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L’accord migratoire UE-Turquie, une logistique lourde et complexe

Le Vif

L’application de l’accord controversé entre l’UE et la Turquie pour tenter d’endiguer la crise des réfugiés a commencé lundi avec le renvoi de 202 migrants rentrés illégalement en Grèce, donnant forme à une logistique complexe qui mobilise des centaines de personnes.

Quels sont les renforts européens prévus en Grèce pour mettre en oeuvre le mécanisme?

Selon la Commission européenne, qui a détaché en Grèce un haut-fonctionnaire comme coordinateur spécial, l’opération doit mobiliser 4.000 agents, dont 1.500 Grecs, pour assurer les procédures de demande d’asile, les appels à d’éventuels refus et le processus de retour, outre la sécurité générale de l’opération.

Un échange d’observateurs est prévu: 25 agents publics turcs seront envoyés sur des îles grecques.

L’UE estime le coût de l’application de l’accord pour la Grèce à 280 millions d’euros sur les six prochains mois.

Quels sont les renforts fournis par l’Union européenne?

Selon la Commission européenne, 206 « escort officers » de l’agence Frontex ont été déployés en Grèce au cours du week-end. S’y ajoutent 32 officiers du Bureau européen d’appui pour l’asile (EASO) et employés permanents originaires de 9 Etats membres. Trente officiers supplémentaires étaient attendus d’ici mercredi.

L’Agence européenne des frontières Frontex a reçu l’engagement de 21 Etats membres de fournir 44 experts en réadmission, et 702 officiers d’escorte là où il lui en faudrait plus du double.

L’EASO a reçu des propositions de 16 Etats membres pour la venue de 452 experts: 85 agents chargés des demandes d’asile ont été nommés, contre 396 promis, ainsi que 22 interprètes (contre un besoin estimé de 400) et 33 juges nommés.

Frontex disposait déjà, à la date du 20 mars (date d’entrée en vigueur de l’accord), de 674 agents en Grèce, et l’EASO de 68 experts.

Quel traitement pour les migrants soumis au nouveau régime?

Selon les autorités grecques, ils resteront sur les îles, où ils sont désormais détenus dans les cinq hotspots existants (camps d’enregistrement et d’identification).

Ceux ne demandant pas l’asile seront « renvoyés immédiatement » prévoit la Commission, les autres retenus le temps de l’examen de leur demande conformément aux règles du droit d’asile que l’UE s’est engagée à respecter.

Plus de 6.000 arrivées ont été enregistrées en Grèce depuis le 20 mars, selon les chiffres de l’exécutif européen.

Sur quelle base légale s’opèreront les renvois de demandeurs d’asile, en particulier syriens?

Les demandes peuvent être qualifiées de « non admissibles » et rejetées en procédure accélérée si le pays où le renvoi est envisagé, en l’occurrence la Turquie, est considéré comme fournissant une protection suffisante.

La Grèce a donc adapté sa législation pour permettre le renvoi, au cas par cas mais avec des procédures accélérées, vers la Turquie de demandeurs d’asile pour qui la Turquie peut être considérée comme un « pays sûr ».

« Personne ne sera renvoyé à moins qu’il n’ait reçu ou sera en capacité de recevoir protection de la Turquie », a souligné lundi une porte-parole de la Commission. La justice grecque tranchera en cas d’appel des déboutés. Ceux que l’on jugera menacés, par exemple les Kurdes, ne seront pas renvoyés.

Comment s’opèrent les renvois?

Les renvoyés sont acheminés soit par bus via la frontière terrestre, soit par bateau directement depuis les îles, selon la Commission, avec une flotte prévue d’une dizaine de bus et trois ferries, opérés par Frontex.

Les demandeurs d’asile syriens renvoyés devront être comptabilisés à part, l’accord prévoyant que pour chaque Syrien renvoyé, un autre soit « réinstallé » de Turquie dans l’UE, dans la limite de 72.000 places.

Quid des réfugiés et migrants arrivés avant le 20 mars?

Les autorités grecques en recensent quelque 50.000 bloqués dans le pays par la fermeture de la route des Balkans. En principe tous identifiés et enregistrés, ils sont soit voués à l’expulsion pour ceux considérés comme migrants économiques, ou destinés à intégrer le processus européen de relocalisation, censé en répartir 63.300 dans l’UE sous deux ans et qui n’a concerné jusqu’à présent que 581 personnes.

Quelle réaction de la part des défenseurs des réfugiés?

Le Haut commissariat aux réfugiés de l’ONU, qui a exprimé à plusieurs reprises sa préoccupation, estimant que la garantie du droit d’asile devait être prioritaire, doit jouer « un rôle clé » dans le processus de « réinstallation », selon la Commission.

Les humanitaires de leur côté continuent de contester la légalité des renvois.

« Au regard de la Convention de Genève, on ne peut renvoyer quelqu’un vers un pays tiers que s’il est considéré comme un pays tiers sûr, et donc respecte la Convention. Or la Turquie, si elle a signé la Convention de 1951, n’a pas ratifié son protocole, et n’accorde le droit d’asile qu’à des Européens », note Geneviève Garrigos, présidente d’Amnesty International France.

Pour Mme Garrigos, le risque est que les réfugiés, y compris les Syriens, ne se détournent vers d’autres voix de passage pour l’UE, notamment la Libye, « sans doute la plus dangereuse aujourd’hui ».

L’ONG Oxfam dénonce de son côté un traitement des réfugiés « contraire à l’esprit de la loi internationale et à l’autorité morale dont l’Europe a un jour fait preuve ».

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