientélisme et, aujourd’hui, accaparement du pouvoir par le président sortant. En briguant un troisième mandat interdit par la Constitution, Pierre Nkurunziza a allumé le feu de la contestation populaire. Un putsch préparé par des partisans présumés de la légalité institutionnelle aurait pu changer la donne. Son échec sert finalement les desseins du chef de l’Etat : la répression de l’opposition et la fermeture des médias indépendants ont fini de placer le Burundi sous une chape de plomb. Les anciens présidents Sylvestre Ntibantunganya et Domitien Ndayizeye, des responsables politiques et des membres de la société civile, évoquant des « tueries, enlèvements, arrestations arbitraires et des tortures », ont raison de craindre « une catastrophe humanitaire ». La tenue de l’élection présidentielle prévue le 26 juin prochain n’est donc pas envisageable selon les standards, même minimaux, de la communauté internationale.

Brandir le spectre d’une répétition d’un génocide à la rwandaise n’aide pas à la recherche d’une sortie de crise, au contraire. Le conflit au Burundi relève de la confrontation politique, pour l’heure sans dimension ethnique. Même s’il faut bien reconnaître que, dans sa conception comme dans ses actes, la milice Imbonerakure, du parti au pouvoir, rappelle les agissements criminels des sinistres Interahamwe rwandais de 1994.

La partie diplomatique qui se joue au Burundi est extrêmement délicate. Entre une opposition surtout urbaine et contrainte à agir avec une grande prudence et un pouvoir qui puise son soutien populaire – peut-être même majoritaire – sur les collines et dans les champs, les « amis du Burundi » disposent d’une marge de négociation étroite. Son issue dépend sans doute de la capacité à convaincre les responsables du parti du président, le Conseil national pour la défense de la démocratie, qu’ils auront plus de chance de consolider leur pouvoir, sans lui que derrière lui.

Vu l’exacerbation des tensions, il y a urgence. Or, jusqu’à présent, l’apathie des puissances concernées inquiète sur la capacité régionale et internationale de prévenir l’escalade du conflit. On n’est même pas sûr qu’il y ait encore un pays, comme du temps de Louis Michel ministre des Affaires étrangères, pour mettre le dossier à l’agenda des instances internationales. Le test est pourtant crucial pour l’avenir de la région. Le président congolais Joseph Kabila a essayé, sans succès, de modifier la Constitution par voie parlementaire pour se représenter en 2016. Le président rwandais Paul Kagame laisse entrevoir l’organisation d’un référendum constitutionnel qui l’autoriserait à briguer lui aussi un troisième mandat en 2017 (artifice dont Denis Sassou Nguesso est suspecté de vouloir user au Congo-Brazzaville en 2016)… Autant de sources de contestations et de violences qu’il n’est pas trop tard de prévenir si on en a la volonté politique, à Bruxelles ou ailleurs. Pour paraphraser Sylvie Brunel, l’Afrique centrale, elle, est vraiment assise sur une poudrière.

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